La sortie française de Love Lies Bleeding se sera longtemps faite désirer. Les premières images du film ont agité la bulle cinéphile (et surtout Cinématraque) à l’idée de découvrir cette romance sanglante entre Kristen Stewart et Katy O’Brien. S’agissant d’une sortie A24, on aura encore tout entendu : la boite de prod américaine veut vendre ses films à prix d’or, et surtout en France. On s’était donc fait une raison, le film ne sortirait pas dans les salles ici. Certain.e.s sont allé.e.s jusqu’en Belgique pour découvrir le film de façon légale en festival, et voir leur séance ruinée par une partie du public homophobe, profondément stupide, ou les deux à la fois. Dans l’intervalle, Metropolitan Films se positionne, un peu à la surprise générale. Plutôt une demi-surprise, le distributeur ayant eu plusieurs fois l’aval du studio par le passé.
Mais c’est quoi déjà, Love Lies Bleeding ? C’est le second long métrage de la réalisatrice britannique Rose Glass. Son précédent film Saint Maud, relecture audacieuse du « nun movie » (je vais déposer le nom du genre d’ici peu) avait fait le tour des festivals et récolté trois prix à Gérardmer. Une ancienne infirmière trouvait grâce dans l’amour de Dieu et dans sa foi, persuadée que sa mission était de sauver l’âme de sa patiente. Dans Love Lies Bleeding, il est question d’amour, toujours. D’un amour explosif et bestial entre Lou (Kristen Stewart), la gérante d’une salle de sport, et Jackie (Katy O’Brien), une culturiste bien décidée à se faire une place dans le milieu. Un amour qui, une fois encore, peut mener à tous les excès…
Gym beaucoup trop tonique
Attention : cette première partie évoque les toutes premières séquences du film.
La caméra de Rose Glass surgit de profondeurs rocheuses d’une couleur rouge sang vers un ciel étoilé. Une étoile filante défile, tandis qu’on entend les murmures de la bande son de Clint Mansell s’étendre, comme une complainte. Puis vient la salle de gym, le lieu de rencontre entre Lou et Jackie. L’entrée dans les lieux est elle aussi éprise de violence. Les gros plans appuient les mouvements des corps, les gestes répétitifs, les soulevés de fonte, les râles et les efforts. Une violence physique et mentale symbolisée par plusieurs panneaux qui trônent au beau milieu de la salle : « pain is weakness leaving the body » (la douleur est une faiblesse qui s’échappe du corps) et « only losers quit » (seuls les perdant.e.s laissent tomber). Et voilà Kristen Stewart, littéralement dans la merde, à déboucher des chiottes. Qui a dit que Jupiter Ascending n’avait pas laissé de marque dans la pop culture ?
Pourquoi tant insister sur cette première séquence ? Car elle est totalement annonciatrice du programme à venir. Totalement annonciatrice de l’environnement dans lequel évoluent Lou et Jackie. Un trou perdu au beau milieu d’une aridité états-unienne un peu rétro, comme le cinéma de l’oncle Sam l’a déjà montré en long, en large et en travers, du western aux comédies noires des frères Coen, et à tous ceux qui voudraient se la jouer comme les frères Coen (salut LaRoy). Ici, tout lieu est propice à la violence. La salle de gym, le domicile de la sœur de Lou (Jena Malone), femme battue, le stand de tir du papounet Lou Sr. (Ed Harris), où les détonations ne s’arrêtent jamais… et autour de cette ville, ces caves rocheuses rouges sang qui semblent marquer un territoire impossible à quitter.
Au milieu de ce tas de pourriture, la rencontre entre Lou et Jackie est comme une effraction de la réalité. Un moment suspendu : dans un jeu de champs et contre-champs, Rose Glass passe du visage circonspect de Kristen Stewart à son coup de foudre immédiat, qu’elle suit du regard. Derrière Lou trône un ventilateur. Même s’il est éteint, je ne peux m’empêcher de penser à ce moment précis au premier Twilight, où Edward est perturbé par l’odeur dégagée par Bella, qui entre dans une salle de classe et passe devant… un ventilo. En fond, la chanson Transformation de Nona Hendryx (artiste américaine ouvertement bisexuelle et militante des droits pour la communauté queer, yes !) passe d’extra-diégétique à intra-diégétique : « Good to bad, crazy or sane, you make the rules, then you play the game ». Elle est une suite d’antithèses, ce que seront également Lou et Jackie l’une pour l’autre.
Lou & Jackie vs. The World
Face à un monde hostile qui ne semble pas vouloir leur laisser de place, la romance entre Lou et Jackie devient le lieu de tous les possibles. Rose Glass donne pleinement corps à cette histoire naissante, dans toute sa sensualité et sa bestialité, où seul l’appartement de Lou semble être un safe place. Mais face à autant de pression, cette bulle ne peut pas résister : les histoires d’amour finissent mal, en général, ou du moins elles dérivent. Telle était l’ambition de Rose Glass et sa co-scénariste Weronika Tofilska, écrire sur l’amour, en quoi il nous obsède et jusqu’où il nous pousse à aller. Pour Lou, c’est oser faire face au père et à son passé. Pour Jackie, c’est se faire une place dans le monde du culturisme et travailler son corps à l’extrême.
Si l’histoire de Love Lies Bleeding se montre peut-être un peu plus classique qu’espérée, Rose Glass ne manque pas de distiller par-ci par-là quelques éléments inattendus, faisant fi des étiquettes de genre. La romance naissante devient amour de l’une et haine des autres : jusqu’où est-on prêt à se transformer ? Sur la forme, ça se traduit par quelques bribes de body horror, avec les stéroïdes que s’injecte Jackie. Et par une forme de flashbacks un peu méta, où Kristen Stewart fait une croix sur celle qu’elle a été (une jeune fille aux cheveux longs totalement sosie de Bella dans Twilight – encore) pour assumer pleinement ce qu’elle est aujourd’hui. La question de l’acceptation de soi est ici centrale et résolument camp. Love Lies Bleeding, à la vie à la mort, tu seras gravé dans mon sang.
Love Lies Bleeding, un film de Rose Glass, avec Katy O’Brien, Kristen Stewart, Jena Malone, Ed Harris et Dave Franco. Sortie en salles françaises le 12 juin 2024.