Mademoiselle Agassi, de Park Chan-Wook

Chaque visite de Park Chan-Wook sur la Croisette devient forcément un petit événement. Douze ans après que tout cinéphile avec un tant soit peu de bon goût ait maudit Quentin Tarantino d’avoir privé son merveilleux Old Boy de la Palme d’Or au profit du Fahrenheit 9/11 de Michael Moore, le cinéaste coréeen confirmait son statut d’habitué avec ce Mademoiselle, titre peut-être plus limpide mais nettement moins classe que l’Agassi initialement prévu.

Histoire de vengeance et récit d’émancipation féminine (et volontiers féministe), Mademoiselle est l’adaptation de The Handmaiden de Sarah Waters. De cette inspiration, Park Chan-Wook tire un objet visuellement assez hybride, à l’image de la monumentale demeure qui accueille la jeune Sookee, grande bâtisse victorienne pourvue d’une annexe au style japonais des plus traditionnels.

Elle n’est que le premier témoin de la grammaire filmique déployée par Park Chan-Wook, dressant un pont entre sensibilités orientales et occidentales. On voyage aisément entre le sens du quiproquo à la Ladykillers, des plans d’intérieurs dans la tradition wellesienne (agrémentée de quelques élégants plans de grue) et une structure malicieuse de jeu de Cluedo à la Rashomon, le tout mené avec la vivacité toute coréenne du réalisateur. Melting-pot audacieux à l’écran, justifié dans l’intrigue par un jeu d’amour de la culture européenne/rejet de la culture autochtone (quoi de mieux que le Japon pour l’illustrer ?), le parti pris dépasse le simple statut de gadget en nous brossant subtilement le portrait de deux pays dont les relations sont loin d’être toujours au beau fixe.

Le principal problème du film, qu’on le dise tout de go, son marketing. Vendu comme une espèce de revenge movie féminin (ce qu’il est), le positionnement promotionnel du film s’avère être en réalité un assez gros spoiler, qui ne prend d’ailleurs pas en compte la subtilité avec laquelle cette situation se retrouve dépeinte dans le film. Non seulement le procédé a de quoi agacer, mais il peut potentiellement renforcer l’impression d’artificialité du scénario (quelque peu schématique certes, mais dont les jeux de résonances sont souvent menés avec brio), là où le spectateur lambda peut très nettement se laisser embarquer par les inévitables twists (celui entre la première et la deuxième partie, très bien foutu, déstabilise complètement pendant quelques minutes).

Au milieu des films-fleuves qui peuplent cette édition 2016 de la sélection officielle, Mademoiselle justifie sa durée par un foisonnement narratif, un goût très amusé pour la multiplication des MacGuffins, et surtout la construction en trois temps de certaines scènes, dont le sens entier prend peu à peu forme. Aveu de faiblesse pour certains, on peut surtout y voir un sens suffisamment affirmé du récit pour éviter de se permettre la redondance et construire peu à peu l’atmosphère de thriller capiteux. Et lorsque toutes les pièces du puzzle s’emboîtent, l’édifice tient solidement debout.

Mademoiselle de Park Chan-Wook 2
Je te mettrai bien dans une valise

Sulfureux, Mademoiselle l’est certainement, même si de nos jours plus grand-chose n’est réellement à même de choquer nos consciences. A coup sûr, le film a fait monter la température dans le Palais des Festivals (c’est dommage, car on se plaint suffisamment que certaines salles cannoises soient parfois surchauffées) par des scènes saphiques qui marquent incontestablement la rétine. Loin d’être gratuites, elles participent de ce jeu de billard à trois bandes, dont une scène-pivot construite en trois temps, où les deux héroïnes nous apparaissent à chaque fois dans un jeu de dominant/dominé différent. Elles n’en demeurent pas visuellement prodigieuses, et devraient sans problème se faufiler rapidement sur la page d’accueil de PornHub, xHamster et compagnie (de manière toute à fait gratuite, c’est nettement mieux que n’importe quelle scène du dernier Gaspar Noé).

Le constat vaut pour l’ensemble du film, grâce à un casting mené de main de maître. Si on se dit instantanément que la « performance »  dans tous les sens du terme de Kim Min-hee et Tae Ri Kim amènera leurs noms dans les discussions pour le prix d’interprétation féminine, on n’oubliera pas celle, multiforme, de Ha Jeong-Woo (déjà remarqué dans The Chaser), parfait en escroc à la petite semaine, aussi grotesque que magnétique, et indispensable dindon de la farce.

Mademoiselle n’a, au vu de l’accueil qu’a reçu notamment le Toni Erdmann de Maren Ade, pas forcément les atours d’une Palme potentielle, mais la puissance et la maîtrise qui s’en dégagent en font une œuvre qui n’usurperait pas sa place au palmarès final. Pour décoincer un petit peu les costards de soirée et les robes trop cintrées.


Gaël Sophie Dzibz Julien Margaux David Jérémy Mehdi
 [usr 4]

Le tableau des étoiles complet de la sélection à ce lien


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Un film de Park Chan-Wook avec Kim Min-hee, Tae Ri Kim et Ha Jeong-Woo

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