Avec le Napoléon de Kubrick et le Don Quichotte de Gilliam, le Dune de Jodorowsky fait partie des films non réalisés qui ont le plus fait parler d’eux. Frank Pavich revient ici sur la presque genèse d’un projet fou.
Le film ne fait clairement pas dans la nuance, ou l’enquête. C’est un vibrant hommage à la folie créatrice de Jodorowsky. Tout le film nous le montre à la fois visionnaire et totalement givré (on rit d’ailleurs souvent de ces idées insensées). Le récit de ce projet est d’abord porté par le principal intéressé, Jodorowsky qui semble revivre une dernière fois ce qui devait être la plus grande œuvre de sa vie à travers ce documentaire. C’est l’occasion pour lui d’exprimer tout ce qu’il avait voulu faire et pour nous spectateur de nous lamenter sur l’échec du projet. D’autant plus qu’après avoir montré progressivement la construction de ce projet, le documentaire évacue rapidement la raison de son échec, créant un véritable sentiment d’injustice.
Raconter ce projet à travers la parole de Jodorowsky apparaît comme la meilleure, et sûrement la seule, façon de rendre justice à cette aventure. Son discours est fascinant et hypnotisant. Il nous tient en haleine pendant tout le documentaire et on finit par voir les choses comme lui. Il n’est pas étonnant que cet homme ait réussi à entraîner tant de monde dans ce projet fou, étant donné son aisance à raconter son univers. La façon dont il recrute les artistes qui l’accompagneront ressemble même à Ocean’s Eleven. Je ne vous gâcherai pas la surprise en révélant certains noms, mais Jodorowski ne ment pas quand il dit vouloir réunir la Dream Team, ses « warriors » comme il les appelle. La façon dont il les rencontre à chaque fois par hasard renforce l’idée que cherche à faire passer Alejandro : le film a une dimension mystique qui dépasse le cadre du cinéma. C’est un projet quasiment divin.
Contrairement à L’Enfer d’Henri-Georges Clouzot qui pouvait s’appuyer sur des images de tournage déjà fascinantes, Frank Pavich n’a aucune image de film, puisque Dune n’a jamais dépassé la phase de projet. Le réalisateur a l’idée brillante d’utiliser les dessins de Moebius pour nous transporter dans ce qu’aurait pu être le film et nous fait rêver. Finalement, en sortant de ce film, on ne peut qu’avoir un sentiment mitigé. D’abord, évidemment une légère tristesse face à ce gâchis et le regret de ne jamais voir un projet qui promettait tant. Mais aussi le sentiment que ce film est d’autant plus grand qu’il n’existe pas. Le Dune de Jodorowsky ne s’est jamais confronté au réel et c’est peut-être de là qu’il tire sa force et son influence sur tant de cinéphiles. Le film existe dans notre conscience collective comme un chef-d’œuvre ultime puisque jamais vu, une œuvre d’art absolue qui n’existe que dans l’imaginaire, qui ne peut souffrir d’aucune critique, d’aucun vieillissement, d’aucune comparaison. C’est un film qui restera pour toujours l’œuvre majeure de Jodorowsky et une source d’émerveillement continue pour ses non-spectateurs.
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Mehdi Khnissi
Ouvert à la discussion et tolérant, je ne pense pas détenir la vérité sur les films que je critique. Il se trouve seulement que j’ai meilleur goût que vous. Quand je ne regarde pas des films, je lis des comics parce que je rêve d’être Peter Parker. Je me mue tous les mois en critique littéraire dans un podcast : « Des Mots et Débats ».