Claude Barras est un homme de goût. Pour scénariser son premier long-métrage, ce cinéaste d’animation venu de l’outre-Lac Léman a eu l’idée fort inspirée de faire appel à Céline Sciamma pour écrire l’adaptation du roman de Gilles Paris. On ne répètera pas assez à quel point l’émergence de Sciamma, de son cinéma furieusement libre, féministe, en croisade contre les cathédrales du gender et des normes sociales, est une chance pour le cinéma français. Et à quel point, quoi qu’on pense de ses films (mais quand même, c’est vachement vachement bien), son profil est une promesse géniale pour l’avenir. L’accueil triomphal réservé au film à la Quinzaine des Réalisateurs, où le film reçut une énorme ovation, laisse à penser confirme que l’auteur de ces lignes n’est pas le seul à le penser.
Car Ma vie de Courgette est avant tout un superbe numéro d’équilibriste. En apparence, son sujet est d’une gravité terrible : le jeune Icare, abandonné par son père volage, tue malencontreusement un jour sa mère alcoolique qui menaçait de le battre. Recueilli dans un foyer d’orphelins, il va apprendre à vivre sans ses parents, aidé par un policier de la brigade des mineurs, l’encadrement du foyer et ses nouveaux camarades, dont la petite nouvelle, Camille, qui ne le laisse pas indifférent.
Dit comme ça, ça commence comme un film de Lee Daniels, c’est vrai. Mais heureusement, le film trouve toujours la combine pour se soustraire au misérabilisme par un souci de pédagogie d’une honnêteté infaillible. Résolument tourné vers le jeune public (le film fera un carton dans les dispositifs Collèges au cinéma et compagnie), Ma vie de Courgette aborde sans fard, mais sans pathos appuyé, le destin douloureux de chacun de ces enfants qui, comme se lamente l’un d’entre eux, « n’ont plus personne pour les aimer ».
Viol, alcoolisme, violences conjugales… Elliptique quand il le faut, le film n’esquive aucun de ces sujets très sensibles, en montrant comment chaque enfant peut réagir d’une manière différente à un trauma aussi terrible. D’une infinie bonté sans pour autant amnistier tous ses personnages, Ma vie de Courgette souligne la nécessité absolue de ces structures, de l’écoute et de la solidarité. Subtilement politique et militant, sans tomber dans le dépliant du Ministère de l’Education nationale, le film cherche avant tout à être un film au-delà de son message, et c’est très bien comme ça.
Car ce qui nous émeut à l’extrême chez les petites figurines de Ma vie de Courgette, ce n’est pas leur parcours, mais ce qu’ils deviennent. Le bully au grand cœur qui ne rêve que d’un peu d’attention de sa mère junkie, la fille d’immigrés qui espère revoir sa mère à chaque visiteur de passage, le fils de taulard qui subit les préjugés du monde extérieur… Film d’amitié d’une pudeur infinie, Ma vie de Courgette s’accomplit dans quelques scènes d’une grâce absolue, oscillant entre humour et gravité au point de perdre par moments certains spectateurs (qui se sont mis à rire à des moments franchement inopportuns).
On pardonnera tout à Ma vie de Courgette. On pardonnera son animation aux abords un poil rustre, sa dramaturgie aux enjeux un peu légers par moments, pour se laisser emporter par la bonté et la générosité qui transpire de chacun de ces enfants. On se laissera surprendre par la vivacité des dialogues, la justesse des situations, l’empathie de chaque instant, la douceur de la bande-son composée par Sophie Hunter, les batailles de boules de neige, les cerfs-volants qui flottent au vent. Parce que c’est ça qui compte avant tout.
Gaël | Sophie | Dzibz | Julien | Margaux | David | Jérémy | Mehdi | |||||||||
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Le tableau des étoiles complet de la sélection à ce lien
Un film de Claude Barras avec des marionnettes qui bougent.
Le film sortira sur les écrans français le 19 octobre 2016