La Permanence, passionnant documentaire désarmé

Il y a, dans La Permanence, une scène qui résume tout aussi bien ce qu’est le métier d’un documentariste et l’état du monde actuel.

Une femme et son bébé sont reçues par le docteur et son assistante. Ils viennent d’une Afrique du Sud qu’ils ont fui pour des raisons qu’elle n’explique que vaguement, à demi-mots. Des raisons que l’on suppute impossibles à raconter. Quelques mots-clés tout au plus. Ces raisons, elle les a néanmoins rapportées aux autorités françaises, dans l’optique d’obtenir le statut de réfugiée. Et c’est lorsque le docteur prend connaissance de celles-ci sur le récépissé que la dame fond en larmes. Des cris de honte, de colère, de tristesse.

D’un flegme impressionnant, le docteur est, l’a-t-on découvert durant l’heure précédant la scène, un super-héros des temps modernes. Il se contente de lâcher à sa psychiatre d’assistante : « elle a eu une vie de merde ».  Il essaie de reprendre le contrôle de la situation, en demandant à la dame de se calmer. Impossible.

Démunie face à l’horreur d’une vie brisée, la psychiatre trop occupée à pouponner le bébé au regard résolument tourné vers sa maman en larmes, jette un regard démuni à Alice Diop, la réalisatrice du documentaire. Et donc à nous, spectateurs.

Alice Diop a 37 ans. Emue aux larmes lors de la présentation de son film au Festival du Cinéma du Réel, elle nous en a raconté sa genèse. Ce cabinet médical hors du commun recevant et prodiguant gratuitement des soins à des migrants, elle a mis du temps à y trouver sa place. En tout, elle y a passé 3 années. Avec son stylo et son dictaphone, elle a d’abord écouté les récits de tous ces gens. Elle a appris à les connaître. Le docteur, présent dans la salle, renchérit : « Alice faisait réellement partie de l’équipe soignante ». Le pas franchi de la caméra installée, celle-ci, peut-on le voir dans le film, est également devenue objet thérapeutique. En effet, dans La Permanence, nombreux sont les regards caméra de patients démunis, seuls face à ce monde si cruel.

Evidemment, ces regards ont une résonance terrible, mais le médecin sait toujours les assagir, les calmer, le temps d’une séance qui ressemble autant à un rendez-vous chez le médecin qu’à une consultation chez le psy.

Des gens abimés, détruits, aux fractures multiples, aux mots de tête incessants, aux jambes remplies de bleus. Les blessures, jamais nous ne les verrons. Nous n’en connaîtrons que les symptômes, vaguement expliqués via des mots-clés en anglais, français ou espagnol approximatifs. C’est toute la douleur du monde sur grand écran.

Et la force absolue du film réside dans le triangle thérapeutique qu’il met en scène. Un docteur flegmatique, une psychiatre dépassée par les événements et une caméra, désespérément impuissante…

Cette caméra que l’on qualifiera donc de thérapeutique trouve sa limite lors de ce regard que lui adresse l’assistante, bébé dans les bras, maman sud-africaine inconsolable face au docteur désarçonné. Alice Diop prend la parole. « Je peux la prendre par l’épaule ? ». Tout le monde acquiesce. Et la caméra n’a plus de pilote. Sa propriétaire est entrée dans le cadre. Sa main, en tout cas. Elle caresse l’épaule de l’inconsolable maman. En haut à droite de l’écran, l’on aperçoit la perche. Et le bébé de la regarder avec insistance. Une autre main, celle du perchman, qui vient faire des « coucous » au bébé, qui s’en amuse.

La caméra tourne encore, mais sans pilote. Nous sommes désormais seuls face à ce spectacle de la fin d’un documentaire, de l’incapacité de la réalisatrice de continuer à tourner. La scène nous offre ce triste spectacle de l’échec d’une documentariste face à un sujet trop fort, face à un monde trop violent. Rattrapée par le réel.

La Permanence, d’Alice Diop – En salles bientôt

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