Séries Mania 2025 : Quoi de neuf pour la “French Tivi”?

Non, on ne parlera pas des Oscars et de leur red carpet désormais déserté par les inénarrables apostrophes dans la langue de Meryl Streep (souvent vaines) qui égayaient les soirées de fin février de Canal+. D’ailleurs en terres lilloises, c’est de pourpre et non de rouge que s’orne le tapis accueillant les vedettes de la septième édition lilloise du festival Séries Mania, qui met à l’honneur cette année deux fictions françaises pour ses cérémonies d’ouverture et de clôture. Deux fictions offrant une vision radicalement opposée de la série à la française, qui soulignent à merveille l’équilibre toujours précaire qu’essaie de trouver le festival dans son ambition de concilier rayonnement international et ancrage toujours plus local.

Vendredi prochain, Séries Mania 2025 se refermera sur la diffusion du premier double épisode de la sixième et dernière édition de HPI, probablement le plus gros carton récent du vénérable “polar de grande chaîne”, incontournable des grilles de programmation depuis des décennies. Un double épisode que nous n’avons pas encore vu (tout comme les cinq saisons précédentes de HPI de toute façon), mais qui sera, à défaut de celui de l’auteur de ces lignes, à coup sûr l’événement de la semaine pour de nombreux festivaliers. Car HPI, tourné dans son intégralité autour de la métropole lilloise, est un fleuron de la fiction française que Séries Mania prend bien soin de dorloter chaque année : dans un festival qui a accueilli ces dernières années stars hollywoodiennes et événements sériels (comme chaque année on va vous rappeler que Succession c’est une découverte Séries Mania hein), on a rarement connu autant de monde au portillon que pour la masterclass d’Audrey Fleurot l’an dernier. Ironie de l’histoire, ce symbole de la bonne vieille série policière à la Française (à la Ch’ti même) tire sa révérence au moment où elle s’exporte en parallèle à Hollywood, dans une adaptation portant le nom de High Potential, qui a rencontré elle aussi un joli succès à son lancement sur la chaîne ABC.

En ouverture, c’est une série d’un tout autre profil qui s’est présentée aux spectateurs lillois. Au terme d’une cérémonie d’ouverture qui a notamment rendu hommage, évidemment, au regretté David Lynch, c’est Carême, la nouvelle série française d’Apple TV+ qui a ouvert le bal ce vendredi soir. Rien à voir avec la période de jeûne observée actuellement par nos lecteurs de confession catholique (ceux de confession musulmane pourraient être intéressés par la masterclass proposée cette année sur “Les séries du Ramadan”, produites exclusivement pour cette période de l’année). Le Carême en question ici est Marie-Antoine Carême, dit Antonin Carême, parfois cité comme le premier “chef cuisinier” de l’histoire, celui que l’on surnommait “le roi des chefs et le chef des rois”.

Si la marque à la pomme n’est pas une nouvelle venue dans le paysage de Séries Mania (elle y avait présenté en compétition Les Gouttes de Dieu il y a deux ans), elle a cette fois-ci décidé de mettre les petits plats dans les grands pour adapter le livre Cooking for Kings : The Life of Antonin Carême, the First Celebrity Chef de l’écrivain britannique Ian Kelly. Martin Bourboulon aux manettes, Dominique Farrugia à la co-production avec Vanessa van Zuylen (qui avait déjà produit l’Eiffel du même Bourboulon), Jérémie Rénier, Lyna Khoudri, Maud Wyler ou encore Micha Lescot au casting, les vétérans Pierre-Jean Larroque aux costumes (quadruple césarisé, la dernière fois en date pour Illusions perdues) et Guillaume Roussel (déjà aux manettes de la bande-son des Trois Mousquetaires)… Et pour donner vie à ce Carême nouveau, on retrouve tout simplement Benjamin Voisin, l’une des nouvelles coqueluches du cinéma français.

Jeune orphelin abandonné par son père recueilli et élevé par un pâtissier jacobin du nom de Sylvain Bailly, Antonin Carême connut une ascension fulgurante dans la France napoléonienne par l’audace et la créativité de sa cuisine, qui lui ouvrit la porte des tables des grands de son monde. De cette success story, l’équipe de la série a eu l’idée de tirer une série qui lorgne nettement moins vers le biopic que la série d’espionnage, ne cachant pas son idée de partiellement (voire totalement) relire l’Histoire. Pris sous son aile par Talleyrand (Jérémie Rénier), Carême, look de rock star débraillée et boucle d’oreille en option, se retrouve pris dans les engrenages politiques de la France napoléonienne, où les banquets luxueux tiennent une place diplomatique considérable.

Rappeler l’importance politique des arts de la table dans l’Histoire n’est jamais une mauvaise idée, et c’est peut-être ce que Carême réussit le mieux. Les historiens les plus pointilleux s’étrangleront certes devant la cascade d’anachronismes de l’intrigue déroulée par les deux épisodes, mais c’est quand elle s’imagine en House of Cards du XIXe siècle que Carême parvient à capter notre intérêt pendant deux épisodes qui défilent sans jamais avoir le temps de s’ennuyer. Le problème, c’est que le reste ne suit pas vraiment : les intrigues amoureuses d’un autre âge ne sont guère passionnantes (Carême arrive évidemment d’un claquement de doigts à séduire TOUTES les jeunes femmes qu’il croise) et pire que tout, l’acte même de cuisiner n’est pas assez présent dans une série qui vante pourtant les mérites du savoir-faire culinaire français.

Au terme des deux épisodes projetés, on se retrouve devant l’impression de croiser le mélange improbable de Lupin et de Dodin Bouffant, option décadence à fond les potards. Dans l’une des scènes phares du premier épisode, Talleyrand dévoile à Carême que le succès de sa diplomatie repose sur sa faculté à exploiter les deux émotions qui gouvernent l’Homme : la peur et le plaisir. Le plaisir, c’est celui du ventre, et celui des couilles, le souligne la séquence. Ça baise autant que ça bouffe dans Carême. Loin de nous l’idée de jouer les chevaliers de la morale, mais quand ça nous donne parfois l’impression qu’à tout moment le Benoît Magimel de Marseille peut débarquer dans un dialogue sans que ça fasse trop tâche, la tambouille finit par un peu peser sur l’estomac.

Carême n’est pas en soi un énorme ratage, mais porte surtout sur elle les stigmates d’une série qui semble davantage conçue pour le public international que franco-français. Un public nettement moins attaché à la vérité historique qu’à l’idée d’assister à des polissonneries bien choucroute célébrant l’art de la chair et de la bonne chère de notre belle civilisation gauloise. Honnêtement produite mais sans grandes aspérités dans la réalisation (ce qu’on pourrait dire d’une grande partie de la filmographie de Martin Bourboulon), Carême tient plus de la junk food savamment Instagrammée que du bon plat d’établissement trois étoiles, ce qui sera sans doute suffisant pour tenir les 8×40 minutes jusqu’à leur terme, et séduire le touriste de passage. Parfois, la French Tivi, ce n’est rien de plus que cela.

Carême, avec Benjamin Voisin, Lyna Khoudri, Jérémie Rénier, diffusion sur Apple TV+ prévue à partir du 30 avril

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