Lors de l’édition 2021 du festival Séries Mania, le groupe France Télévisions avait annoncé la mise en chantier de trois grandes coproductions européennes et internationales. La première, une adaptation du roman La jeune fille et la nuit de Guillaume Musso (Ioan Gruffudd, Grégory Fitoussi ou encore Vahina Giocante au casting), est passée à l’antenne à l’automne dernier avec des retours plutôt mitigés. La seconde, la série Abysses ou The Swarm (rien à voir avec la récente création de Donald Glover sur Prime Video), thriller SF écologique porté par Cécile de France dans lequel un monstre sous-marin se déchaîne sur la surface pour protéger son habitat naturel, devrait prochainement arriver chez nous après une première diffusion sur les antennes allemandes via la ZDF.
C’est la troisième de ces coproductions cependant qui attira le plus d’attention : une adaptation des Gouttes de Dieu, manga générationnel culte et œuvre fleuve (44 tomes publiés entre 2004 et 2014) du mangaka Shu Okimoto. Récit d’un duel autour de l’héritage d’un célèbre œnologue entre son fils et son étudiant favori, Les Gouttes de Dieu avait par le passé bénéficié d’une première adaptation à la télévision nippone en 2009. Quatorze ans plus tard, c’est un attelage complexe et ambitieux entre France Télévisions, Apple TV et la branche japonaise de Hulu qui porte le manga d’Okimoto auprès d’un public international.
À ce prix, l’histoire subit un relooking en sortant de son cadre de départ. L’œnologue en question, Yutaka Kanzaki, devient un Français expatrié, Alexander Léger (Stanley Weber), et son fils Shizuku devient une fille, Camille (Fleur Geffrier, assez séduisante dans le rôle). Seul le personnage du jeune prodige sommelier et fils spirituel de Léger, Issei Tomine, ne change pas par rapport à l’original. Pour l’incarner, la série a ferré un gros poisson, et de toute évidence son principal argument marketing pour le territoire japonais : Tomohisa Yamashita alias Yamapi pour les intimes. Superstar du boys band J-Pop NEWS (Wikipedia le qualifie même de bishonen, ce qui a l’air d’être un sacré big deal) et populaire acteur de dramas au pays, sa carrière internationale a récemment décollé avec ses participations à une autre coproduction européenne, The Head, et surtout à la deuxième saison de la série Netflix Alice in Borderland. Le boomer occidentalo-centré que je suis ne sachant ni d’Eve ni d’Adam qui était ce charmant garçon, la conjonction des cris stridents de certains membres de la rédaction à l’évocation de son nom et les chiffres proprement absurdes de son fandom sur les réseaux sociaux (source bien utile de visibilité en période de festival #LesAffairesSontLesAffaires) ont fini de me convaincre que LA star de cette édition 2023 de Séries Mania, c’est probablement lui. Désolé Logan Roy.
Exit également les douze apôtres du manga d’origine, l’intrigue se resserre autour de ce fameux vin mystérieux censé les départager : après l’avoir goûté une fois sans rien en savoir, Camille et Issei ont un mois pour l’identifier et le décrire sous toutes les coutures, le plus fidèlement possible. À la clé : l’héritage colossal du défunt, notamment la cave à vin la plus fournie au monde. Sauf que l’un comme l’autre se retrouvent avec pas mal d’embûches sur leur chemin. Camille, traumatisée par son enfance et un père qu’elle a rayé de sa vie, a tourné le dos au monde du vin dans lequel elle a grandi. Issei, lui, est un œnologue de génie, mais dont la passion se heurte à une famille qui ne goûte que peu cette passion qui l’écarte du sillon familial.
Devant la caméra d’Oded Ruskin, réalisateur israélien passé notamment par les séries False Flag ou No Man’s Land, l’intrigue nous entraîne donc entre le Tokyo des grands restaurants et de la haute société et le domaine familial girondin des Léger. Certes, il faut s’adapter au grand écart et aux étranges pensées qui en naissent, comme par exemple celle de se demander ce que le grand public japonais va penser en découvrant Gustave Kervern (Keruvernu-san?) à l’écran. Mais on s’y fait vite, surtout grâce à un épisode pilote assez enlevé, s’ouvrant sur la scène la plus réussie des deux épisodes projetés dans l’enceinte du Nouveau Siècle : une scène d’entraînement père-fille à l’œnologie filmée avec un découpage cut à l’énergie proche de certains animes. Le mélange des genres et des lieux n’est pas toujours totalement bien géré, notamment dans un deuxième épisode plus pataud, un peu trop longuement installé dans les vignes françaises au détriment d’une intrigue japonaise un peu délaissée.
Il y a (pas mal) à boire et (peu) à manger dans le début de ce qui s’annonce comme une mini-série qui promet de conclure son intrigue principale au terme de ses huit épisodes, sans écarter la possibilité d’une suite si l’ensemble trouve son public. Pas forcément simple à vendre pour le public des prime times du service public, Les Gouttes de Dieu atterrira dans un premier temps sur Apple TV+, qui espère capitaliser sur l’attractivité du vin français et du nom de Tomohisa Yamashita, plutôt discret dans ces deux premiers épisodes mais dont la minéralité mutique infuse cette part de mystère à l’insensible Issei Tomine. Les parallèles ne s’embarrassent certes pas de subtilité dans le psychologisme (l’affect sensitif contre la raison froide, le vin comme métaphore du sang) mais à défaut de rester fidèle au texte exact du très touffu manga, la série parvient de temps en temps à rester fidèle à sa grammaire. Reste à savoir si la cuvée sera un bon millésime ou un cru bouchonné à la deuxième dégustation. La première, elle, a un léger goût de reviens-y.
Les Gouttes de Dieu de Quoc Dang Tran avec Fleur Geffrier, Tomohisa Yamashita, Tom Wozniczka…, diffusée à partir du 21 avril sur Apple TV+, diffusion prévue courant 2024 sur France 2.