Le Top 100 des années 2010-2019 de Cinématraque, partie 2 : No. 75 à 51

C’est bon, vous êtes toujours là? Heureux de voir que vous n’avez pas quitté le navire en cours de route. Et pour les retardataires qui nous rejoignent maintenant, vous pourrez retrouver la première partie de notre Top 100 à cette adresse!

75. The Assassin – Hou Hsiao-Hsien (2016)

Hou Hsiao-Hsien n’a sorti qu’un film pendant cette décennie, mais il ne lui en fallait pas plus pour s’imposer dans ce top. The Assassin est d’une beauté terrassante. S’inscrivant dans le wu xia pian, film de sabres chinois, The Assassin s’intéresse au choix que doit faire Nie Yinniang, l’assassin du titre. Entre son devoir et son cœur, Nie Yinniang doit trancher. C’est cette hésitation, que Hou Hsiao-Hsien filme avec une maestria rare dans le cinéma actuel. La mise en scène contemplative et minutieuse nous emporte à chaque plan. Que ce soit sur les toits dans la nuit, ou derrière un rideau éclairé par des bougies, les scènes rivalisent de beauté et nous donnent une leçon de cinéma. Un grand film.

74. Le Congrès – Ari Folman (2013)

Ce qu’en disait Cinématraque : « Loin de livrer un pamphlet contre la technologie, Ari Folman semble vouloir nous faire réfléchir sur l’omniprésence de l’image dans nos sociétés, et le désir d’être-image des stars. Fasciné par l’image, nous serions incapables de comprendre la logique financière des propriétaires des grands studios qui, aujourd’hui, n’entretiennent plus le moindre lien avec le cinéma ».

73. Leto – Kirill Serebrennikov (2018)

Ce qu’en disait Cinématraque : « Refusant les conventions du biopic, traitant ses personnages comme les incarnations métaphoriques d’un idéal, Leto est un manifeste-hommage aussi bien dans ses nombreuses qualités que dans ses quelques défauts. Il est aussi le fabuleux portrait de trois jeunes adultes représentatifs de cette tension qu’il y a à vivre une existence purement rock, non pas par procuration, mais en pleine accord avec la spécificité de la culture russe, baignée entre autres par son si imposant héritage littéraire. Parfois comparé à la Nouvelle Vague (dont certains de ses représentants, Jean-Luc Godard en tête, ont été des compagnons de route de l’histoire du rock) pour son noir et blanc classieux et son goût pour les amours tourmentés, le film de Serebrennikov est une chronique adolescente lumineuse, d’une générosité sans calcul quitte à parfois pousser le curseur un peu trop loin, un vrai film d’idéaliste romantique. »

72. Under the Silver Lake – David Robert Mitchell (2018)

Ce qu’en disait Cinématraque : « Si l’on pense devant le personnage d’Andrew Gardfield au Dude, incarné par Jeff Bridges dans The Big Lebowski, Under the Silver Lake est plutôt construit comme un parfait palimpseste de The Long Goodbye, adaptation de Chandler par Robert Altman. Il y a dans Under The Silver Lake une dimension tragique qui est absente du film des frères Coen. […] Le dernier long métrage de David Robert Mitchell, est un film fou, parfait miroir d’une situation donnée, la nôtre : où l’on est défini par ce que l’on consomme et l’on condamne un système, celui du loisir, la fameuse « société du spectacle » que l’on réclame dans un même mouvement.

71. Cosmopolis – David Cronenberg (2012)

Parmi les immenses cinéastes dont on a peu à peu perdu la trace au fil de la décennie, le cas de David Cronenberg est peut-être l’un des plus tristes de tous. En à peine quelques années, la réinvention du cinéaste entamée par A History of Violence et Les promesses de l’ombre s’est effondrée, au point que le génial canadien, faute de financements, n’a plus donné de nouvelles sur grand écran depuis 2014. La faute à deux énormes bides commerciaux : Cosmopolis et Maps to the Stars. Deux films un peu trop vite oubliés (surtout le second), qui sont pourtant cruciaux dans le virage auteurisant pris par Robert Pattinson dans son après-Twilight. Si celui qui est devenu l’une des icônes du Film Twitter est aujourd’hui ce qu’il est, il le doit énormément au fantastique Cosmopolis. Archétype du projet casse-gueule, cette adaptation du roman de Don DeLillo est un cauchemar claustrophobique, recroquevillé sur lui-même comme le cadavre flétrissant du capitalisme qui agonise. Pattinson y joue Eric Packer, un multimilliardaire même pas trentenaire, qui sent l’apocalypse et la ruine approcher, et qui ne pense qu’à une chose : se faire faire une bonne coupe de cheveux. Plus que par sa narration empirique, c’est par l’une des plus impressionnantes utilisations de l’espace filmique au cinéma que Cronenberg magnifie son cauchemar nietzschéen. Cosmopolis est le meilleur film de limousine qui soit : comme au cœur de la tornade, on y voit le monde des 1% s’y terrer, avachi sur ses banquettes confortables, à attendre que le chaos vous atteigne. Radical, brutal, plus engagé que jamais, Cronenberg signe là un des brûlots politiques les plus modernes qui soient. Sans Cosmopolis, aurait-on jamais eu Mr. Robot?

70. A Ghost Story – David Lowery (2017)

Ce qu’en disait Cinématraque : « A Ghost Story est un pur film de cinéma, celui qui ne parle pas pour ne rien dire, et s’arrange pour toujours faire du mouvement et du raccord un texte lisible et compréhensible par tous. Une épure si impressionnante qu’il suffit, pour le réalisateur, de deux plans fixes sur Rooney Mara s’acharnant sur une tarte pour faire ressentir au spectateur toute la détresse de la perte, la colère qui en découle ; l’illogisme et l’injustice de la perte de l’être cher. Mara est tout autant un fantôme que Affleck, errant dans cette maison brumeuse, comme au centre de l’univers, hantée par une histoire qui ne s’est jamais concrétisée. »

69. First Man – Damien Chazelle (2018)

Ce qu’en disait Cinématraque : « [Chazelle] choisit de nous faire vivre les moments de pilotage dans toute leur fragilité technique et matérielle. Les vaisseaux des années 60 semblent faits de bric et de broc, prêts à exploser à la moindre défaillance. Les personnages, piégés dans ces jouets hors de prix, font ce qu’ils peuvent pour contrôler des situations qui les dépassent. Et nous sommes plongés au cœur de ce fracas de métal et de loupiotes. Par un travail sonore remarquable et une réalisation faussement chaotique, First Man réussit toutes ses scènes spatiales, avec une utilisation homéopathique d’effets spéciaux. La magie de l’exploit réalisé porte aussi le film. Difficile, en 2018, de ne pas rester fasciné devant cet accomplissement avec la technologie de l’époque. »

68. Sils Maria – Olivier Assayas (2014)

Ce qu’en disait Cinématraque : « Clouds of Sils Maria est avant toutes choses, puisqu’il apparaît difficile d’en définir la forme, une déclaration d’amour d’Assayas à Binoche. De tous les plans, elle est montrée ici – malgré les défauts de son personnage, et là est certainement le paradoxe le plus intéressant du film – comme une actrice rare, ayant traversé les âges avec une intelligence peu commune. […] Clouds of Sils Maria, c’est l’histoire d’une mutation, celle du métier d’actrice. « 

67. Frances Ha – Noah Baumbach (2013)

Ce qu’en disait Cinématraque : « Dans un monde où le cinéma indépendant américain existerait toujours, cette course à la hype pourrait agacer de la part d’un réalisateur qui, tout en prenant ses distances avec le monde de l’arty new yorkais, en revendique tous les codes. Mais le festival de Sundance étant devenu ce qu’il est, ce film d’1h26, libre, drôle, à la réalisation ciselée, d’une douceur sans afféterie, fait scintiller tout un pan du cinéma américain, disparu, dont les imitations grossières concoctées par les studios ne font que signaler l’absence. »

66. Killer Joe – William Friedkin (2012)

Il y eut une douce époque, au début de la décennie, un petit havre de paix dont l’on cultive avec nostalgie les souvenirs précieux, quelque part entre 2012 et 2014. La gauche venait de revenir au pouvoir en France en réveillant avec elles tous nos rêves de lendemains qui chantent (bon non, pas vraiment, mais c’est pour l’exercice) et le septième art connaissait un de ses plus improbables comebacks, celui de Matthew McConaughey. De Magic Mike de Soderbergh (et peut-être même le plus méconnu Bernie de Linklater juste avant) à Interstellar de Nolan, le plus beau gosse des Texans (à moins que ce ne soit l’inverse) va enchaîner home run sur home run, plaçant au passage pas moins de trois films dans ce top. L’un des points d’orgue de la McConnaissance : son apparition en tueur à gages charismatique et un brin psychopathe dans le brûlant Killer Joe, polar furieux et crasseux d’un William Friedkin revenu au sommet. Fucked-up jusqu’à l’os (celui de l’aileron de poulet tout particulièrement), cette plongée dans les tréfonds de la perversité morale culmine dans une des séquences les plus dérangeantes mais jouissives que le cinéma américain nous aura servi cette décennie. Alright, alright, alright.

65. Jusqu’à la garde – Xavier Legrand (2018)

Ce qu’en disait Cinématraque : « Porté à bras le corps par une mise en scène anxiogène, Jusqu’à la garde mue peu à peu en un thriller intimiste haletant culminant dans un épilogue glaçant devant lequel le spectateur peut enfin prendre conscience des drames qui peuvent se jouer dans les foyers comme ceux des Besson. Jamais didactique, toujours empathique, Jusqu’à la garde est un tour de force qui confirme toute l’acuité du cinéma de Xavier Legrand, qui signe aussi une œuvre salutaire où la forme se met toujours au diapason du fond. »

64. Foxcatcher – Bennett Miller (2015)

Alors qu’approche la fin de la décennie, un des plus grands mystères de la cinéphilie contemporaine est probablement : qu’est devenu depuis toutes ses années Bennett Miller ? Comment le cinéma américain peut se passer depuis cinq ans de l’un de ses plus minutieux et passionnants réalisateurs ? Sur la décennie 2010, Miller laisse derrière lui deux films, deux grands films, dont ce Foxcatcher vénéneux, cachant derrière son austérité de façade l’autopsie d’une relation amour-haine-jalousie dans le milieu de la lutte amateur. Foxcatcher est aussi l’un des actes fondateurs de l’affirmation de Steve Carell non plus comme l’un des plus grands comiques américains, mais tout simplement comme l’un de ses meilleurs acteurs, capables de nous faire oublier en une scène une pourtant bien protubérante prothèse nasale. Inspiré par l’histoire vraie du milliardaire John Eleuthère du Pont, Foxcatcher reste à l’heure actuelle la dernière trace artistique de la carrière de Miller. On attend désespérément la suite.

63. Douleur et Gloire – Pedro Almodovar (2019)

Ce qu’en disait Cinématraque : « On ira pas par quatre chemins : Douleur et Gloire est un magnum opus même au sein d’une filmographie aussi fourmillante que celle de Pedro Almodovar. D’une maîtrise formelle impressionnante (dans les collages artistiques, les décors, les artefacts memoriels, la légèreté de la caméra), Douleur et Gloire est peut-être encore plus impressionnant dans son écriture. Que ce soit dans ses longs dialogues d’une finesse rare (avec sa mère mourante, avec un amour de jeunesse retrouvée) ou dans sa maîtrise des allers-retours temporels, rarement le cinéma du réalisateur espagnol n’aura déployé une telle verve poétique, dans une forme de maestria pudique, flamboyante mais jamais abusive dans ses effets. »

62. It Follows – David Robert Mitchell (2015)

Ce qu’en disait Cinématraque : « It Follows est la confirmation que l’on tient en David Robert Mitchell un des réalisateurs les plus fascinants et virtuoses de sa génération. Récit d’initiation sexuelle sous couvert de cauchemar éveillé jamais moralisateur, il révèle également le joli minois de Maika Monroe, dont la frêle silhouette nous rappelle une petite soeur angélique de la non moins envoûtante Amber Heard dans un autre grand film d’horreur féminin de ces dernières années, All the Boys love Mandy Lane. Et ses menus défauts ne parviendront pas à gâcher la sensation d’avoir assisté à un film qui réapprend à nous faire peur de la plus simple et pure des façons. »

61. Inside Llewyn Davis – Joel & Ethan Coen (2013)

Ce qu’en disait Cinématraque : « Inside Llewyn Davis reste en bouche, grâce à la sympathie émanant des histoires et des personnages des frères Coen. Ici, non pas Llewyn Davis, mais sa maîtresse Jean et, plus étonnamment, les chats qui peuplent le film. Si ceux-ci dominent désormais l’internet, ils se seront également taillés une place de choix dans l’histoire du cinéma. Entre Le Privé de Robert Altman, Breakfast at Tiffany’s de Blake Edwards, ou encore La Nuit Américaine, leurs apparitions impriment la rétine des spectateurs. »

60. A Most Violent Year – J.C. Chandor (2014)

Troisième film de J.C Chandor, et son meilleur. Il se positionne en héritier de Friedkin et surtout de Sidney Lumet. On retrouve dans cette fresque à taille humaine sur l’ascension d’un businessman dans un marché qui semble rendre la violence impossible à échapper. Une véritable tragédie grecque mais dans le froid de New York, avec un Oscar Isaac déjà légendaire et une Jessica Chastain tout aussi éblouissante. Clairement pas un film qui donne de l’espoir quant à notre rapport au capitalisme, mais parfois une grosse claque dans la gueule ça réveille un peu.

59. Essential Killing – Jerzy Skolimowski (2011)

En 2008, la guerre contre le terrorisme battait son plein, les USA voulaient leur vengeance et traquaient les terroristes jusque dans les chiottes. On avait en tête les terribles prisons secrètes étasuniennes un peu partout dans le monde installées avec le consentement d’une partie des dirigeants du monde entier, sans l’accord des populations. Ben Laden échappait encore aux drones qui sillonnaient le Moyen-Orient. Et les USA devaient se coltiner l’image déjà détériorée par leur Patriot Act, d’une « démocratie » pratiquant la torture, légalisée via mémorandum médiatisé lors du scandale de la prison irakienne d’Abu Ghraib en 2003. À l’époque, avouons-le, on connaissait surtout Skolimowski pour son apparition en scientifique très sérieux dans la géniale dernière satire anarchiste de Tim Burton : Mars Attacks. On est allé voir Essential Killing attiré par son pitch paranoïaque en mode survival. Un djihadiste s’échappe d’une prison secrète en Pologne et essaie de survivre dans un territoire dont il ne connaît pas les codes. Cinéaste polonais, Skolimowski a forcement été touché d’apprendre que son pays a participé a ce programme de détention illégale. A travers son film il s’interroge sur comment un individu (Vincent Gallo) se retrouve prisonnier mentalement, le corps entravé au sein d’un territoire pour lui inconnu. Film sonore, mais essentiellement muet, le film impressionne par son exigence de mise en scène, la beauté des cadres et des décors : quelques scènes dans le désert, le reste dans les étendues neigeuses de l’Europe de l’Est. Rugueux et épuré, le film est une sorte de réponse cinématographique à l’ensoleillé Gerry de Gus Van Sant. En suivant parfois son personnage en plan large, simple « pixel » dans le champ de vision d’un drone, le cinéaste rappelle une autre expérience de spectateur, celle que l’on peut avoir en face d’un jeu vidéo. Cette radicalité est une sorte d’aboutissement artistique. Depuis on a rattrapé le reste de son œuvre et l’on a retrouvé ses obsessions. Dans Travail au Noir, il mettait en parallèle la société de contrôle capitaliste qui se mettait progressivement en place en Angleterre et celle qu’il a pu connaître en Pologne du temps du communisme : l’individu dans les deux cas en sort perdant. Pour toutes ces raisons, Essential Killing est une œuvre phare de cette décennie.

58. Manchester by the Sea – Kenneth Lonergan (2016)

C’était avant (mais pas longtemps avant) que Casey Affleck ne soit acceptable au cinéma que caché sous un drap. On a rarement vu tragédie plus déchirante que ce mélodrame. Chaque acteur et actrice y livre aisément sa performance de l’année, même si on retiendra tout particulièrement Michelle Williams. C’est à un autre Williams que l’on pense en se remémorant ce film : car au fond cette histoire horrible et très théâtrale a quelque chose… De Tennessee.

57. Trois souvenirs de ma jeunesse – Arnaud Desplechin (2015)

Ce qu’en disait Cinématraque : « Parmi les quelques grands auteurs du cinéma français contemporain, Arnaud Desplechin est assurément l’un des plus transparents dans sa manière d’envisager l’écriture et la mise en scène d’un récit. Chaque film de Desplechin, au-delà d’un film, est un témoignage de son rapport à son métier et à ses personnages. Peu d’œuvres semblent autant que la sienne tenir sur une reprise très consciente de leurs motifs. L’emploi et le réemploi de mêmes acteurs, pour rejouer les mêmes rôles sous le même nom (Amalric à nouveau Dédalus) ou d’autres noms (Amalric et Emmanuelle Devos à nouveau en couple sans être ni Paul ni Esther dans Un Conte de Noël) comme la circulation du nom de Devereux (d’une psychanalyste noire dans Rois et reine au référent joué par Amalric dans Jimmy P.) sont tout sauf des facilités malicieuses. Du moins pas seulement. Reprendre, faire retour n’est pas simplement l’affaire de la fiction de chaque film, mais du rapport même de Desplechin au cinéma. A son cinéma. »

56. La guerre est déclarée – Valérie Donzelli (2011)

La cinéphilie française avait découvert Valérie Donzelli au tout début de la décennie 2010 avec La Reine des pommes, mais aussi le couple créatif qu’elle formait avec son compagnon de l’époque Jérémie Elkaïm. Ensemble, ils sont les parents de deux enfants, dont un petit garçon, Gabriel, qui frôle la mort dès son plus jeune âge du fait d’un cancer. C’est l’histoire vraie de leur propre fils que Donzelli et Elkaïm portent sur grand écran en 2011 avec cette Guerre est déclarée, qui fit chavirer cette année-là (pourtant l’une des plus belles sélections officielles de la décennie) la Semaine de la Critique à Cannes. Si le sujet du film, si poignant et dramatique soit-il, pouvait prêter à l’avalanche de pathos, la cinéaste parvient à le transcender en restant fidèle à son style tout en faisant un pas de côté par rapport au cinéma naturaliste et en rappelant qu’un grand cinéaste ne se contente jamais de son histoire pour en tirer un grand film. Loin de nous garder la tête sous l’eau en permanence, La guerre est déclarée sait aussi faire rire, danser, divaguer sans pour autant que la charge émotionnelle ne perde jamais de force. C’est aussi parce qu’elle dresse en contrepoint le portrait honnête et sincère d’un couple qui reforge un amour vacillant dans l’épreuve que Donzelli élève son film parmi ceux qu’on n’a pas pu oublier cette décennie. Un film tout en petits moments et en grands sentiments, c’est toujours mieux que l’inverse.

55. Moonrise Kingdom – Wes Anderson (2012)

Si la constance qualitative de la filmographie de Wes Anderson force le respect sur l’ensemble de la décennie, c’est le début de celle-ci que notre top a choisi de mettre en lumière. Puisque dans la foulée de Fantastic Mr Fox dont on a parlé précédemment, c’est Moonrise Kingdom qui débarque avec fracas à la fois aux portes du top 50 mais aussi sur la Croisette, à l’occasion de l’ouverture du Festival de Cannes 2012. Dans la langueur de l’été d’une Nouvelle-Angleterre qui plonge dans les sixties, Moonrise Kingdom est une grande histoire d’amour filmée à hauteur d’enfant. C’est aussi probablement le film qui décortique le plus possible le grand malentendu qui règne autour de l’œuvre de Wes Anderson, souvent réduit par ses détracteurs au rang de grand formaliste froid et corseté, là où ses tableaux filmiques ne sont là que pour mieux poser des images sur un cœur qui bat très fort. Car en pleine lumière, entouré par ce casting secondaire qui fait si souvent merveille chez Anderson, Moonrise Kingdom est aussi la rencontre miraculeuse d’un des plus beaux tandems adolescents de la décennie formé par les débutants Jared Gilman et Kara Hayward. Un couple de cinéma si beau et si fort que Jim Jarmusch le reformera, comme un écho cinéphilique obligé, le temps d’une séquence dans Paterson quatre ans plus tard. Car franchement, qui n’a jamais rêvé d’avoir un souvenir d’amour à la plage, les yeux dans les yeux (ahou cha cha cha), aussi fort que cette parade gauche sur Le Temps de l’Amour de Françoise Hardy ?

54. First Reformed – Paul Schrader (2018)

Tout comme le prêtre Ernst Toller incarné par Ethan Hawke, les cinéphiles que nous sommes avions fini par perdre la foi en Paul Schrader, mythique compagnon de route de Scorsese et lui-même réalisateur pas manchot du tout. Parce qu’il faut le reconnaître, une bonne partie des années 2010 de Schrader est d’une indigence absolument indigne de son statut. L’enchaînement de l’infect The Canyons (néo-noir piteux et happening pété avec Bret Easton Ellis, plus proche des Dessous de Palm Beach que de Mulholland Drive), de l’anonyme La Sentinelle (un DTV de 2014 avec Nicolas Cage, faut-il en rajouter davantage?) et du très quelconque Dog Eat Dog (polar fatigué en pilotage automatique où Scharder s’auto-cite face caméra avec Nicolas Cage -encore- et Willem Dafoe) avait sérieusement écorné son lustre passé. Puis est venu First Reformed pour la faiseuse de miracle A24, au gré d’une collaboration pas toujours heureuse en coulisses. Sur l’écran en revanche, le résultat tient du miracle : à travers le chemin de croix vers la rédemption de Toller, aumônier tenté par le péché après la mort tragique de son fils, Schrader se régénère de lui-même. D’un grandiose ascétisme, sa mise en scène est comme revitalisée au contact du toujours génial Ethan Hawke, dont vous comprendrez rapidement au cours de ce Top 100 tout l’amour qu’on lui porte. Sec comme le vent d’hiver, First Reformed n’en renferme pas moins un lyrisme subtil sous ses atours austères. Époustouflant car inattendu, First Reformed est un don du ciel.

53. Blancanieves – Pablo Berger (2013)

Non, le muet en noir et blanc dans les années 2010, ça n’a pas été que The Artist, absent de notre Top 100 d’ailleurs. C’est aussi Blancanieves, relecture du conte de Blanche-Neige dans l’univers de la tauromachie, des cirques itinérants et du flamenco, signé de ce joyeux doux-dingue de Pablo Berger. Alors qu’on était sans nouvelles de lui depuis quasiment une décennie et son Torremolinos 73, le réalisateur basque y fait à nouveau étalage de sa maîtrise non seulement de la forme mais aussi du cinéma de genre en allant se frotter aussi bien au Bunuel de Los Olvidados qu’au Todd Browning de Freaks, en passant par l’expressionnisme allemand. Porté par un tandem au sommet entre la grande Maribel Verdú, impériale en marâtre démoniaque et la révélation Macarena Garcia, Blancanieves est une ode sincère et émouvante au mélodrame, aux grands mouvements du cœur, de l’esprit, mais aussi de la caméra virtuose de Berger.

52. Toni Erdmann – Maren Ade (2016)

Ce qu’en disait Cinématraque : « Maren Ade, qui aurait pu faire de ce trait de caractère un véritable handicap social choisit plutôt de le filmer avec beaucoup de délicatesse et, de fait, d’intelligence. Son talent, c’est de toujours couper les scènes au bon moment, de ne jamais mettre la carapace de son personnage en difficulté. D’arrêter quand c’est drôle, triste ou beau, quelques millièmes de secondes avant que ça ne devienne gênant ou pathétique. Ce refus total du sensationnalisme façon Joachim Lafosse l’aide à capter ce qu’il y a de plus vrai en lui à travers les blagues qu’il prépare pour rire et les personnages qu’il incarne pour jouer, et à ne jamais s’engouffrer dans l’impudeur de le montrer frontalement déçu des réactions provoquées, triste de n’être pas parvenu à ce que l’on suppute être son objectif. »

51. Une séparation – Asghar Farhadi (2011)

Il faut croire que Cinématraque aime ses histoires de couple quand elles ont la saveur « particulièrement déchirante ». Comme beaucoup c’est avec ce film que nous avons découvert le cinéma de Farhadi, et il ne fait aucun doute qu’il n’a pas réussi à atteindre une telle force émotionnelle et thématique depuis dans ses autres films. Ce qui n’est pas du tout une critique envers son cinéma, d’ailleurs Le Passé est bouleversant… Non, c’est plutôt un compliment envers Une Séparation. On se souviendra longtemps de son plan final, de l’épée de Damoclès qui surplombe le bureau du juge en l’attente d’une décision qui de toute façon ne sera jamais satisfaisante.

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On est pas bien là, franchement? Allez, on fait une petite pause et on revient demain, plus en forme que jamais!

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