Le cinéma c’est sympa, surtout quand on en discute avec les autres. Il n’existe pas de films qui ne peut pas être éventuellement source de disputes. Et alors, autant on peut choisir ses amis en fonction de leurs goûts en cinéma (fonctionnement tout à fait sain), autant on ne choisit pas sa famille. Les fêtes de fin d’année étant communément des réunions familiales, on s’est posé une question à Cinématraque : quel(s) film(s) pourrai(en)t vous priver d’héritage et dissoudre votre arbre généalogique (au moins) ? Préparez-vous pour des enfants traumatisés, des bagarres sur (le) Camping et, ici, un portrait de la pire cinéphile qui pourrait se mettre à votre table.
Je suis ce membre de la famille là. La gauchiste féministe pour qui faudra faire un plat différent parce qu’elle ne mange pas d’animaux, qui a une tête d’enterrement, à qui tu arrives pas à faire aligner plus de 3 mots ; celle où tu ne sais jamais si elle était là au repas dernier (probablement pas), qui fait la gueule quand faut faire des photos, qui va regarder un Disney avec les gamins après l’entrée. Décor dressé, je mets aussi mal à l’aise ma famille qu’elle me met mal à l’aise, même l’alcool n’y fait rien, puis de toute façon c’est dur de discuter avec moi car faut éviter les sujets politiques si on ne veut pas d’engueulades, mais je sais pas perdurer dans le small talk : en 2 phrases j’ai plus rien à dire. Heureusement, j’ai un intérêt restreint simple, évident, assez universel : le cinéma. Tout le monde le sait, c’est acté, on pensait que ça me mènerait nulle part mais the joke is on you j’ai bien un travail sous payé dans la culture (nanananère). Du coup, c’est bien pratique, quand on veut me parler dans ma famille, on me parle de films. Et comme on se voit une fois par an, on a plein de films pour parler, ouf. Allez, elle fait pas si peur cette meuf de 27 ans qui se comporte encore comme une adolescente, on va pouvoir discuter cinéma comme des adultes.
Alors, par quoi commencer ? Bien évidemment, on se rappelle que je suis celle qui pourra pas s’empêcher de faire une remarque pour défendre les femmes à un moment, donc on se dit direct : « Ok on va parler du phénomène féminin de l’année, Barbie de Greta Gerwing, on va direct tous être d’accord. » Et bien non. Moi je ne suis pas fun, j’ai pas envie de m’amuser, et je suis la personne la plus relou de France en terme de comédie. Le risque est maximal : en 1 seconde je peux me lancer sur l’imposture du film, rappeler que c’est une pub géante qui a fabriqué des tonnes de produits dérivés en plastique sur une planète qui est à l’agonie, qui se prétend féministe en faisant la promotion d’une marque qui exploite des milliers de femmes à travers le monde, qui a des messages étranges de réciprocité (« tu vois Barbie, c’est comme ça que je me sentais ? » – Ken), qui montre un PDG un peu con mais au grand cœur (?????) et qui réussit l’exploit de mettre plus en valeur Ken que Barbie en essayant pourtant désespérément de faire l’inverse. Donc c’est un coup à ce que je me lance dans un monologue sur le féminisme capitaliste et que je termine par un « en plus j’ai pas ris une fois » parce que j’ai un humour de merde et que seul mystérieusement Dupieux arrive à me faire éclater de rire à chaque seconde. J’enchaînerais après sur le fait que je ne comprends pas le film Barbie de toute façon, tellement entre deux chaises qu’il en tombe dans le vide, que je trouve que c’est un minimum syndical politique qui en devient centriste et que l’esthétique ne me parle pas. Bref, ce serait beaucoup trop. Malheureusement, après cette déroute, personne n’osera évoquer Oppenheimer, et ce sera bien dommage car, contre toute attente (et surtout grâce à beaucoup de contradictions internes), lui je l’ai beaucoup aimé. Mais comme je veux pas attirer l’attention plus de 3 secondes en réalité, je ne partirais pas sur une longue analyse sur pourquoi ce film est un incroyable portrait de l’horreur entière des États-Unis, de pourquoi il dénonce la bombe narrativement et esthétiquement et est superbement acerbe sur la figure du scientifique. Je dirais juste « ah oui c’était super 😊 ».
Puis si on me lance sur Oppenheimer, par un lien d’idée on va me demander ce que j’ai pensé de Napoléon de Ridley Scott. Là, nouvelle problématique. Vais-je me lancer sur le sujet Twitter ? Leur dire que j’ai pris une sauce parce que j’ai OSÉ critiquer le trailer du film en disant (à raison) qu’il est abominable, glamourisant et drague la droite de la même façon que le merch ignoble proposé par UGC comme si Napoléon était un simple personnage de cinéma ? Et quand on me demandera si je l’ai vu donc, je n’aurais plus qu’à baisser la tête vers mon 5ème verre de vin en disant « – bah non du coup » « – ah et alors tu critiques sans avoir vu ? » « – Non j’ai critiqué la bande-annonce et les moyens de promotions, c’est différent. » « – Mouais, tu aurais pu voir le film pour savoir quand même. » « – … ». S’en suivra ce moment gênant où je critique beaucoup les blockbusters américains et, quand on me questionnera dessus, j’en aurais évidemment vu aucun. C’est par principe écoutez…
La plus grande crainte sera évidemment qu’on me lance sur Babylon, « hein toi qui adore le cinéma ». Je ne commencerais pas à traiter Chazelle de fasciste, comme certains dans la rédaction, mais je pourrais rapidement commencer à parler de film vain, vulgaire, qui malgré de superbes scènes a l’air quand même d’avoir été réalisé par un ados en crush sur Margot Robbie, à qui on aurait donné des millions de dollars et un rail de coc’.
« – Ah… Et La passion Dodin Bouffant c’était beau quand même ?
– Réac.
– Ah et Beau is afraid c’est bien bizarre comme toi, c’est ta came non ?
– Prétentieux et misogyne.
– Ah… Et le livre des solutions c’était super non ? Pierre Niney trop drôle !
– Film qui défend une vision toxique des hommes et de l’art et en plus Niney est un débile qui ne voyait pas de problème a tourner avec Depp.
– Et tu as vu The Killer sur Netflix ?
– Oui mais je veux pas en parler car Fassbender a frappé son ex et plus le temps passe plus je me dis que Fincher c’est un peu un mascu quand même, non ?
– Et Killers of the flower moon, t’as dû aimer toi non ?
– Bof, le personnage féminin Osage est sous-exploité, le film est bizarrement pas clair sur trop de choses, c’est bien politiquement hein, mais à un moment critiquer les hommes blancs tout en leur donnant 3h30 de temps d’écran ça va bien 5 minutes.
– … »
Puis plus personne ne me parlera. Je rentrerai en disant que quand même ils sont tous un peu chiant alors qu’en réalité, la pire, c’est moi.