Nous insistions à l’occasion de la sortie de l’indispensable documentaire Homeland : Irak Année Zéro, sur le fait qu’il ne fallait pas tomber dans le piège de la guerre intérieure, vendue par les néoconservateurs. Cette soit disant guerre au terrorisme a justifié en décembre dernier des assignations à résidence de militants écologistes ou anarchistes et a radicalisé une tendance : la criminalisation des luttes sociales. C’est là tout le sujet du nouveau film de Françoise Davisse qui, après Merci Patron du journaliste François Ruffin, amène un certain vent de révolte dans le paysage du cinéma français. Ça fait du bien. Faisons le point pour bien comprendre en quoi la lutte des ouvriers de chez PSA d’Aulnay-Sous-Bois est importante, et a été, avec les actions des cols bleus de Continental et de Goodyears, un premier pas vers l’agitation sociale actuelle.
« Il y a une guerre des classes, c’est un fait et c’est notre classe, celle des riches, qui est en train de la gagner » ces mots prononcés par le multimilliardaire Warren Buffet sont loin d’être des paroles à prendre à la légère. En usant des armes du chômage et des nouvelles techniques agressives de management, cette guerre de basse intensité est responsable, chaque année en France, des milliers de morts et d’accidentés du travail. C’est, ces jours-ci sans doute dur à entendre, mais les décisions politiques de ces quarante dernières années ayant pour but de « défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la résistance » ont fait bien plus de morts en un an que le terrorisme. Au sortir de la guerre contre les fascismes, la droite gaulliste et les communistes s’étaient associés pour imposer aux industriels, qui s’étaient enrichis lors de la collaboration, un socle social progressiste et humaniste. Plus tard, l’extension mondiale de l’idéologie néolibérale, théorisée par Friedrich Hayek et Milton Friedman a changé la donne. L’expérimentation sanglante en Asie et en Amérique du Sud à l’échelle de pays de cette idéologie a inspiré les classes dirigeantes de puissantes démocraties. En à peine 30 ans, les grandes entreprises françaises ont ainsi progressivement récupéré le pouvoir qu’elles avaient été poussées à partager. Bien que gênés par la robustesse des mesures antifascistes du CNR, les capitaines d’industrie ont fini par être aidés par la conversion des appareils socialistes à la contre-révolution conservatrice. L’échec de l’hypothèse communiste a balayé toute contre-proposition à l’avènement de cette mutation ultraviolente du capitalisme. Dès le début des années 80, ceux qu’on appelait encore la gauche ont, en premier, enclenché la dérégulation financière chère à Friedman. En 1999, puis en 2002, le leader du PS, Lionel Jospin a fini par mettre des mots sur l’abandon des valeurs sociales par les technocrates qui tiennent encore aujourd’hui le parti. En déclarant face aux ouvriers de chez Michelin que « l’État ne peut pas tout » et en expliquant plus tard que le socialisme n’était pas moderne, le candidat à la présidentielle de 2002 a personnifié l’abandon des classes populaires par la seule formation « de gauche » à pouvoir être un jour au pouvoir. Comme de bien entendu, il fut éliminé et laissera le parti fasciste se retrouver pour la première fois au second tour, face à un Chirac affaibli. Mal élu, ce dernier va pourtant continuer à s’attaquer au socle social, sous l’œil bienveillant de l’extrême droite. Entre temps, l’idéologie néolibérale s’est étendue. Dans l’ensemble, l’idée « There is no alternative », célèbre punchline de Margaret Thatcher, est largement acceptée. Les grandes familles industrielles, converties aux joies de finance mondialisée, ont alors pu imposer des destructions d’emplois à leurs seuls avantages, aidé par des politiques antisociales de démantèlement de la cohésion ouvrière. Il n’est aujourd’hui plus rare de considérer que le prolétariat n’existe plus, remplacé par les précaires. Comme des lions démontrent qu’il n’en est rien.
Ce rapide éclairage quant à l’état du théâtre des opérations est capital pour mettre en avant la violence froide de l’idéologie à l’origine de la destruction de l’usine. Il était, également, nécessaire de rappeler l’allégeance des personnalités politiques de premier plan aux grandes familles industrielles. La nasse des directives européennes, réelle, ne peut cacher la responsabilité des élus, qui par leur travail dévitalisent l’utilité de l’État. Garants de la démocratie, ils transforment le rêve européen en cauchemar. Avec Comme des Lions, Françoise Davisse, oppose à ce constat, la force de l’humain et la résistance ouvrière. Partant de l’idée que les dirigeants de Peugeot sont entrés en guerre, la cinéaste leur impose une guérilla filmique. À l’instar de Ruffin, sa caméra devient une arme qu’il s’agit de pointer sur les responsables du désastre actuel : dans Merci Patron il s’agit de mettre en joue LVMH, Bernard Arnault et les barons socialistes du nord de la France. Pour Françoise Davisse, c’est à une autre famille d’industriels que s’adresse son Scud : Philippe Varin, et l’UIMM dont l’histoire n’est qu’une incessante valse avec l’idéologie et la violence fascistes. Pour autant, si les deux films se répondent, se complètent et arrivent sur nos écrans de façon simultanée, l’attaque cinématographique n’est pas coordonnée. L’un et l’autre pourtant participent à la résurrection de la fierté ouvrière, et l’un dans l’autre, s’imposent comme le ciment des luttes à venir. Si on peut reprocher au premier le fait de céder aux sirènes du spectacle et au narcissisme de son hilarant créateur, la seconde se situe à un autre niveau. Le projet de la documentariste est de se mettre au service des ouvriers. Face à la situation, elle choisit son camp : celui d’être d’abord un bouclier protecteur, par la médiation de la caméra, qui devient dans ses mains une arme dont se méfient les puissants. Mais les images, que cet outil lui permet d’enregistrer, ont en même temps le rôle important d’une mémoire de la lutte. À la mélancolie individualiste du combat selon Ruffin, elle préfère mettre en avant la possibilité de l’action collective. Sans voix off ni d’interview en face à face, Comme des Lions privilégie le portrait au sein de l’équipe. Sans artifice, Davisse propose aux spectateurs de suivre la construction d’un combat commun affrontant la violence du système capitaliste. Pour ce faire, elle choisit de mettre en avant la parole publique d’un groupe d’ouvriers, pour la plupart membre de la CGT. On découvre l’optimisme et la douceur de l’engagement de Jean Pierre Mercié, délégué du syndicat de l’usine. Pour l’épauler dans son travail, c’est un ami de la cinéaste, Philippe Julien, qui jouera le pragmatique secrétaire de la CGT de l’établissement. Deux sides kicks complètent le tableau : Salah Keltoumi, ouvrier bonhomme et surtout Agathe Martin qui révèle sous ses airs de brindille, une combativité forçant le respect. Ensemble, ils vont convaincre avec leurs petits poings plus de quatre cents travailleurs de l’usine à imposer la grève et à tenir tête à une structure kafkaïenne protégée par différentes strates à l’utilité policière.
Le constat est encore le même que celui de Ruffin : pour décrédibiliser la parole ouvrière, le patronat peut s’appuyer sur un système bien rodé. Pour celui qui veut défendre ses droits, le premier rempart à détruire est celui de la propagande médiatique qui s’impose naturellement face à la colère du peuple. Au contraire des dictatures, en démocratie, les patrons de presse et les éditocrates sont libres de protéger les intérêts politiques et financiers de la classe dirigeante. « Étonnement » on remarque, incrédule, que Jean-Pierre Elkabach, « souffre-douleur » de François Ruffin lors de la promotion de son film, est dans Comme des Lions pris en flagrant délit de mensonge. Baigné sans doute dans l’idéologie dominante depuis tout petit, il ne peut croire autre chose qu’à la bonté patronale et la malhonnêteté syndicaliste. There is no alternative, on vous dit : le syndicalisme est par nature violent, et le patronat un moyen d’avoir des réductions sur le Champagne. Une situation qui en rappelle une autre : souvenez-vous, lorsque les ouvriers de Continental avaient exprimé leur colère, David Pujadas sommait leur représentant syndical, Xavier Mathieu, de condamner ces manifestations. De la même manière, cette protection médiatique face à la fureur du peuple sera également illustrée dans Comme des lions, par un champ contre champ. La scène se déroule durant la campagne électorale de 2012. À l’époque, François Hollande était l’ennemi de la finance, une position franche qu’il n’a pas hésité à imposer lors de son séjour à la City, au cœur de Londres où il précisa : « il n’y a plus de communiste en France ». Dans Comme des Lions, Françoise Davisse utilise de façon intelligente des stock-shots du journal de 20 h de TF1. Le show informatif, comme souvent décide de reprendre lui même les images fournit par le staff communication de l’équipe de campagne de Hollande. Sur ces images, on y voit l’arrivée en berline du futur président, filmé via une caméra fixée sur une grue, éclairée par une batterie de lumière hollywoodienne. Au loin, se distingue une foule que l’on pense être là pour supporter l’espoir qu’incarne le candidat socialiste. Mais lorsque le politique parvient à leur niveau, Davisse change d’angle et utilise ses propres plans, qu’elle prend à hauteur d’homme. La séquence se termine avec la bande ouvrière, s’éloignant de cette mascarade et se moquant du peu de charisme de ces braves communicants. En opposant ces deux représentations, la propagande médiatique et l’acte créatif de l’iconographie militante, Françoise Davisse réduit à néant la mise en scène de la sincérité du candidat qui se vend socialiste. Elle impose, par contre, ses camarades de lutte dans la réalité de l’image cinématographique. Autrement dit, elle réinjecte du politique là où il n’y avait plus que communication.
Ce premier rempart brisé, un autre doit être déconstruit. Lorsque la propagande médiatique ne suffit plus, il est toujours possible pour le pouvoir politique et financier de pousser les protestataires à la faute. Ainsi ils criminalisent la lutte. Si les nouveaux chiens de garde chers à Nizan ne sont pas suffisants, il faut faire confiance aux forces de l’ordre. Là encore, il n’est plus question d’envoyer les compagnies républicaines de sécurité (mise en place au lendemain de la guerre), mais d’opposer aux manifestants directement des militaires de la gendarmerie mobile. Françoise Davisse montre habile en démontant la représentation que cherche à promouvoir le pouvoir institutionnel. La cinéaste capte, en effet, à plusieurs reprises le dialogue constructif mis en place par les syndicalistes avec les hauts gradés chargé de retenir leur troupe. On garde alors plus l’image d’un corps politique aux abois, protégeant les intérêts financiers des grands patrons et l’impuissance militaire à face à une situation qui ne devrait pas être de son ressort. C’est d’ailleurs en cherchant à filmer cette situation que la cinéaste capte la plus belle expression de la solidarité prolétaire. Un esprit de classe qui émerge sans prévenir : alors qu’un geste est mal interprété par un gendarme, un des ouvriers est maitrisé. Les forces de l’ordre tentent, ensuite, de le conduire dans un panier à salade. Plutôt que de l’abandonner à son triste sort, ce sont l’ensemble des manifestants qui vont obliger les militaires à les arrêter. Pour se faire, ils prennent d’assaut les véhicules de police pour se constituer prisonniers. Dans un même registre de répression, on peut souligner le rôle intimidant des actions administratives lancées contre les grévistes. Les cadres de l’usine vont ainsi utiliser des huissiers pour faire pression sur les travailleurs. Tout comme les journalistes de salon, ces derniers n’hésiteront pas à inventer des agressions pour délégitimer le combat ouvrier. La violence physique, autant que psychologique employée pour casser la grève ne sera pourtant pas suffisante pour arrêter les manœuvriers de PSA. Quatre mois après, ils seront toujours capables de mobiliser le corps des travailleurs. Ils réussiront même à faire la jonction avec d’autres prolétaires en lutte, comme ceux de chez Renault.
Si Françoise Davisse déconstruit méthodiquement la logique idéologique de criminalisation des luttes, elle met en lumière l’impasse politique dans laquelle se trouvent nos représentants. Au niveau national, ou local, ces derniers se montrent impuissants face à la pieuvre financière qui impose la fermeture de l’usine. Hommes politiques, ou hauts fonctionnaires chargés de pacifier le conflit, tous bottent en touche. Certains comme ces représentants de l’État restent silencieux lorsque les ouvriers leur rappellent la puissance de la main de l’État, lorsqu’il y a une volonté politique. D’autres, comme Arnaud Montebourg, représentant la soit disant aile gauche du Parti Socialiste cache leur impuissance en usant de la langue de bois et de sourires charmeurs. Plus tard, c’est la paresse idéologique et politique du maire socialiste d’Aulnay-Sous-Bois qui est brutalement soulignée. Lui comme les autres assure aux grévistes qu’il ne peut rien faire. Pour des raisons que l’on ignore ici, il n’ose pas intervenir dans le débat qui malgré tout s’instaure entre les travailleurs en lutte et la direction de PSA. Le constat cruel que fait la cinéaste est celui-ci : une classe moyenne ou carrément bourgeoise entrée en politique, sans doute pour des raisons nobles, mais qui au final travaille à rendre caduque l’utilité du politique. À travers des décisions politiques, les vraies rênes du pouvoir sont transmises aux grands groupes industriels, à l’IUMM et au Medef. François Davisse par son sens de l’observation, sa ruse et sa mise en scène donne corps à cette impuissance des cadres des partis politiques. Cette perte de pouvoir est d’autant plus flagrante que tout le film est une démonstration de l’efficacité du combat politique. Il y a quelque chose de jouissif à voir de jeunes vidéastes sur internet revendiquer l’influence de Merci Patron lorsqu’ils ont lancé le hashtag #OnVautMieuxQueÇa. Il est tout aussi réjouissant de voir des projections publiques de Comme des Lions dans les universités parisiennes. L’air de rien, on assiste à une convergence des luttes qui prend son origine dans le combat ouvrier. Pour une classe sociale que l’on disait disparue, c’est plutôt pas mal ! Certes, les quatre cents grévistes de PSA n’ont pas réussi à empêcher la fermeture de l’usine d’Aulnay-Sous-Bois. Certes PSA n’a pas tenu ses promesses de reclassement de l’ensemble des ouvriers. Mais les travailleurs d’Aulnay ont réussi à faire renaitre la fierté ouvrière, à démontrer qu’au fond, la classe ouvrière est bien plus vivante et puissante que les autres. Le combat est très loin d’être terminé, la guerre que les riches font au reste de la société bat, toujours, son plein. Il n’y a qu’à voir les réactions violentes du ghetto riche du XVIe Arrondissement lorsque la Mairie de Paris propose d’y installer temporairement des locaux pour recueillir des sans-abris. Le maire de l’arrondissement, Claude Goasguen (ancien militant d’extrême droite proche du groupuscule fasciste « Occident ») allant jusqu’a dire « Vous voulez dynamiter la piscine [située à proximité du futur centre d’hébergement, NDLR] ? Ne vous gênez pas, mais ne vous faites pas repérer.» . Une apologie d’actes de terrorisme, pourtant punie par la loi. Selon le côté duquel on se place, la répression n’est pas la même. De la même manière que le pouvoir a utilisé les mesures antiterroristes contre des écologisites, l’État préfère faire condamner des syndicalistes à plusieurs mois de prison ferme plutôt que de poursuivre les crimes et délits de la classe dominante. Y a pas à dire : on vaut mieux que ça.
Comme des lions de Françoise Davisse, documentaire. 1h55
BANDE ANNONCE COMME DES LIONS from Les films du balibari on Vimeo.
Putain j’aimerais bien le voir mais alors ca risque pas d’etre diffuse aux US ce genre de docu…