Presence de Steven Soderbergh : Faire acte de…

La plus grande qualité de Steven Soderbergh est sûrement de ne pas dévier sur tout un film des high concepts qu’il a envie d’expérimenter. Quand habituellement beaucoup d’œuvres audiovisuelles partent d’une idée puis font de sa déviation leur intrigue (on pense à Mickey 17 ou Severance récemment), Soderbergh lui va au plus simple quitte à pondre à la chaîne des films courts qui vont droit au but. Cette tendance était en réalité remarquable dès son premier long-métrage, premier chef-d’œuvre et première Palme d’or, Sexe, mensonges et vidéo où il ne s’éloigne jamais du pur dialogue entre quatre protagonistes et c’est tout. Il en résulte au total des films plus ou moins mineurs, un certain nombre de pépites majeures et certains entre les deux, surprenant par leur réussite sans prétention. Vous l’aurez compris, Presence, son avant-dernière production (mais quand même sortie il y a un mois) fait partie de la troisième catégorie.

Le principe est limpide dès le début : lae spectateur·ice va adopter le point de vue d’un esprit/fantôme, qui voit tout mais que personne ne voit. Dès lors, il y a peu de coupures au montage, le plan séquence est privilégié et l’on est guidé par le bon vouloir de cette présence qui erre de pièce en pièce, écoutant certains dialogues ou s’en désintéressant. Si on voulait plonger dans la sur-analyse — et c’est exactement ce que l’on va faire — on peut immédiatement identifier dans cette présence un rappel littéral du·de la spectateur·ice qui s’immisce là où l’on ne lae voit pas. L’impuissance de cet esprit au fur et à mesure du film appuie cette sensation très méta d’un drame dont l’aboutissement est écrit, bien avant que l’on se retrouve dans la position de cellui qui regarde.

Presence – Image Peter Andrews © The Spectral Spirit Company

Hors sur-analyse, ce point de vue offre une originalité immédiate au long-métrage. On va voir un film de maison hantée certes, mais pas n’importe lequel, il y aura une originalité pour déconcerter et amuser — du moins pendant un temps pour les moins convaincu·es du procédé. Cette particularité n’est pas qu’un gadget puisqu’elle s’insère dans l’intrigue et permet des interactions intéressantes notamment via l’usage du regard caméra qui prend un tout nouveau sens. Presence, c’est l’histoire d’une famille, composée d’un couple hétéro, de leur fille et de leur fils — tout·es deux adolescent·es — qui emménage dans une nouvelle immense maison. On comprend assez vite que pas grand chose ne va dans ce foyer, entre une mère en pleine affaire judiciaire, un père hésitant sur le futur, un jeune garçon élevé comme un roi et une jeune fille sensible et ignorée qui pleure encore sa meilleure amie décédée d’une overdose. Si toustes sont plus belles·beaux les un·es que les autres, si leur (grande) maison est décorée avec goût et est toujours propre, c’est bien les relations qui sont abîmées.

L’écriture du film est assez remarquable puisqu’elle réussit à glisser çà et là quelques indices de la situation de chacun·e au milieu de (plus ou moins) banales conversations familiales. En tant que présence, lae sectateur·ice a donc l’impression d’attraper les éléments au vol plutôt que de les voir s’étaler, ce qui participe à ce jeu amusant sur la place de cellui qui regarde. La jeune fille, Chloé, ressent contrairement aux autres la présence et il y a un jeu presque ludique qui s’opère où l’on devient inquiet si elle regarde vers nous. Sans empêcher l’immersion dans les enjeux émotionnels du film (qui ne sont pas marrants pour le coup), cet échange constant avec le spectateur permet à ce récit familial plutôt banal et à cette affaire d’esprit pas non plus très originale de prendre des dimensions amusantes et prenantes.

De fait, la famille des Payne au cœur de chaque dialogue et conversation est ordinaire, avec tous les dysfonctionnements qu’elle peut cacher en son sein — à la Desperate Housewives. La maison est la prison de la présence contrainte d’y rester, mais c’est une cachette pour la famille qui peine à en sortir. Les murs offrent un sentiment d’impunité si fort qu’ils permettent à une mère de confier qu’elle préfère son fils, ou à une jeune adolescente de prendre un peu de drogue et de coucher avec un camarade de lycée. Les rares fois où l’on entend des protagonistes de l’extérieur, à travers une fenêtre, c’est pour des lignes de dialogue où ielles expriment leur envie de partir ou de ne pas entrer. Dans Presence, la maison est un lieu rassurant mais surtout cadenassé. Le scénariste David Koep a même réussi à introduire dans son intrigue la peur de l’intrusion, concluant son portrait sur la famille américaine et ses névroses vues à travers un fantôme qui ne peut rien faire pour les aider.

Presence – Image Peter Andrews © The Spectral Spirit Company

Par ce portrait, il parle d’amour et surtout de sacrifice. La notion de sacrifice est toujours importante dans la vision normée de la famille où s’occuper d’enfants, vivre en communauté, partager, s’apparente vite dans des mesures différentes à des abandons, des dévouements. Probablement nourrie par une culture misogyne prenant racine dans le portrait de la mère sacrificielle (trope habilement contourné par le film), cette valeur est possiblement l’une des raisons pour laquelle l’institution familiale est si fasciste, mais elle sert très souvent de moteur pour la fiction — donc en attendant, on regarde des choses révolutionnaires qui n’arriveront pas dans ce cinéma américain là. Sans en dire plus pour ne rien gâcher — même si je trouve personnellement l’intrigue assez devinable et ce n’est pas un défaut — c’est un film qui parle de l’amour étrange qui régit la cellule familiale et des sacrifices qu’il peut amener. À partir de quand c’est sacrifier son bien-être de rester ? Quelles croyances doit-on abandonner pour comprendre son enfant ?

Presence c’est donc un film simple, dans un seul lieu, avec une seule famille, d’un seul point de vue. Son unité lui permet de ne jamais s’écarter de ses personnages et de son intrigue, allant droit au but avec amusement. Finalement, c’est peut-être cette totale simplicité qui rend souvent le cinéma de Soderbergh si grand.

Sorti le 5 février 2025, distribué par Dulac Distribution.

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