It follows : à l’ombre d’une jeune fille en pleurs

2010 : David Robert Mitchell enchantait la Semaine de la Critique avec sa première réalisation, The Myth of the American Sleepover. Ce petit bijou de teen-movie, âpre et délicat, révéla un cinéaste déjà affirmé dans son sens de la mise en scène et de la maîtrise du cadre. Loin d’être un simple arty-ficier, l’Américain découpait ses décors, jouant avec la lumière et l’obscurité pour créer de mini-ilôts d’intimité où les personnages se coupaient du monde pour se révéler dans toute leur authenticité. Et confirmait au passage la conclusion empirique selon laquelle ce qu’il y a de plus intéressant et de plus sincère dans une fête, c’est ce qui s’y passe en périphérie. Quatre ans plus tard, David Robert Mitchell dévoile son deuxième film, It Follows, à nouveau en compétition à la Semaine de la Critique, et pour tout vous dire, on était vachement impatients de voir ce que ça allait donner.

Jay, jeune adolesente de 19 ans, vit dans une banlieue pavillonnaire toujours entourée de ses meilleurs amis. Elle tombe amoureuse d’un garçon et se donne à lui sur la banquette arrière de sa décapotable devant un immeuble en frîche. Pour le glamour on repassera, toujours est-il que cette partie de jambes en l’air va lui valoir une malédiction en bonne et due forme, qui prend l’apparence de personnes d’aspect différents marchant vers elle sans cesse. Entourée de ses amis, Jay va devoir échapper à ces apparitions. Seules issues : la fuite, la mort ou la transmission à un autre damné au cours d’un rapport sexuel.

Ce pitch un peu bizarre n’est pas sans rappeler un film hollywoodien, Le Témoin du Mal, avec Denzel Washington et John Goodman, où le diable circulait de personne en personne par l’intermédiaire du contact physique. It Follows y ajoute la dimension sexuée, d’autant plus intéressante qu’elle concerne des adolescents pour la plupart encore en phase d’éveil de leur sexualité. David Robert Mitchell se plaît d’ailleurs fortement à tailler en morceaux cette Amérique virginale et policée, celle des pavillons de bonnes familles et des petites filles sages. Des banlieues sans histoire et sans âge, un monde contemporain qui semble encore figé dans les années 80. Et sur bien des points, le lieu de l’action rappelle celui de The Myth of the American Sleepover. Pour reprendre une formule de Léo Soesanto, critique aux Inrocks et membre du comité de sélection de la Semaine de la Critique, si le précédent film du cinéaste était la petite soeur candide, It Follows est le grand frère qui a grandi enfermé dans la cave.

Car c’est bien à un vrai film d’horreur auquel on a à faire. Et pas à un de ces innombrables enchaînements de jump scares qu’on voit fleurir sur tous les écrans. Car si la peur est bien présente, elle ne surgit quasiment jamais de nulle part. La menace dans It Follows, elle se voit de loin, elle naît d’un détail au trois, quatre, cinquième plan. Un petit point qui devient grandit, grandit, grandit inéluctablement, ce qui la rend plus angoissante encore. Si l’on convoquera par la suite quelques noms de cinéastes, ne vous inquiétez pas, sur cet aspect le film s’inscrit dans une tendance de l’horreur qui s’exprime aussi beaucoup dans le jeu vidéo, à l’image de titres comme Slender ou Amnesia : The Dark Descent, où la simple vue de l’ennemi au loin peut vous flanquer la trouille de votre vie.

Cette puissance de l’apparition maléfique est renforcée par un travail esthétique absolument brillant, fait de travellings et de panoramique soignés, magnifiés par le Cinémascope, et d’un sens de l’étirement temporel qui tranche avec la tradition des montages cut flippants. Il est également indispensable de louer le travail sonore extraordinaire du film, fait de leitmotivs sourds et lancinants, qui installent une ambiance oppressante perpétuelle où les ruptures sont encore plus inquiétantes que les longues plages de bam-bam-bam. David Robert Mitchell est à coup sûr un cinéaste très sûr de son art, capable de faire évoluer sa mise en scène pour la faire coller au plus près de ce qu’il cherche à faire éprouver à son spectateur. Soigné et classieux, traversée de flashs morbides et étouffants, on ne peut pas s’empêcher de penser aux meilleurs films de Carpenter en sortant d’It Follows.

Cependant, le soin apporté à une ambiance glauque ne cache pas quelques lacunes qu’on attendait pas de la part de Mitchell. Si la présence de certains poncifs du genre horrifique (maisons abandonnées, sidekick amoureux de l’héroïne, forêts filmées dans la pénombre) sont dans l’ensemble détournés assez judicieusement sans jamais emprunter la pente du second degré, le film néglige quelque peu la caractérisation de ses personnages, pour certains assez désincarnés. En dépit de quelques belles idées (une des amies de Jay lit L’Idiot de Dostoïevski sur une liseuse en forme de coquillage rose hideux et pas très pratique), ils n’ont parfois qu’une fonction utilitaire. Et sans la raconter, la fin un peu elliptique du film ne convainc pas totalement malgré la beauté suspendue de son dernier plan.

It Follows est la confirmation que l’on tient en David Robert Mitchell un des réalisateurs les plus fascinants et virtuoses de sa génération. Récit d’initiation sexuelle sous couvert de cauchemar éveillé jamais moralisateur, il révèle également le joli minois de Maika Monroe, dont la frêle silhouette nous rappelle une petite soeur angélique de la non moins envoûtante Amber Heard dans un autre grand film d’horreur féminin de ces dernières années, All the Boys love Mandy Lane. Et ses menus défauts ne parviendront pas à gâcher la sensation d’avoir assisté à un film qui réapprend à nous faire peur de la plus simple et pure des façons.

It Follows, de David Robert Mitchell avec Maika Monroe & Keir Gilchrist – Sortie prochainement

 

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