Le Top 100 des années 2010-2019 de Cinématraque, partie 3 : No. 50 à 26

On a passé la moitié! Si vous avez raté la deuxième partie du Top 100 de Cinématraque sur la décennie écoulée, vous pouvez la retrouver à cette adresse. Et au programme de cette troisième partie : le troisième quart de notre top, des places 50 à 26!

50. Faîtes le mur – Banksy (2010)

On a évidemment connu le Banksy graffeur, roi du happening médiatique et superstar du street-art, devenu malgré le symbole des contradictions du milieu de l’art de la rue, gentrifié, muséifié confisqué à son environnement naturel. C’est sur ce milieu avec ce qu’il compte autant de snobs que de guérilléros que le mystérieux Banksy décide de se pencher en 2010 avec ce Faîtes le mur aussi fuyant que sa tête pensante. Documentaire, mockumentary, comédie bouffonne, disaster movieExit Through the Gift Shop (bien plus joli titre!) est tout ça à la fois. En convoquant le personnage de Mr. Brainwash, alter-ego du frenchie Thierry Guetta, qui n’a rien à voir avec David et Bernard (qui eux sont demi-frères, ne l’oublions jamais), Banksy dédouble sa narration et créé un docu composite structurellement passionnant, questionnant la question de la parenté de l’art, de la propriété intellectuelle tout en continuant de noyer plus encore le serpent de mer de sa réelle identité (car au fond, Mr. Brainwash n’est-il au fond qu’un autre alter ego de Banksy, dont Guetta ne serait qu’un homme de paille?). Loin d’être une simple biographie en forme de manifeste artistique, Faîtes le mur est l’un des « documenteurs » les plus fascinants de la décennie, prouvant l’aisance avec laquelle Banksy adapte le credo de son œuvre à un nouveau médium.

49. Mademoiselle – Park Chan-Wook (2016)

Ce qu’en disait Cinématraque : « Mademoiselle justifie sa durée par un foisonnement narratif, un goût très amusé pour la multiplication des MacGuffins, et surtout la construction en trois temps de certaines scènes, dont le sens entier prend peu à peu forme. Aveu de faiblesse pour certains, on peut surtout y voir un sens suffisamment affirmé du récit pour éviter de se permettre la redondance et construire peu à peu l’atmosphère de thriller capiteux. Et lorsque toutes les pièces du puzzle s’emboîtent, l’édifice tient solidement debout. »

48. Zero Dark Thirty – Kathryn Bigelow (2013)

Ce qu’en disait Cinématraque : « En employant l’expression militaire Zero Dark Thirty, en lieu et place du programmatique et pompeux For God and Country, Kathryn Bigelow se débarrasse du projet patriotique initial, téléguidé par le Pentagone, et assume fièrement l’ambiguïté de son film. Zero Dark Thirty désigne cet instant où la nuit est telle que l’on n’y voit plus rien. Le noir absolu. Belle idée, pour un art de la lumière, que d’en appeler ainsi à l’obscurité. De Ben Laden, et de la traque en elle-même, il ne sera donc quasiment pas question. Il semblait de toute façon évident que l’histoire ne serait qu’un piège, l’attente du spectateur étant trop grande pour pouvoir réellement être assouvie. Quitte à se faire déposséder de son film par son sujet, il importe donc à la réalisatrice de filmer une autre traque, un autre corps. »

47. Réalité – Quentin Dupieux (2015)

Ce qu’en disait Cinématraque : « Réalité résonne comme l’oeuvre la plus maîtrisée – et donc assez naturellement la plus accessible – de son auteur. En effet ici, point de temps mort, pour peu que l’on daigne prendre le wagon vers ce Grand 8 bossu, penché et branlant. […] Là où les précédents Dupieux pouvaient donner l’impression, passée la première heure, d’un peu tourner en rond et de tomber dans un systématisme du contre-pied, c’est ici tout l’inverse. Dans son dernier tiers, il rebat complètement les cartes, jouant avec les codes du cinéma, des mises en abime et du capital comique d’Alain Chabat, magistral. »

46. Aquarius – Kléber Mendonça Filho (2016)

Ce qu’en disait Cinématraque : « la complicité entre le cinéaste et son actrice permet a Kleber Mendonça Filho de sculpter son personnage qu’il suit de bout en bout. Scrutant chaque mouvement de son corps, la suivant au plus près, il filme le corps atléthique de l’artiste totalement en adéquation avec les dures épreuves qu’elle rencontre, la mort de l’être aimé, son cancer et les pressions des investisseurs immobiliers convoitant son appartement. Les conséquences physiques de la maladie ne seront que brièvement montrées, au détour d’un plan fugace et pudique. Ce qui intéresse plus Filho, ce n’est pas ce qui affaiblit son personnage, mais plutôt sa force face à un monde qui s’effondre sur lui-même, un monde bien plus atteint par une tumeur très particulier : le capitalisme criminel du néolibéralisme. »

45. Spider-Man : Into the Spider-Verse – Peter Ramsey, Bob Persichetti & Rodney Rothman (2018)

Ce qu’en disait Cinématraque : « La lumière est pensée de manière pointilliste, comme sur les toiles de Roy Lichtenstein, le mouvements et le cadre sont pensés comme si des pages de BD s’animaient devant nos yeux, et le résultat est absolument saisissant.Premièrement parce que c’est bluffant, deuxièmement parce que c’est superbe, et dernièrement et principalement parce que cela sert totalement le propos du film. Après de nombreuses adaptations diverses et variées du personnage au grand écran, c’est la première fois qu’une oeuvre cinématographique semble exprimer en premier lieu un amour profond et inébranlable du personnage et du medium qui l’a vu naître. »

44. Get Out – Jordan Peele (2017)

Ironiquement, Jordan Peele s’en est bien mieux sorti quand il s’inspirait directement de The Twilight Zone pour faire ce long-métrage, que lorsqu’il en a produit un remake. Get Out a marqué la décennie comme un exemple majeur de cinéma de genre qui puise tout son macabre, son horreur et son dérangement dans les bassesses les plus vils de notre humanité. Dans notre racisme, nos façades et nos faux-semblants. On gardera longtemps en tête la séquence de psy-hypnose avec la tasse et la cuillère…

43. Bacurau – Kléber Mendonça Filho & Juliano Dornelles (2019)

Ce qu’en disait Cinématraque : « Bacurau n’est pas qu’un brûlot politique. C’est aussi un fourmillement permanent d’idées de mise en scène, un film qui n’a pas peur de jouer constamment le contre-pied, exposant à chaque scène une nouvelle trouvaille : un drone-soucoupe, des motards en combi fluo, un commando de ricains tout droit sorti d’un DTV cradingue des années 2000, des naturistes qui savent bien cacher son jeu… Peu importe son aspect décousu et ses quelques rares longueurs, Bacurau est un film flamboyant, un film de révolutionnaire dans l’âme, qui gratte aux entournures, qui sort de son confort le festivalier. C’est enfin un magnifique plaidoyer pour l’entraide locale, à travers une galerie d’acteurs tous épatants, où l’on retrouve notamment le duo Sonia Braga – Barbara Colen, qui incarnaient les deux âges de la Clara d’Aquarius. »

42. L’inconnu du lac – Alain Guiraudie (2013)

Ce qu’en disait Cinématraque : « Le cadre, par ses redondances, façonne des habitudes, les séquences s’enchaînent dans une éternelle logique : salutations, baignade et sexe, jusqu’à faire naître une déchirante routine au sein de cette marginalité. C’est dans les passages de l’une à l’autre que réside la véritable histoire, celle de Guiraudie filmant le besoin vital de l’amour fou. Que le film raconte sa possibilité ou son impossibilité par le personnage de Michel est finalement très secondaire, face à la manière dont le réalisateur aborde sa nécessité. Sans jugement ni a priori, c’est devant cette mise en scène de l’envie avouée, du plaisir irrésistible – où qu’il soit, quel qu’il soit – que l’on crie au grand film. »

41. La vie d’Adèle, chapitres 1 et 2 – Abdellatif Kechiche (2013)

Ce qu’en disait Cinématraque : « Mais La Vie d’Adèle, plus qu’un film d’Amour, est une sublime chronique sur la construction de soi. Adèle souhaite devenir institutrice, Emma artiste, comme deux philosophies de vie, deux chemins possibles parmi tant d’autres, deux vocations que les héroïnes essaieront coûte que coûte de mettre à profit, avec succès. Car ce que filme Kechiche, comme dans ses précédents films, ce sont de belles héroïnes, honnêtes avec leurs proches, honnêtes envers elles-mêmes, femmes fortes franchissant brillamment les obstacles de la vie. Adèle et Emma sont de belles personnes, comme on n’en voit pas qu’au cinéma. »

40. Ma vie de Courgette – Claude Barras (2016)

Ce qu’en disait Cinématraque : « Car ce qui nous émeut à l’extrême chez les petites figurines de Ma vie de Courgette, ce n’est pas leur parcours, mais ce qu’ils deviennent. Le bully au grand cœur qui ne rêve que d’un peu d’attention de sa mère junkie, la fille d’immigrés qui espère revoir sa mère à chaque visiteur de passage, le fils de taulard qui subit les préjugés du monde extérieur… Film d’amitié d’une pudeur infinie, Ma vie de Courgette s’accomplit dans quelques scènes d’une grâce absolue, oscillant entre humour et gravité au point de perdre par moments certains spectateurs (qui se sont mis à rire à des moments franchement inopportuns). »

39. Divines – Houda Benyamina (2016)

Ce qu’en disait Cinématraque : « Divines est un film ouvertement féministe, éminemment politique, franchement Nuit-Deboutiste. Il va, par l’intermédiaire de ces deux héroïnes aussi attachantes qu’énervantes nous dresser le portrait d’une jeunesse – de banlieue – abandonnée, sans objectif bien clair autre que de terminer dans une baignoire noyé dans des billets de banque. Comme dans les clips de rap. L’argent, cette abstraite échappatoire… Le film nous montrera les héroïnes, selon un schéma narratif bien connu, monter en grade puis gagner de l’argent, mais ne leur fera le dépenser qu’au supermarché et dans des pompes Adidas. Cette jeunesse ne rêve plus qu’à des M&M’s et des chaussures. »

38. The Rider – Chloé Zhao (2018)

Ce qu’en disait Cinématraque : « Chloé Zhao filme à la perfection ces corps et ces âmes fatigués, frontalement, confrontant sans cesse la fragilité intime de ces hommes à leur nécessité d’assumer le rôle que leur condition nécessite. Ici, pas de dilemme superflu, de sur-écriture psychologisante : le seul impératif du devoir vis-à-vis d’eux-mêmes et des autres guide leurs actions. Il en résulte des héros complexes, troublés, tenant tant qu’ils le peuvent debout, à l’image de leurs montures. Car les chevaux, autres grands héros du film, sont à l’image de leur maîtres : épuisés, à bout de course, blessés, abattus. »

37. Vice-Versa – Pete Docter (2015)

Ce qu’en disait Cinématraque : « L’incarnation des émotions sous la forme de petits personnages animant une psyché couleur guimauve pouvait faire craindre simplisme et mièvrerie. Le système mis en œuvre par Pete Docter et ses équipes relève en réalité du génie et permet de dire avec une finesse et une drôlerie extrêmes ce que signifie et implique le fait de grandir. Ce n’est autre que renoncer au sentiment pur et accepter que l’euphorie se teinte de mélancolie (les petites billes deviennent progressivement multicolores). Exercice brillant doublé d’une réflexion non moins passionnante sur le cinéma et l’animation (la séquence dans le couloir de la pensée abstraite est une trouvaille époustouflante), Inside Out témoigne de la pleine santé des studios Pixar ».

36. Les Bêtes du Sud Sauvage – Benh Zeitlin (2012)

On va être honnête, ça fait 7 ans qu’on écoute la BO en boucle. Benh Zetlin avait bouleversé la rédaction à l’époque en balançant ce film d’anticipation où la Nouvelle-Orléans est encore plus pauvre et dévastée qu’elle ne l’était au sortir de l’ouragan Katrina. Face à la catastrophe climatique – qui devient même homérique lorsque des aurochs surgissent de la glace et se mettent en marche pour le continent – se joue le drame d’une gamine devant faire face à la mortalité de son paternel, et de tout son mode de vie. S’il y a un film à retenir cette décennie qui met en scène des enfants, ce sera bien lui : Quvenzhané Wallis aura été révélé par le film et rapidement (et tristement) oubliée. Mais si vous souhaitez vous sentir bien vieux, sachez qu’elle a 16 ans aujourd’hui.

35. Mia Madre – Nanni Moretti (2015)

Ce qu’en disait Cinématraque : « Nanni Moretti a choisi le mélodrame pour narrer sa nouvelle histoire. Si ce choix rappelle à nos souvenirs sa Palme d’Or, La Chambre du Fils, cela serait une erreur de les comparer. Car avec Mia Madre, le cinéaste italien approfondit tout simplement l’orientation qu’il a prise pour Habemus Papam. Il y confirme son choix de ne plus être au centre de l’œuvre, d’être dorénavant à côté de ses personnages. C’est cette même idée qui guide d’ailleurs le personnage de la réalisatrice du film dans Mia Madre, l’actrice Magherita Buy. Elle n’aura de cesse de le répéter à son acteur interprété par John Turturo : « sois à côté de ton personnage ! » L’idée directrice de Moretti est aujourd’hui de ne plus être le personnage « chef d’orchestre » du récit. »

34. Her – Spike Jonze (2014)

Ce qu’en disait Cinématraque : « L’auteur de l’audacieux voire délirant Dans la peau John Malkovich pousse toujours plus loin la question d’un amour incorporel, d’une présence intangible. Avec un principe aussi original, le film de Jonze est un véritable pari. Le réalisateur compose, sur une toile restreinte, par petites touches, un tableau singulier d’émotions qui sont autant de liens entre le virtuel et l’actuel. Joaquin Phoenix, dont on se rappelle encore l’émouvante prestation dans Two Lovers, embrasse toujours plus fort un rôle complexe, admirablement accompagné de la voix charismatique de Scarlett Johansson. »

33. Parasite – Bong Joon-Ho (2019)

Ce qu’en disait Cinématraque : « Toutes les dynamiques à l’œuvre dans Parasite relèvent de ce double mouvement de mépris crédule et de revanche envieuse, y compris quand le film bascule brutalement, en une séquence qui prend le spectateur à revers pour mieux lui couper le souffle. Parasite devient alors un conte grinçant et pervers, où les caractères de chacun se révèlent jusqu’à une explosion finale jouant parfaitement sur le dévoilement des masques, derrière l’image de façade idyllique. »

32. The Florida Project – Sean Baker (2017)

Ce qu’en disait Cinématraque : « L’Amérique de The Florida Project, c’est celle d’une culture qui a déjà dépassé ces frontières : celle des prénoms les plus uniques qui soient, celle qui se fascine pour les objets en toc des chaînes de téléachat, la bouffe synthétique et les vidéos de bastons postées sur World Star Hip-Hop. Sans la glamouriser avec l’oeil du citadin narquois venu observer les bêtes de foire, Sean Baker magnifie cette réalité en la fondant dans le paysage, non seulement de ce motel si particulier, mais aussi dans le ciel floridien, qu’il immortalise dans ses crépuscules arc-en-ciel et ses soleils éblouissants. Et l’on traverse ce tunnel ininterrompu de flashs et de cris stridents comme on traversait le cauchemar éveillé de Spring Breakers : avec admiration. »

31. A Single Man – Tom Ford (2010)

27 février 2011 : Au terme d’une cérémonie lénifiante qui n’arrive cependant qu’à peine en queue de top 10 des moments les plus gênants de la décennie de James Franco, Colin Firth monte sur la scène du Kodak (devenu depuis Dolby) Theatre de Los Angeles pour remporter l’Oscar du Meilleur acteur. Une récompense somme toute méritée pour le charismatique mais discret acteur britannique, valeur sûre de la romcom british, qu’elle soit moderne ou en costumes ripolinés. Le seul souci, c’est que la récompense arrive un an trop tard. Non que Le Discours d’un roi (le début de la fin pour Tom Hooper malheureusement) soit un mauvais film, c’est même clairement pas l’attrape-Oscars le plus déplaisant de cette décennie. Mais un an plus tôt, Firth avait dû rester engoncé dans son fauteuil pour voir Jeff Bridges lui ravir la statuette pour Crazy Heart, film aussitôt vu et oublié dans n’importe quel pays où la country n’est pas un morceau de patrimoine national. En face, Firth venait représenter le premier long-métrage du couturier de renom Tom Ford, qui s’était lancé dans le joli pari de la réalisation en adaptant un roman de Chrisopher Isherwood. Le résultat, A Single Man, fut un triomphe artistique plus qu’inattendu de la part de Ford. Évidemment, le style est là : son film, sorti en janvier 2010 chez nous, est de la belle orfèvrerie, tout en jeux de regards et en pulsions scopiques. Mais derrière, c’est surtout un formidable conteur filmique qui éclot sous nos yeux : en racontant l’histoire de George Falconer, professeur d’université veuf depuis la mort tragique de son compagnon, Tom Ford signe le portrait bouleversant et pudique d’un homme brisé qui essaie à réapprendre à profiter de la beauté. Son choix de caster Colin Firth dans ce rôle est un coup de génie : avec sa prestance minérale, son regard de Droopy et son flegme british inimitable, l’acteur est un roc de sensibilité délicate, un de ceux sur lesquels on peut bâtir un grand mélodrame sans risquer de sombrer dans la guimauve larmoyante. Son tandem avec Julianne Moore est brillant, flamboyant, sulfureux et habité. Il marque la naissance d’un vrai beau cinéaste, revenu sept ans plus tard avec le très intrigant mais tout de même plus mineur Nocturnal Animals. Sept ans de langueur, c’est bien qu’il fallait pour se remettre d’un premier amour comme celui d’A Single Man.

30. Un jour dans la vie de Billy Lynn – Ang Lee (2017)

Oui, chez Cinématraque, on a tendance à aimer les films maudits, ces auteurs sacrifiés de l’industrie hollywoodienne envoyés sciemment au casse-pipe pour n’avoir pas voulu transiger avec leur vision artistique originale. Au début de la décennie, Ang Lee aurait pu faire quasiment tout ce qu’il voulait, rasséréné auprès des grands pontes après le succès du risqué L’Odyssée de Pi (600 millions de recettes et 11 nominations aux Oscars tout de même). Ce qu’il veut. Un Brokeback Mountain 2, un reboot de n’importe quel film des années 80, même un Marvel, qui sait. Et bien non, il a décidé de devenir le pionner du blockbuster en 120 FPS, ce format d’ultra haute qualité en 4K garantissant un défilement de l’image à 120 images par seconde au lieu des 24 habituelles (Peter Jackson n’étant jamais allé plus loin que 48 pour sa trilogie du Hobbit). Un format aussi révolutionnaire artistiquement que kamikaze financièrement, si bien que seule une poignée de happy few ont pu voir ce Billy Lynn tel que le cinéaste l’avait envisagé. Et même si aucun membre de cette rédaction fait partie de cette caste de privilégiés, le film d’Ang Lee trouve tout de même sa place dans les hauteurs de ce top. Car au-delà d’un tour de force technique, Un jour dans la vie de Billy Lynn est aussi un très beau film du déclin de l’Empire américain, sur la face sombre du patriotisme va-t-en-guerre américain et le traumatisme presque identitaire du fiasco de la guerre en Irak, guerre injuste et ingagnable, bourbier sur lequel l’Amérique a sacrifié une génération de ses jeunes, ne réservant qu’une futile gloriole à ses rescapés pour, comme le dit si bien son héros incarné par la révélation Joe Alwyn, célébrer ce qui fut le pire jour de leur vie.

29. Toy Story 3 – Lee Unkrich (2010)

Sur bien des points on peut considérer que 2010 fut l’apogée créative des studios Pixar, au moment même où Toy Story 3 s’apprête à mettre Hollywood à ses genoux. Porte-étendard du studio, qui avait inauguré sa riche histoire avec le premier volet qui fut son tout premier long-métrage, Toy Story 3 était aussi à l’époque la seule exception créative de la bande de John Lasseter (à l’époque où ses agissements ne l’avaient pas encore rattrapé) et compagnie, qui s’était montré historiquement réfractaire à l’idée de donner des suites à ses films. Peu importe : Toy Story 2, réflexion sur la collectionnite et les souvenirs que l’on partage avec nos jouets et nos jouets seuls, avait déjà offert une suite fantastique au révolutionnaire film de 1995. Toy Story 3 a probablement réussi le pari d’emmener la franchise encore plus haut. En s’aventurant sur des thématiques parfois très lourdes et adultes, sur le temps qui passe, l’obsolescence d’un jouet et sa possible transmission, Lee Unkrich, homme de l’ombre historique de Pixar qui connaissait sa première expérience en tant que réalisateur principal, livre un film trépidant (cette scène de pur blockbuster dans la décharge), hilarant (Buzz en espagnol!), mais surtout bouleversant. Combien d’entre nous, y compris chez ceux qui étaient déjà de vénérables adultes à l’époque, ont fini en larmes devant l’épilogue de ce que l’on pensait être à l’époque le chapitre final de l’aventure Toy Story ? Certes, on pensait avoir dit au revoir à jamais à Woody, Buzz, Rex, Bayonne, Monsieur Patate et autres, et on s’est trompés. Car alors que Toy Story 3 a ouvert la décennie 2010, c’est Toy Story 4, sympathique mais très inférieur, qui l’a refermé, suivant la trajectoire tout aussi chaotique d’un studio qui a parfois dû partir à la recherche de son âme passée après le triomphe de TS3. Premier Pixar milliardaire au box office, second Pixar et troisième film d’animation jamais nommé à l’Oscar du meilleur film, quatrième succès de l’histoire au moment de sa sortie (autant dire qu’un paquet de super-héros en Spandex sont passés devant par la suite), Toy Story 3 est à n’en pas douter un des jalons incontournables de la décennie hollywoodienne écoulée.

28. So Long, My Son – Wang Xiaoshuai (2019)

Ce qu’en disait Cinématraque : « So Long, My Son est un film doux et tendre dont la puissance emporte tout. Les trois heures du film sont pleinement justifiées tant elles sont nécessaires pour développer l’intrigue dans son ampleur intimiste. L’histoire du couple formé par Yaojun et Liyun est raconté par petites touches, qui finissent par dessiner un tableau poignant. Le dispositif narratif, mélangeant les époques, retrace très habilement les traumatismes successifs de leur famille et de leurs amis. Ce jeu chronologique ne paraît jamais artificiel tant il sert le propos du film et permet aux émotions d’éclore lentement. »

Pour qu’un film sorti cet été arrive aussi haut dans notre top, c’est qu’il a su nous frapper fort et comme il faut. So Long My Son est une longue fresque achronologique sur une famille d’ouvriers chinois éduqués et engagés, qui subissent les conséquences du réel dans un monde gangrené par la politique de l’enfant unique. La dernière demi-heure nous arrache assez de larmes pour rehausser le niveau de sel dans toutes les mers du globe.

27. Une affaire de famille – Hirokazu Kore-Eda (2018)

Ce qu’en disait Cinématraque : « Une affaire de famille commence — à la limite — là où Third Murder s’est terminé. La destruction, chez l’enfant de la possibilité de croire en la justice, au monde des adultes. Plus encore, c’est la foi de Kore-eda en les institutions japonaises qui a été ébranlée. Avec une Affaire de Famille, Kore-eda marche sur les pas de Satoshi Kon et de son Tokyo Godfather. Il recompose une famille avec des laissés pour compte et des fracassés de la vie. Évidemment pour l’auteur de Nobody knows, l’abandon n’est jamais un échec, bien au contraire, le début d’une belle aventure. »

26. Holy Motors – Leos Carax

La décennie 2010 a aussi été marquée par le retour de Léos Carax, 13 ans après son dernier film. Et il n’est pas revenu sur la pointe des pieds, Holy Motors a su faire couler beaucoup d’encre et a marqué l’esprit de ses nombreux admirateurs mais aussi de ses fervents contempteurs.

Hommage à son cinéma et au cinéma, fable déroutante et amusante, puzzle halluciné et hypnotique, Holy Motors est ce qu’on appelle une proposition clivante, d’une ambition folle. Porté évidemment par un Denis Lavant au sommet, le film de Leos Carax nous entraîne dans son univers où le monde est un jeu, et les hommes (et les singes) sont tous des acteurs qui s’ignorent. All the world’s a stage et à la fin de la pièce, en coulisse, les limousines peuvent reprendre le cours de leur vie.

Holy Motors est sans doute l’un des films les plus audacieux de ce top. Un vent de fraîcheur et un appel à tous les réalisateurs à se laisser emporter par la liberté que permet le cinéma en dehors des codes et des canevas rassurants. Espérons que Léos Carax retrouve cette puissance dans la prochaine décennie. Nous l’attendons de pied ferme.

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Plus que 25 films à dévoiler, et toujours pas de Marvel ni de Christian Clavier à l’horizon? Rendez-vous pour la quatrième partie demain pour voir si l’injustice est réparée!

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