No clôt un travail que Pablo Larrain a entrepris lors de ses deux précédents films : Tony Manero, dans lequel un sosie du Travolta des 70s partageait son temps entre la danse et les crimes, puis Santiago 73 Post Mortem, qui suivait la trace d’un assistant médecin légiste s’apprêtant à recevoir la dépouille de Salvador Allende. Le réalisateur avait à peine 3 ans lors du coup d’état de la CIA et du Général Pinochet. C’est donc un tout jeune cinéaste qui revient sur ce qu’était vivre sous une dictature. Ce qui distingue No de ses précédents films, c’est qu’il pousse autant a réfléchir sur le passé que sur notre présent. A cette réflexion sur le temps s’ajoute un questionnement sur le devenir de la démocratie aux temps du néolibéralisme et de la communication. Avant que la maxime de Margaret Thatcher, « there is no alternative », soit acceptée en démocratie, les adeptes du néolibéralisme ont dû ronger leur frein. Entre la parution de Capitalisme et Liberté, où Milton Friedman expose ses théories et l’expérimentation de ses idées, il a fallu 10 ans. Seule l’opportunité de l’attaque terroriste du 11 septembre 1973 sur le palais présidentiel de Salvador Allende – et le coup d’état qui s’en est suivi – a permis de mettre en pratique l’idéologie néolibérale. Il était entendu, à l’époque, que ces idées ne pouvaient pas s’appliquer en démocratie. Ces idées, ont les connaît aujourd’hui : elles sont ce qui guide les chiens de garde, tout autant que les cadres des principaux partis politiques. Elles sont responsables de la crise économique que l’on subit, et entretiennent notre individualisme.
Il est rare que l’on rappelle que le néolibéralisme s’est au départ imposé dans les dictatures sud-américaines, sous l’impulsion de l’École de Chicago. Des universitaires américains travaillant pour la plupart comme conseillers économiques auprès des juntes. Pour libéraliser les services publics, introduire l’économie de marché libre et non faussé, et mettre en place « l’autonomie des universités », il en aura fallu, des massacres de masse, des exécutions publiques, des détentions arbitraires, de la torture et de la réclame. Publicité et communication sont deux mots qui se substituent, en démocratie, à celui de propagande dans les régimes totalitaires. Mais le but est le même, imposer par l’image ou le storytelling une idéologie permettant le contrôle des peuples. Ayant déjà traité de la violence du régime de Pinochet, Larrain s’intéresse à l’image, à la propagande, à la communication et à la publicité.
C’est bien plus sur les traces de Peter Watkins que Pablo Larrain cherche à se placer
En 1988, le Général Pinochet, sous la pression de la communauté internationale, a dû organiser un référendum mettant en jeu son maintien au pouvoir. Le général avait alors un problème d’image, et le sang qu’il avait versé avait fini, grâce au travail des chiliens exilés, par être connu. No raconte une lutte, que les naïfs diront moderne, où la communication remplace la politique. Un film qui utilise le cinéma pour soulever une question que les progressistes ne se posent même plus : est-ce vraiment par la communication et la publicité qu’il sera possible de vaincre le néolibéralisme ? Se poser la question, c’est déjà y répondre. Politiquement radical, No l’est aussi dans sa forme. Après un générique de toute beauté, le film mélange archives et fiction, images de 1988 et images tournées au présent, sans que l’on perçoive la différence. La forme rejoint le fond : plus que du passé, No parle du présent. Certes, Pinochet est parti, mais ses idées sont toujours en place, au Chili comme ailleurs. No est l’histoire d’un pays qui se libère d’un bourreau en acceptant, en héritage, de continuer à utiliser la chaise électrique. Pour recréer le Chili de 1988, l’excellente idée de Larrain est d’avoir, en plus du décor et des costumes, utilisé le matériel vidéo de l’époque, et ainsi de synchroniser ses images à celles des archives. Ce côté bricolo, tout comme la présence de la star Gaël Garcia Bernal, fait songer parfois au cinéma de Michel Gondry, d’autant plus que Larrain ne se gêne pas pour injecter de l’humour dans son film. Là s’arrête, bien sûr, la comparaison. C’est bien plus sur les traces de Peter Watkins que Pablo Larrain cherche à se placer. Le cinéaste anglais a construit son œuvre sur l’ambiguïté de l’image d’archive, sur les dérives autoritaires des démocraties et l’utilisation par celles-ci de l’image dite documentaire. Qu’il s’agisse de Punishment Park ou de La Bombe, Watkins cherche à pousser les spectateurs a réfléchir sur ce qu’ils voient. C’est avec le même sens de la pédagogie que Pablo Larrain a tourné son film.
No est tout entier dédié à la question de l’apprentissage. Ce référendum historique a donné l’occasion aux Chiliens de s’essayer à une nouvelle forme de démocratie, adoptant les mécanismes propagandistes des régimes autoritaires. Le film permet aux spectateurs d’apprendre à réfléchir sur ce qu’est une image publicitaire, et sur ce qu’est une image de cinéma, l’auteur utilisant lui-même les codes de la publicité, pour mieux les détourner. Une démarche que certains pourraient trouver ambigüe, mais qui au contraire dénote une certaine humilité par rapport à son questionnement politique. C’est aussi, pour le héros, un récit initiatique. René, publicitaire, comprendra sur le tard qu’en ayant contribué au départ du despote, il aura également participé à faire accepter son héritage idéologique aux démocrates. Ce faisant, il gagne en cynisme ce qu’il perd en naïveté. Il faut voir comment il utilise la publicité développée sous Pinochet, en alternance avec la campagne du Non, de façon à ce qu’elle s’adapte à l’air du temps. On peut tout faire dire aux images lorsqu’on sait les manipuler. En faisant entrer le Chili dans l’air de la démocratie publicitaire, la campagne du Non a en définitive chassé une dictature utilisant la peur pour instaurer celle du bonheur, un bonheur factice servant de cosmétique, et cachant la victoire idéologique du néolibéralisme sur le socialisme. Voir No à la lumière d’un récent bouleversement politique agitant l’Amérique du sud, c’est comprendre que l’avenir est encore loin de s’éclaircir.
No, Pablo Larrain, avec Gael Garcia Bernal, Alfredo Castro, Antonia Zegers, Chili / Etats-Unis, 1h57.
Super bien ficelé ! ( je vous salue Gaël !)
Merci!
Oh ça a l’air super !
Ah, Eve! Gaël et toi êtes un peu comme le Yin et le Yang: ce que l’un adore, l’autre déteste! Tu ne seras pas surprise de me voir me ranger, cette fois-ci encore, aux côtés de notre star de la critique. No est un film formidable, passionnant et pertinent. Pour moi l’une des réussites majeures de ce début d’année.
Je suis irrécupérable, je n’ai définitivement aucun gout cinématographique… On fait quoi si on trouve un film qui réunit notre approbation à tous les trois?!!
Il n’y a pas de gouts cinématographiques, il y a un ressenti face à une construction artistique. On a pas forcement les mêmes goût Eve, mais j’aime ton regard sur les films, un regard qui sait trouver la beauté et l’intelligence dans des films qui pechent parfois dans leur techniques. Défendre les films un peu bancals c’est toujours plus interessant que de disserter sur un film qui bénéficie d’une excellente couverture critique comme Tabou ou No. Si un jour on trouve un film qui nous réconcilie (Benj et moi n’avons pas forcement les mêmes gouts, c’est assez rigolo quand on se dispute a ce sujet), on pourra affirmer qu’il s’agit d’un chef d’oeuvre.
Gaël a raison, bien sûr : on élira le film comme standard Cinématraque ultime!
Compte tenu de cette critique, et Malgré le commentaire de Eve, je vais aller le voir. Ce genre de films m’interpellent toujours, et Gael Garcia Bernal ne m’a jamais déçue.
En général les mecs qui s’appellent Gaël, ne peuvent décevoir!
Le film n’est pas completement nul, ni in-regardable, mais juste chiant, ininteressant. Peut-etre que le sujet passionnera certains au point de justifier cette prestation cinematographique interminable de Gael Garcia Bernal (qui ne reussit pas à nous sauver de l’ennui par sa belle gueule) autant que l’article de notre star de la critique: Gael 🙂