The Fall Guy : l’homme qui tombe à plat

L’interprète de L’homme qui valait trois milliards Lee Majors, après avoir raccroché ses prothèses bioniques, est revenu sur les écrans de télévision dans un nouveau rôle fort en action : Colt Seavers, le cascadeur chasseur de primes de L’homme qui tombe à pic. Oui, ça fait beaucoup d’hommes qui font des trucs pour une seule carrière. La série compte cinq saisons diffusées entre 1981 et 1986, et malgré un impact culturel limité (seule la saison 1 a eu droit à une édition DVD), il a été question d’en faire un remake pour le cinéma dès le début des années 2000. Il y a dix ans, un projet porté par McG et Dwayne « The Rock » Johnson est tombé à l’eau. C’est finalement David Leitch et Ryan Gosling qui s’y sont collés en 2024, et c’est une bonne nouvelle.

En effet, David Leitch a fait ses armes cinématographiques en tant que cascadeur lui-même, en particulier sur Buffy ou Blade. Il est passé à la réalisation en duo avec un autre ex-cascadeur, Chad Stahelski, pour John Wick ce qui a permis à Chad de retrouver Keanu Reeves après avoir été sa doublure. Le succès de leur héros tueur à gages est en grande partie dû à leur expertise toute particulière en scènes de castagne. Pendant que son coréalisateur se chargeait de transformer leur coup d’éclat en saga, David a loué ses services à d’autres franchises (Deadpool, Fast and Furious) et d’autres castings de durs à cuire (Charlize Theron pour Atomic Blonde, toute une brochette pour Bullet Train). Les recettes de ce dernier lui ont permis de continuer sur la voie du blockbuster avec grands noms en têtes d’affiches, et, donc, de s’approprier un héros fait pour lui : Colt Seavers.

Cosplay de Zendaya sur le poster de Challengers

Il y a zéro doute sur ce qui a pu attirer le réalisateur dans ce projet.

La doublure d’une star doit retrouver cette dernière pour sauver le tournage de son ex, une réalisatrice dont c’est le premier film : cette intrigue est un prétexte parfait. Il s’agit avant tout pour David Leitch de faire passer un hommage à la profession déconsidérée qu’il exerçait jadis, de lancer des fleurs à ses (anciens) collègues. La question de créer un Oscar de la meilleure cascade revient plusieurs fois sous la forme de blague dans le scénario.

Dans une telle mise en abyme, impossible de ne pas imaginer qu’il s’agisse d’un véritable appel du pied du réalisateur. Lui qui a vraiment été la doublure de Brad Pitt met en scène la revanche du cascadeur attitré d’un sex-symbol adulé (Aaron Taylor-Johnson). Le film dans le film est une parodie de Marvel volontiers tournée en dérision. Leitch en profite pour lancer quelques piques aux producteurs, aux studios, à leur usage des IA. Enfin, un record de tonneaux effectués par une voiture est battu dans la fiction… autant que dans la réalité.

Incassable (2000)

Le brouillage de pistes en ce qui concerne les artifices cinématographiques est divertissant, mais trouve vite ses limites. La « magie du cinéma », l’admiration pour la résilience de ceux dont la profession est de se faire cogner de toutes parts sont diminuées par l’utilisation d’effets spéciaux lourdingues et un crescendo outrancier dans ce que subit le fameux Colt Seavers. Là où John Wick sort tuméfié de ses affrontements, et alors que l’univers dans lequel il évolue peut justifier ses capacités surhumaines, le personnage du cascadeur (le réalisateur a humblement choisi Ryan Gosling pour jouer son homologue) est à la fois montré comme maladroit, vaguement loser, et capable de se remettre avec une paire d’égratignures de chutes et de chocs dont personne ne pourrait réchapper, le tout alors qu’il est censé souffrir d’une blessure invalidante. Au-delà du côté invraisemblable qu’il y a à voir Ryan « Charisme » Gosling être dénigré et relégué au before de la post-production, le décalage comique finit par saper la mise en lumière du métier en question et de ses dangers… de même que tout ce qui a trait à la romance, pourtant centrale.

‘Cause every time we touch… 

Délit de fun

Sans aller jusqu’à exiger de lui d’être au plus proche du réel, de dévoiler sobrement les vrais trucages et les manœuvres pratiquées par les cascadeurs, on peut regretter que le réalisateur ait tendance à tout vouloir sacrifier sur l’autel du cool et à en faire trop. Ça fonctionne quand les visuels, le scénario, les interprètes suivent. Mais ici les décors australiens génériques, filmés platement, n’ont pas la même qualité d’atmosphère que le Berlin eighties d’Atomic Blonde. Et personne dans le casting ne se bat aussi bien que le peuvent Keanu Reeves ou Charlize Theron.

Ryan Gosling s’amuse beaucoup, il continue d’exprimer tout le talent de gestuelle comique qu’il a déjà mis à profit dans The Nice Guys ou Barbie, mais il se débrouille justement mieux dans les gags que dans la bagarre. Surtout, son personnage est le seul qui existe, et encore, si peu. Il a droit aux répliques cools, aux séquences d’action cools que David Leitch sait toujours ménager et renouveler dans son œuvre. Mais l’ébauche paresseuse de ses failles, de ses motivations, en parallèle de son invincibilité et de ses répliques qui font mouche en font un héros d’un autre temps.

The Fall Guy (2012)

Je ne parle même pas des années 80 dont est issu le personnage, ses looks et la BO peuvent y faire allusion mais le reste a été largement remanié. Non, avec ses blooper reels (coulisses du tournage) dans le générique et ses needle drops (des morceaux de bravoure sur des chansons cultes) à répétition et sa manic pixie dream girl (Emily Blunt n’a pas grand chose d’autre à faire que d’être charmante), The Fall Guy a l’air tout droit sorti du début des années 2010. Mais si, rappelez-vous ! Quand tout le monde (moi y compris) pensait qu’un amas de références et une distance ironique suffisaient peut-être pour faire un bon film, quand on raffolait tous et toutes des scénarios métas, du second degré, de la moindre scène de karaoké. Ce film est né trop tard dans un monde trop vieux, qui a eu le temps de porter aux nues tant de ses équivalents avant de saturer face au flot ininterrompu des films Marvel qui suivent la même recette.

On ne passe pas un mauvais moment, on reconnaît les clins d’œil, on fredonne les chansons, on apprécie de pouvoir contempler Ryan sous toutes ses coutures, on se réjouit de croiser Hannah Waddingham au cinéma post-Ted Lasso. Une version McG x The Rock aurait sûrement été encore plus fatigante, éminemment moins sympathique, mais serait peut-être arrivée sur nos écrans à un moment plus opportun, même si le passé de David Leitch donne une saveur particulière au film présent. À l’heure où la plupart des formules à suivre pour les blockbusters sont caduques, et où les succès au box-office peuvent créer la surprise, on peut comprendre cette tentation de la nostalgie pour une époque plus simple et même la partager – si on ferme les yeux sur la part d’hypocrisie contenue dans une telle entreprise. Avez-vous envie d’être diverti comme en 2012 ?

The Fall Guy de David Leitch avec Ryan Gosling, Emily Blunt, Aaron Taylor-Johnson. Sortie en salles le 1er mai 2024.

About The Author

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.