Dune est devenu l’un de ces mots mythiques du cinéma, associé à des projets maudits : l’échec du film réalisé par David Lynch, la réussite du film non réalisé par Jodorowsky, et maintenant le projet de Villeneuve confronté à l’épidémie COVID et qui, après de multiples reports, va sortir simultanément au cinéma et sur la plateforme HBO Max (aux US) au grand dam de son réalisateur. On était donc très curieux de voir ce que le réalisateur canadien à la carrière fulgurante allait faire de ce mastodonte de la science-fiction, imaginé par Frank Herbert. Le très décevant Blade Runner 2049 avait commencé à nous interroger sur la compatibilité de la patte du réalisateur avec les gros projets hollywoodiens. Dune était l’occasion de confirmer ou d’infirmer nos craintes.
On peut tout de suite vous rassurer. Dune est bien plus réussi que Blade Runner 2049. Cela est notamment dû à une certaine simplicité retrouvée qui sauve le film des lourdeurs habituelles du cinéaste. La nécessité d’expliquer un nouvel univers riche et complexe aux spectateurs a sûrement joué dans la recherche d’un scénario plus épuré. Denis Villeneuve prend son temps, et laisse ses personnages mettre en place progressivement le cadre fictionnel qui devrait les voir évoluer sur plusieurs autres films. La décision de scinder le premier tome de la saga littéraire en deux films apparaît alors comme une bonne idée, puisqu’elle laisse le temps au film de respirer et de de créer une atmosphère bien particulière.
Denis Villeneuve aime les belles images et l’univers Dune est un bac à sable idéal pour ses jeux d’esthète. Certes on frôle deux ou trois l’imagerie de la pub pour parfums, notamment dans les visions oniriques de Paul, le personnage principal interprété de manière très convaincante par Timothée Chalamet, fantasmant une Zendaya qu’il n’a pas encore rencontrée. Mais c’est le prix à payer pour tous ces magnifiques plans de la planète désertique Arrakis sur laquelle se déroule l’histoire qu’on ne développera pas ici pour vous laisser être happé dès les premières minutes du film. Le sable doit avoir galvanisé l’imaginaire de Denis Villeneuve. Les personnages semblent régulièrement être des grains minuscules suspendus dans les airs, d’une fragilité évidente derrière les décorums militaires. Le travail de Greig Fraser, remplaçant Deakins à la photographie, est également à saluer. Le monde de Dune paraît parfois être filmé en noir en blanc, dans un monde contrasté et décoloré comme si le sable avait effacé tous les pigments à force d’usure. Cette sobriété chromatique renforce la puissance et l’ampleur des plans qui nous laissent deviner un univers démesuré. Même les combats obéissent à cette recherche de simplicité : pas de chorégraphies endiablées, mais des duels crédibles astucieusement mis en valeur par la représentation des boucliers colorés. Le réalisateur se permet même de jouer avec les grandes scènes de bataille qu’il semble amorcer avant de les faire disparaître de son cadre, refusant l’épique au profit de l’univers paradoxalement froid et dur qu’il compose.
Qui c’est les plus forts, évidemment c’est les vers !
Il aurait été cependant facile pour Villeneuve de se perdre dans les sables mouvants de Dune. Tout y est propice à la lourdeur. Les personnages sont tous extrêmement sérieux ; même Jason Momoa, sans être non plus tout à fait convaincant, évite d’être le personnage lourd et blagueur qu’on redoutait. Les enjeux sont pesants, les dialogues solennels et les situations désespérées. La musique d’Hans Zimmer, souvent insupportable ne fait rien pour aider le réalisateur. Et pourtant, ça marche, comme dirait Galilée. En marchant sur un fil délicat et surprenant, Villeneuve réussit à imposer une certaine fragilité à tout ce décorum. Il y a du bizarre dans Dune, de l’inexplicable et surtout, chose si rare dans les blockbusters modernes, de l’inexpliqué. On regrette même devant certains plans que le réalisateur ne se soit pas un peu plus concentré sur ces moments de jeu avec l’univers de Dune quitte à couper un peu dans le scénario.
En effet, la dernière partie s’enlise malheureusement un peu tant les enjeux semblent faibles après une première moitié flamboyante. Cela est notamment dû au découpage de ce qui devrait être une seule histoire en deux. Le film se conclue dans son ventre mou et le générique apparaît au moment où l’on sent que l’histoire va repartir. Le marchand de sable finit donc par nous endormir et aurait sûrement dû supprimer au montage certaines péripéties superflues. Mais on l’excuse bien volontiers, à condition que la suite voie bien le jour, ce qui dépendra sûrement d’un résultat au box-office devenu incertain par la sortie simultanée en streaming. Car Dune, 1ère partie n’est pas un film qui se tient en soi, et sans une suite à la hauteur de ce qu’il construit dans ce volet, le château de sable sera très vite détruit dans nos souvenirs de cinéphiles.
Dune, un film de Denis Villeneuve, avec Timothée Chalamet, Zendaya, Josh Brolin, Rebecca Ferguson, Oscar Isaac, Jason Momoa, sortie le 15 septembre 2021