Dream Scenario : Nicolas Cage ira au bout de nos rêves

En quelques années, le cinéaste norvégien Kristoffer Borgli a su se faire sa place au sein du cinéma indie international un peu branché. A travers l’axe jamais très subtil de la comédie noire, il s’est fait remarqué à Cannes avec son deuxième long-métrage Sick of Myself, qui parle de narcissisme et d’art contemporain. Il revient avec une nouvelle proposition, cette fois produite aux USA par A24, sur la base d’un concept particulièrement alléchant : Nicolas Cage apparaît dans les rêves d’absolument tout le monde, sans savoir pourquoi ni comment.

Vous allez me dire qu’il n’est pas si absurde de rêver de Nicolas Cage ; tout cinéphile qui se respecte se doit de le faire au moins une fois par semaine sous peine de se voir retirer son visa. Sauf que dans Dream Scenario, Cage joue le rôle de Paul Matthews, un type qui n’a aucune qualité saillante pour avoir quoi que ce soit de remarquable. C’est un banal professeur d’université que j’appellerais mortellement chiant si j’étais méchant. Le genre de prof qui te donne envie de te pendre juste pour pouvoir arrêter de l’écouter parler.

Père de deux jeunes filles, époux d’une femme architecte, Paul est caractérisé par tout ce qu’on reprocherait à un protagoniste raté dans un scénario très académique : c’est un homme passif. Il est dans l’inaction permanente, le genre de type qui te dit qu’il a un bouquin, avant de préciser que c’est un projet en cours, puis d’avouer qu’il n’a pas encore écrit une ligne. Et cette immobilité caractéristique, son alter ego au sein des rêves la partage ; à l’opposé d’un Freddy Kruger, qui lui a une capacité d’action qui commence dans le rêve et s’étend même jusqu’au réel, Paul Matthews visite les rêves de tous en simple spectateur.

C’est la plus grande qualité du long-métrage. Car si son pitch peut prêter à sourire (narquois), tant il correspond bien à une « idée de petit malin » qui ressemble autant à la ligne éditoriale des distributeurs de chez A24, qu’aux histoires sordides de l’excellente série The Twilight Zone, c’est le protagoniste qui porte le film sur ses lâches épaules.

J’avais envie de faire une vanne en mode « la réf pas subtile du tout » et après j’ai pensé au fait qu’il y aura sûrement plein d’articles et vidéos YouTube nuls qui seront titrés « vous n’avez pas repéré CETTE référence folle dans Dream Scenario » et ça m’a énervé.

Paul Matthews est un loser. Il est la culpabilité latente de tous les types qui rêvent un jour d’être célèbres, respectés et admirés, mais qui n’osent pas agir pour s’en donner la capacité. De peur de constater que derrière le fantasme, il n’y a que des ratés. C’est facile d’avoir une super idée de bouquin. C’est moins aisé de l’écrire, et encore moins de transformer l’idée en un bon bouquin. En cela, Dream Scenario, et ce sans grande surprise au vu du titre et du sujet, est une œuvre très ancrée dans la psychanalyse. C’est-à-dire que le film nous encourage à interpréter les rêves des personnages, et le rôle de Paul Matthews dans ces songes qu’il visite… Pour comprendre à quel point tout tourne autour de sa virilité. Ou du moins, du rapport qu’il entretient à sa virilité.

Car si Paul est un lâche face à ses ambitions dans la vie, il espérait être différent dans ses rêves. Plus entreprenant, séducteur auprès des femmes (une scène au début du film avec une ex est très amusante à ce sujet), bref un vrai bonhomme quoi ; il n’en est rien. Et sa terrible passivité dans les rêves tient jusqu’à un basculement qui est précisément lié à sa sexualité, lors d’une scène est à classer très très haut dans la liste des pires à découvrir en famille, niveau gêne.

Cette exploration du ça de Paul Matthews dans les rêves des autres et ses conséquences dans le vrai monde représente la vraie réussite du film. A partir de ce gain de popularité qu’il obtient sans n’avoir jamais rien accompli, le héros se retrouve distendu entre son envie d’être reconnu pour ce qu’il estime être important (la matière qu’il enseigne à la fac), et son incapacité à être intéressant par lui-même, c’est-à-dire au delà de la situation surnaturelle dont il est un agent inexpliqué.

Le reste oscille entre le sympathique (une réflexion mordante sur la publicité qui rappellera des souvenirs aux fans de Futurama) et le très grossier (l’écriture de la relation de couple du protagoniste), et la mise en scène très « je pète plus haut que mon cul, je fais du genre mais je fais de l’art » que les détracteurs d’A24 adorent moquer pourra en éloigner plus d’un.

Et pourtant, il serait dommage de passer à côté de ce qui sera peut-être un des derniers grands rôles de Nicolas Cage au cinéma. L’acteur gigantesque a toujours été taillé pour le grand écran, qu’il joue la subtilité ou l’emphase qui l’a vu devenir une icône Internet, et on le voit pourtant si peu dans les salles obscures. Après des années à tourner des navets pour rembourser des dettes, voilà qu’il reprend sa carrière en main et va chercher des vrais rôles intéressants depuis quelques années. Quand on voit ce qu’il propose dans Dream Scenario, il est difficile de croire qu’à une époque certains doutaient de son talent pour l’interprétation. Il faut en profiter tant qu’il est encore là.

Dream Scenario, un film de Kristoffer Borgli avec Nicolas Cage. Au cinéma le 27 décembre.

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