Euphoria dirigée par Sam Levinson, le réalisateur prodigue du splendide et politique Assassination Nation, est la série adolescente qui a fait couler des larmes en été 2019 sur OCS. Si la saison 2 se fait encore attendre, le réalisateur revient néanmoins un an après pour proposer deux épisodes spéciaux sur ces deux protagonistes, Rue interprétée par Zendaya une jeune lycéenne accro à plusieurs drogues et Jules, sa meilleure amie et/ou amoureuse, sublimée par Hunter Schafer. Le premier épisode spécial d’Euphoria nous ramène là où la fin de la première saison nous avait laissé : sur les échos de « All for us » chantés par Labyrinth et Zendaya – cette dernière parlait de « disparaître dans une douce nuit ». C’est au matin que nous cueille « Trouble don’t last always », sur le dos d’Hunter Schafer, nous laissant espérer que la rechute de Rue, reprenant de la drogue après une sobriété durement acquise, n’était qu’un mauvais rêve. Mais très vite, dans une transition qui nous fait passer à travers le miroir comme une Alice, la réalité frappe les narines avec un rail de coke et la complexe vérité des parcours tragiques des adolescentes que Sam Levinson dépeint s’impose.
La saison 1 se terminait comme elle avait commencé. En 8 épisodes Sam Levinson avait eu le temps de tracer des allers-retours euphoriques par des mouvements émotionnelles qui nous ballotaient brutalement, et dans le final de ces danses adolescentes incessantes, il n’y avait que des larmes, des nerfs défoncés, des volontés d’ailleurs mais du surplace. En contraste beaucoup plus calmes, les deux nouveaux épisodes sortis en décembre 2020 et janvier 2021 dressent une forme de bilan chargé de peines et remords sur la relation au cœur de la série : celle qui unit Rue et Jules.
Le premier, « Trouble don’t last always » prend la forme d’une longue discussion entre Rue et Ali tandis que le second « Fuck anyone who’s not a sea blob » met en scène Jules chez une psychologue pour une consultation qui s’avère être un presque monologue entrecoupé d’images du passé, d’images fantasmées, de douleurs prenant corps, de rêves n’arrivant pas à perdurer. Le dispositif est similaire mais les différences distillent les indices nécessaires pour comprendre les psychés de nos personnages : Rue est en constante confrontation avec Ali, comme elle est en constante lutte contre elle-même, trop consciente de ce qu’elle est, de ce qu’elle fait/a fait et se plongeant depuis toujours dans la drogue pour échapper à sa vérité ; tandis que Jules parle presque seule, se contredit elle-même, revient sur son passé et ses illusions, critique son corps, ses envies, parce qu’elle, au contraire, ne parvient pas à avoir conscience de ce qu’elle est, à se comprendre et se dessiner dans une société qui depuis toujours ne la laisse pas exister.
Les échanges houleux entre Rue et Ali sont là pour apporter une nuance sur la haine absolue que porte Rue sur elle-même, sur son absence de recul dû à sa maladie qui intensifie trop violemment ses sentiments, positifs comme négatifs. Les quelques répliques de la psy de Jules sont simplement là pour l’encourager à, au contraire, cesser d’être si loin d’elle-même et revenir dans son corps pour comprendre son mal-être et définir les éléments traumatisants qui l’ont poussé à la fuite. Les deux débuts synthétisent tout à cet égard : Rue ment à Ali en disant qu’elle va bien, et Jules ne veut pas parler, symptômes accablants pour celle qui a peur que l’on voie ce qu’elle est et pour celle qui ne le sait même pas. Les paroles de la chanson de Labyrinth qui passait à la fin de l’épisode 8, « Still don’t know my name / You still don’t know my name » résonnent plus que jamais avec la menteuse bienveillante et la blonde inconnue à elle-même.
Ces deux épisodes spéciaux introspectifs sont surtout fascinants dans le recul qu’ils nous permettent de prendre sur Rue, celle qui dictait notre regard dans la première saison, notre narratrice. Ancré dans sa réalité, nous en avions oublié celle des autres et le diptyque peint par Sam Levinson montre avec Jules l’envers du décor et souligne une contradiction à la jeune droguée qui peine à voir clair dans sa souffrance et ses substances. Jules, pour la première fois, parle et pour la première fois, sans le truchement de Rue en voix-off, nous l’écoutons.
Nous écoutons une femme qui ne se laisse pas le droit de souffrir, qui a dissimulé les menaces de Nate, qui a nié avoir été abusée, qui a caché son passé en HP, l’abandon de sa mère et la souffrance qu’elle éprouvait à cause de Rue ; nous écoutons une femme qui se fond dans des univers imaginaires, qui vit de fantasmes pour échapper à sa souffrance ; nous écoutons une femme impuissante qui ne peut pas empêcher la métamorphose de ses rêves en cauchemars. Ce n’est pas pour rien qu’à la soirée d’Halloween dans la saison 1, elle était vêtue d’un costume d’ange, le même que son épisode nous remontre à voir. Elle ne sait pas vivre, elle ne sait pas être réelle, et c’est peut-être ici, la première fois que nous arrivons à la voir telle qu’elle est. À la fin, elle demande pardon à sa psy comme par réflexe, se sentant obligée de s’excuser de souffrir.
Rue, elle, face à Ali parvient à déballer une souffrance qu’elle n’a jamais caché, qu’elle exprime dans sa violence, dans ses addictions, dans sa haine contre elle-même. Ce qu’elle doit apprendre c’est croire en elle, c’est croire en tout le bien qu’elle porte, en toute la pureté qu’elle traîne. Elle doit savoir s’aimer pour s’aider elle-même. Elle termine son entretien en larmes, tout en disant qu’elle veut que sa mère et sa sœur savent qu’elle a toujours essayé d’être ce qu’elle n’était pas. Finalement Rue et Jules se ressemblent : la première ne parvient pas à dissimuler sa souffrance mais s’en veut pour cela, torturée de voir les peines qu’elle cause autour d’elle ; la seconde ne fait que tout renfermer parce qu’elle s’en veut par avance, mais ainsi elle blesse par accident avec son caractère autodestructeur imprévisible.
Le résultat est le même, deux jeunes femmes brisées qui font de mauvais choix incontrôlables, qui se haïssent pour faire du mal à ceux qu’elles aiment trop fort. Il faut peut-être dresser là un parallèle avec la religion, sujet au très récurrent dans ces deux épisodes : Ali parle de sa conversion à l’Islam alors qu’il était catholique, et Jules souhaite un « Joyeux Noël » à sa psy qui lui répond être juive, le tout dans une ambiance de fête chrétienne. Voilà une petite métaphore, peut-être, de tous ces cultes qui se confrontent trop souvent mais qui ont pourtant le même objectif d’amour et prônent la même foi en les autres et en soi-même pour avancer.
Jules est torturée par trop de nuances, Rue est brisée de ne pas en avoir assez, et face à cela, on ne peut qu’être bouleversé de constater qu’il suffirait qu’elles se parlent. Euphoria est une série où les êtres se vivent dans des clips, où, incapables de communiquer, ils tentent une gestuelle désorganisée pour se montrer leur amour. Mais cela ne suffit pas. Dans cette vitesse constante pleine de paillettes et de fêtes, les rouges à lèvre masquent les mots mais marquent les baisers, les enceintes vibrantes couvrent les pleurs discrets mais rythment la violence.
La première apparition de Jules en soirée dans la série la montrait se taillader le bras. Rue en a été admirative, y a vu un modèle de femme forte ; alors que derrière cet étrange geste il fallait peut-être distinguer une fille en lutte contre des pulsions de mort, une fille se haïssant au point de pouvoir se blesser sans problème. Rue traite Jules de « menteuse » lors de sa discussion avec Ali, persuadée qu’elle ne l’a jamais aimé, qu’elle l’a trahi, et se résignant même à ce fait, car, comme elle le répète sans arrêt, elle n’est qu’une « piece of shit » et se sent persécutée par tous car elle se persécute elle-même.
Pourtant, lorsqu’enfin nous avons le droit au point de vue de Jules, nous découvrons une femme terrifiée, à tort, à l’idée que Rue ne pourra jamais l’aimer comme elle, elle l’aime. La fin de l’épisode 2, nous offre une lueur d’espoir en les faisant se retrouver, dans la chambre de Jules. Le spectateur ému sait tout, sait qu’elles s’aiment et qu’elles se comprendraient si elles réussissaient à simplement se parler. Mais elles n’y parviennent pas. À l’issue de ces deux épisodes, rien n’a changé, l’intrigue n’a pas avancée, un pari osé pour un réalisateur qui fait volontairement du surplace avec une illusion de mouvement. Ce n’est que les mots qui feront avancer son scénario et ces non-dits ne nous laissent que sur de déchirantes pages blanches.
Euphoria, une série de Sam Levinson, diffusée en France sur OCS.
L’esprit peut vous dire ce qu’il faut éviter et seul le cœur peut vous dire ce qu’il faut faire. Et les films https://cinemay.video/documentaire/ peuvent persuader et changer les perspectives d’une personne…
Des fautes d’orthographe (« mouvements émotionnelles » !), une mauvaise compréhension de la structure de la série (Non, les huit premiers épisodes ne sont pas uniquement du point de vue de Rue, quid de tous les débuts d’épisodes centrés sur les autres personnages ?), pas d’analyse de fond. Le parallèle avec Hopper n’est pas exploité. Aucune mention de l’usage de la musique, pourtant capital dans ces deux merveilleux épisodes.