Les éclats des joueurs et joueuses de tennis, entre bris de raquette et cri primal, laissent deviner les passions sous-jacentes qui animent un sport en apparence très tatillon – avec ses polos proprets, ses arbitres ergoteurs et ses règles inflexibles. Luca Guadagnino ne s’y est pas laissé tromper en adaptant le scénario de Justin Kuritzkes. Ce dernier a choisi la pratique de ce sport comme cadre pour une histoire de triangle amoureux entre trois athlètes ambitieux, tout au long d’une douzaine d’années. Drôle de coïncidence, il est marié à la ville avec Céline Song, la réalisatrice de Past Lives – une autre histoire d’hésitations sentimentales. Il s’agit après tout d’un motif vu et revu au cinéma, et toute la question est de savoir ce que Challengers en fait qui puisse renouveler un peu le genre…
Ils sont jeunes, ils sont beaux, ils jouent bien du tennis.
Le principal attrait du film est son casting, tout le monde en a conscience. Dans un paysage cinématographique où la romance peine à reprendre du poil de la bête, il faut compter sur un stratagème éprouvé du vieil Hollywood : les têtes d’affiche attractives, c’est-à-dire sexy. Tout sauf toi pouvait compter sur Sydney Sweeney et Glen Powell. Challengers fait encore mieux, ne serait-ce que parce qu’ils sont trois : Josh O’Connor, dont la cote grimpe à la télé et sur grand écran depuis dix ans ; Mike Faist, incroyable Riff de West Side Story version Spielberg ; et a-t-on encore besoin de présenter Zendaya ? Celle qui a commencé sur Disney Channel est devenue une gravure de mode incontournable, une actrice superstar qui vogue sur le succès de ses apparitions chez Marvel, sur HBO et dans les volets de Dune.
Luca Guadagnino est un habitué de la sensualité et des icônes adorées, lui qui a travaillé deux fois avec Timothée Chalamet et dont A Bigger Splash pourrait être résumé par « Dakota Johnson et Matthias Schoenaerts en maillot de bain ». Il a donc pleinement profité d’avoir réuni des interprètes d’une telle qualité : le film leur est entièrement consacré, ils sont à tour de rôle de tous les plans, les autres personnages ne sont que des figurants qui s’effacent derrière eux. Ils sont excellents, en particulier Josh O’Connor, dont les rôles jusqu’alors (l’archéologue paumé de La Chimère, un jeunes prince Charles dans The Crown) n’auraient jamais laissé deviner qu’il fût capable d’un tel sex-appeal, tout en arrogance tranquille et sourires effrontés. La pratique intensive du tennis (pour gagner en crédibilité !) a affûté les muscles du trio, et Luca zoome sur chaque galbe, chaque moue, chaque fossette pour notre plus grand plaisir.
On regarde pour l’intrigue.
The math of love triangles
Le réalisateur a bien compris que les meilleurs triangles amoureux au cinéma sont ceux où les membres de l’audience partagent le même dilemme que les personnages… Et qu’il était temps, peut-être, de faire fi d’une hétéronormativité dépassée pour former un vrai triangle du désir, avec trois côtés et non deux. Les relations entre les trois prodiges du tennis Tashi, Art et Patrick sont tendues dans tous les sens du terme, tension sexuelle et conflits larvés compris. Attention cependant, si la promotion du film a lourdement insisté dessus, le film ne tient pas toutes ses promesses, et le scénario retombe sur des mécanismes qu’il aurait pu éviter.
C’est vraiment dommage, d’autant que le tourbillon d’émotions, de disputes et de rebondissements qui constituent le récit laissaient de l’espace pour plus d’ambiguïté ou de subtilité. Les rapports de classe, les enjeux économiques qui sont pourtant esquissés restent confus, dans la même brume que tout ce qui ne concerne pas directement les actions de nos trois protagonistes. Ils sont pure libido, dans le sens de volonté, d’envies, de caprices, de pulsions, et certaines de leurs motivations plus profondes ou leurs passés demeurent à ce titre mystérieux. Ce qui compte, c’est que les deux amis Art et Patrick désirent Tashi, et Tashi désire avant tout jouer au tennis. Ou l’inverse.
Qui a mis du tennis dans mon fantasme ?
La dimension romantique peut paraître alors un peu cynique. Guadagnino est un habitué des films qui parlent plus aux sens qu’au cerveau, et il semble ici avoir voulu produire de l’adrénaline sous toutes ses formes, qu’il s’agisse de l’excitation liée au sexe ou celle suscitée par les exploits sportifs. Et il a réussi, tant le résultat final est fun et électrisant. Il utilise pour y parvenir une narration non-linéaire, plus justifiée et mieux utilisée que nombre de ses paires ; la meilleure bande-son électro de ces dix dernières années, grâce à Trent Reznor et Atticus Ross ; et des expérimentations formelles ultra-dynamiques.
Plus encore que la lascivité, ses images visent l’exaltation d’une énergie captée, figée, le plaisir du mouvement suspendu. Les scènes d’amour à proprement parler sont toutes interrompues, de même que l’intérêt des matchs de tennis réside dans les échanges, dans l’attente de la balle, et non dans leur conclusion. La musique déferle pour submerger les discussions, comme le rush du cœur qui s’emballe. Et si c’était la meilleure façon d’aborder le chaos inhérent à tout triangle amoureux involontaire ? C’est en tout cas la manière la plus enthousiasmante de mettre en scène un tel cliché depuis longtemps.
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