Under The Silver Lake : Lipstick Traces

Cette année, on a comme l’impression que les expériences cinématographiques priment sur la volonté de construire un récit limpide : Le Livre d’Image, Donbass, Un grand voyage vers la nuit ou même Burning, elles ont été nombreuses les œuvres à refuser de nous donner la carte précise pour déchiffrer leur contenu et c’est tant mieux. Parmi ces films, Under The Silver Lake est sans doute le plus mainstream, mais paradoxalement le plus barré d’entre eux. Sa trame, pourtant, n’a rien d’extraordinaire. La matrice du film noir a un nom : Raymond Chandler. Il y a comme ça des noms magiques, qui dans toute la pop culture, ont créé les bases d’une société spectaculaire. L’utilisation du génie artistique par l’industrie pour en faire une idéologie de masse, c’est toute la problématique du dernier film de David Robert Mitchell. Ce qui préoccupe l’auteur de It Follows a déjà poussé un de ces collègues à faire un film : Ready Player One. Là où Spielberg, comme toujours, trouve toutes les raisons pour expliquer que la pop culture, entre de bonnes mains (celle de l’artiste, des joueurs – au sens situationniste du terme) permet de mettre un terme à l’exploitation, David Robert Mitchell à une vision bien plus paranoïaque.

dimension tragique

Si l’on pense devant le personnage d’Andrew Gardfield au Dude, incarné par Jeff Bridges dans The Big Lebowski, Under the Silver Lake est plutôt construit comme un parfait palimpseste de The Long Goodbye, adaptation de Chandler par Robert Altman. Il y a dans Under The Silver Lake une dimension tragique qui est absente du film des frères Coen. Under The Silver Lake est blindé de fausses pistes, et la première est d’assimiler Andrew Gardfield à Jeff Bridges ou de le confondre avec Bill Pulman de Lost Highway, et Humphrey Bogart de The Big Sleep. Le cinéma de David Robert Mitchell va plus chercher son inspiration chez Robert Altman que chez les Coen, Lynch (dans l’horreur bizarre et charnelle, faut plus creuser chez Cronenberg). Ce qui l’intéresse ce n’est pas la névrose de l’individu, mais de mettre en scène un groupe social et chercher ce qui lie ce groupe et ce qui peut le faire exploser. Ces questionnements parcours toute son œuvre, de The Myth of the American Sleepover, à Under The Silver Lake, il décortique une communauté, tout comme le faisait Altman. Il constate que ce qui définit le groupe des années 2000, c’est le fait que le groupe, celui qu’il met en scène dans The Myth of the American Sleepover est attaqué par une force invisible qu’il s’agit de saisir (It Follows) et qu’il faut maintenant enquêter sur cette force qui fait exploser le groupe : Under The Silver Lake.

Le dernier long métrage de David Robert Mitchell, est un film fou, parfait miroir d’une situation donnée, la nôtre : où l’on est défini par ce que l’on consomme et l’on condamne un système, celui du loisir, la fameuse « société du spectacle » que l’on réclame dans un même mouvement. Spielberg, donc, démagogue laisse croire au spectateur qu’en contrôlant le jeu, il pourra politiser le loisir pour en faire une force révolutionnaire. David Robert Mitchell n’en croit rien, l’industrie a plusieurs longueurs d’avances sur le spectateur, et joue de la culture populaire pour s’imposer plus profondément dans l’imaginaire de ce qu’il considère comme consommateur. Ce n’est pas un hasard si notre héros est défini par ces multiples dépendances, aux psychotropes, au sexe, aux filles, au cinéma, à la musique ou aux jeux vidéo et surtout aux théories du complot. Andrew Garfield est l’incarnation de l’homme cis hétérosexuel, très cultivé, formé par la culture marchandisée incollable sur la contre-culture: il fume des joints. Comme dans un film de Greg Araki, on lui reprochera de puer autant de la skunk, que du skunk . Comme pour The Long Goodbye, le détective privé à un animal totem : Elliott Gould avait un chat, Sam doit se coltiner une mouffette, dont le nom anglais, Skunk, est largement utilisé en France pour désigner la beuh. Under The Silver Lake est un constat, sur l’apathie populaire depuis la mort du flower powers, et de la découverte des crimes de Charles Manson. Il y a eu à la fin des années 60 une force populaire qui aurait pu permettre de pousser les idées progressistes au pouvoir et, finalement, il ne fut rien. Sauf dans l’utilisation des « produits » culturels pour pacifier la violence capitaliste et rendre inoffensive la subversion de la contre-culture : en d’autres mots il a fallu domestiquer la contre culture. Alors que la culture capitaliste peut enfin fêter sa grande victoire sur l’utilisation subversive des cultures populaires, arrive sur le devant de la scène deux films qui sortent de ce système anti système et qui tentent de faire réfléchir les spectateurs sur leurs degrés d’implication dans la course folle vers le néant. Ready Player One et surtout Under The Silver Lake.

Under The Silver Lake qui lui aussi interroge notre rapport au complot.

Il y a quelque chose d’étrange à voir débarquer Under The Silver Lake en compétition, treize ans après le fiasco de Southland Tales de Richard Kelly. Rare sont ceux qui ont pu voir le second film du réalisateur de Donnie Darko sur la croisette. Cette attaque frontale contre le résultat de l’idéologie de la société du spectacle, voyant affronter néomarxiste et bourgeoisie mégalomane autant décervelée qu’extrêmement dangereuse avait fait exploser les cerveaux des festivaliers à l’époque. Visionnaire le film fut un tel four durant le festival que le film fut remonté.  Sous sa forme commerciale Southland Tales, aujourd’hui, bénéficie d’un culte que David Robert Mitchell n’a pas pu laisser de côté. La dimension paranoïaque, parfois prophétique du film de Richard Kelly, imprègne Under The Silver Lake qui lui aussi interroge notre rapport au complot.

Tout le film repose sur l’idée que notre attirance vis-à-vis de la culture populaire provient des messages cachés que l’on peut y déceler. Natacha, dans Leto (en compétition) le rappelle « se tenir la main peut être plus dangereux que de s’embrasser ». Telle est la pop culture : quelque chose d’assez inoffensif, jusqu’au moment ou justement cela offense et se devient objet dangereux. Il faut, alors l’éliminer. Tout comme la charge de Southland Tales a été poussée hors du cadre du festival de Cannes, Under The Silver Lake devrait passer inaperçu au palmarès.

Et l’on en vient à la dimension complotiste d’Under Silver lake. Parmi les nombreuses obsessions de Sam, notre, héros, vient celle que tout son monde culturel est le résultat d’un gigantesque complot. Qu’il y a un message caché dans chaque chanson, que tous les hits ont été écrits par une sorte de Paul Williams, et que notre monde ressemble à un film de Brian de Palma. Surtout, le complot doit cacher la nouvelle domination des nouveaux maîtres de la technologie qui se voit comme de nouveaux saigneurs, tellement pété de tunes qu’ils se projettent dans l’immortalité. Pour conserver ce pouvoir, les riches ont organisé une solidarité de classe qu’ils tentent de défaire au sein des peuples. En s’appuyant sur un guide du hobo (SDF en anglo américain) pour décrypter la carte secrète, Sam met a jour le complot new age des supers riches. Comme pour toutes les pistes mises en avant par Robert Mitchell, la piste du complot des riches ne mène nulle part, et comment lui donner tort : il n’y a pas de complot, juste des milliers de compromissions de tout à chacun, vis-à-vis d’un système qu’on le honnie, mais que l’on n’a pas vraiment envie d’envoyer bouler.

Under The Silver Lake de David Robert Mitchell, avec Andrew Garfield, Riley Keough, Jimmi Simpson, Topher Grace, Zosia Mamet, Riki Lindhome, Callie Hernandez, Patrick Fischler. Sortie prochaine

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