Deuxième édition de nos coups de cœur du mois ! L’automne est bien là, le moment idéal pour regarder des films sous la couette. Mais certains de nos chroniqueurs ont quand même bravé le froid pour profiter des rétrospectives du moment.
Alors qu’est-ce qui nous a plu en octobre 2024 ? Voici la réponse :
JB : Heureux gagnants
Au petit jeu des comédies françaises qui sortent du lot, chaque année, on ne peut guère retenir que deux ou trois titres. Souvent, pour que le cocktail prenne, il doit contenir générosité, audace et surtout surprise, tant le paysage comique français est prompt à nous amener vers une certaine forme de confortable routine : mêmes acteurs, mêmes mimiques, mêmes ressorts comiques, et même que l’on ne s’en plaint pas trop, puisqu’après tout, c’est quand même toujours un peu rigolo de voir Didier Bourdon jouer le lâche et Valérie Bonneton bougonner.
2024, c’est l’année d’Heureux gagnants, un film hybride, enchaînement de courts-métrages seulement liés par un même point de départ : de grands gagnants au loto. Il y a ceux qui découvrent leur ticket quelques heures avant la date limite, celui qui préparait un attentat au moment où il a découvert son gain, ou encore celui qui fait une crise cardiaque à l’annonce des numéros gagnants.
C’est un ressort comique qu’affectionne particulièrement la comédie française, le gros gain au jeu, mais ce qui détonne et fonctionne particulièrement dans Heureux gagnants, c’est un sens aigu du contrepied, mêlé à un bon fond de satire qui picote. On est pas mal bousculés, en tout cas souvent surpris de la tournure que prennent les événement de nos petits héros que jamais on ne nous force à aimer (de toute façon ce sont des salauds, puisqu’ils ont gagné l’oseille que l’on convoite tous, celle qui est non imposable et la conséquence, injuste, d’un coup de pot).
À l’instar d’une comédie-chouchou des dernières années qui adoptait d’ailleurs un format similaire, Les Nouveaux sauvages, c’est dans sa cruauté, dans son pessimisme, qu’Heureux gagnants séduit. Film méchant, crasseux, amas de courts-métrages inspirés et qui, une fois n’est pas coutume, évite l’écueil du « film à sketches inégal ».
Forcément, c’est une comédie française qui sort du lot, donc ça m’a semblé avoir été vendu n’importe comment, avec des affiches mal fagotées, une peur de dire que ce sont là plusieurs courts-métrages bout à bout – comme on a peur de parler des numéros de comédies musicales pour vendre le film avec Joaquin Phoenix qui fait le clown.
Mais, chers lecteurs amateurs d’humour, noir ou pas, ne passez pas à côté, promis : vous manqueriez un truc.
Maguelonne : Starlet de Sean Baker au Grand Action
Auréolé de sa récente Palme d’Or avec Anora, Sean Baker a eu droit à un honneur assez rare pour un réalisateur de son âge et de sa notoriété relative : une rétrospective complète de son œuvre dans les salles françaises. Tangerine, The Florida Project et Red Rocket étaient ressortis cet été, et ce sont désormais ses premiers films, qui n’avaient même pas connu de sortie française, qu’on a l’occasion de découvrir sur grand écran.
Fan des trois films précédents, impatiente de découvrir Anora, je me suis dépêchée d’aller voir Starlet au cinéma. Sortie en 2012 aux Etats-Unis, cette surprenante histoire d’amitié entre une jeune actrice montante dans l’industrie pornographique et une vieille femme acariâtre est parfaitement représentative des codes et de l’univers de Sean Baker. Les espaces liminaires dans lesquels errent ses personnages sont ici les banlieues diffuses de la vallée de San Fernando en Californie, et il s’attache comme dans tous ses films depuis à montrer une facette inhabituelle du travail du sexe.
Bien que ses allégeances politiques interloquent aujourd’hui ses fans, Sean Baker porte une attention particulière aux déclassé.e.s et aux oublié.e.s des Etats-Unis (même s’il est à noter que son interprète principale est… l’arrière-petite-fille d’Ernest Hemingway). Il a le don de brosser des émotions et des dynamiques complexes d’une manière rarement vue au cinéma, et il détourne ainsi ici le motif du pactole déniché frauduleusement loin des sentiers rebattus. J’ai lâché ma petite larme et compte bien découvrir ses films précédents, en particulier Prince of Broadway.
Gabin : Terrifier 3 et The Killer de John Woo mais le nul là
Je n’ai pas vu grand chose au cinéma ce mois-ci, et je vais bien me rattraper en couvrant la nouvelle édition du Festival du Film Coréen à Paris ! En gros, j’ai vu Terrifier 3 aux Halles en pensant que ça allait être une boucherie sur l’écran comme dans la salle. Et d’autant plus quand j’ai découvert que le film était en salle 1 (donc l’une des plus grandes salles du complexe, si vous ne connaissez pas ce cinéma) et que la séance était complète (soit mon cauchemar maximal pour un film d’horreur). La boucherie n’a finalement eu lieu que sur l’écran, et Art le Clown est définitivement mon petit bichon sacré de l’année. J’ai une petite tendresse pour son sens de la dramaturgie. La seule chose marrante dans la salle, c’est cette petite mamie installée au premier rang, qui a passé son temps à se cacher derrière son manteau quand Art trucidait quelqu’un (bref, souvent). Et qui a déserté la salle avant « la scène de la douche ».
Sinon, j’ai aussi tenté de voir The Killer de John Woo. Enfin, le The Killer de John Woo qui n’est pas le vrai The Killer de John Woo mais une tentative de remake du The Killer de John Woo prétendument réalisée par John Woo. Mon moment préféré du film, et définitivement mon coup de cœur du mois, c’est quand je me suis levé au bout de cinquante minutes pour me barrer, parce que j’aime vraiment pas quand on se fout royalement de ma gueule. Arrête les conneries Johnny.
Julien : Le retour de Saoirse Ronan dans nos quotidiens cinéphiles
A vrai dire, je commençais un peu à désespérer. Depuis la pandémie du COVID (vous vous souvenez?), on était sans plus trop de nouvelles de celle qui est peut-être la meilleure actrice anglo-saxonne de sa génération, elle qu’on avait laissé irradiante dans le merveilleux Little Women de Greta Gerwig, au terme d’une décennie à avoir enchaîné des rôles sublimes (The Grand Budapest Hotel, Lady Bird, le trop oublié Brooklyn de John Crowley) même des films pas toujours à la hauteur de son talent (How I Live Now, Mary Queen of Scots). Alors oui, des rumeurs ont laissé planer qu’elle avait choisi de se terrer au fin fond de la brousse irlandaise pour le restant de ses jours, loin du fatras médiatique du monde alentour, pensant peut-être la planète encore en plein lockdown en train de préparer son propre pain et applaudir à ses fenêtres à 20 heures. Des simili-bouts de preuves avancées de-ci de-là pour nous faire croire qu’elle aussi aurait renoncé au télétravail pour revenir sur les plateaux de tournage : un soi-disant film à Oscars disparu de la circulation (Ammonite), un passage en coup de vent dans le plus médiocre Wes Anderson (The French Dispatch, désolé mon Wes), un murder mystery Agatha Christien comme l’Angleterre en produit 1.500 par an (Coup de Théâtre), et même un film qui eut pu être diffusé sur Prime Video (Foe). Ca faisait pas bezef comme faisceau de preuves.
Heureusement ce mois d’octobre marquait le retour officiel de la Saoirse Ronansance (Ronaisance?) avec le très beau The Outrun de Nora Fingscheidt. Un film dans lequel l’actrice fait encore mieux que s’enterrer loin du monde au fin fond de l’Irlande : s’enterrer loin du monde au fin fond de l’Ecosse. Adaptation d’un roman autobiographique de la journaliste Amy Liptrot, The Outrun raconte le combat d’une jeune trentenaire contre les démons de l’alcoolisme, intriquant son cheminement personnel derrière les paysages sauvages et vibrant des îles Orcades, l’Orcanie des légendes arthuriennes. Il y a dans The Outrun quelque chose d’intimement puissant dans l’appropriation par la caméra de tout un décor majestueux qui se fait tableau des émotions des femmes et des hommes, beau à rendre fou comme dans (sans pousser la comparaison plus loin) The Banshees of Inisherin de Martin McDonagh. Et surtout dans The Outrun, il y a Saoirse Ronan, éblolouissante comme à son habitude dans le rôle casse-gueule par excellence de la recovering alcoholic, pour nous prouver, ouf de soulagement, qu’elle était toujours l’une des plus fascinantes actrices à suivre actuellement au cinéma. On la retrouvera fin novembre dans le prochain Steve McQueen, et en plus elle s’est permise d’envoyer bouler Marvel en préférant se rêver en méchante de James Bond. Tout ce qu’on lui souhaite maintenant, c’est de ne pas tomber dans le traquenard Narnia de son amie Greta Gerwig (Greta, cligne des yeux deux fois si tu veux que quelqu’un te sorte de ce bourbier).
(mention spéciale à la réplique la plus drôle de l’année, entendue dans le Miséricorde d’Alain Guiraudie, un simple « Je vous souhaite tous mes vœux de bonheur » qui montre toujours autant que les blagues les plus drôles le sont moins quand on les retranscrit pêle-mêle)
Juliette « Antigone » : Chantal Akerman, peut-être la plus grande cinéaste du monde
Si Jeanne Dielman avait déjà fait grand bruit lors de sa ressortie en mai 2023, Capricci nous a fait patienter plus d’un an pour continuer à déployer l’immense travail de sa réalisatrice, Chantal Akerman. Le premier cycle a commencé fin septembre avec 8 films de la période entre 1974 et 1993 et le second a tout juste commencé le 23 octobre avec 8 nouveaux de 1996 à 2015. J’ai déjà longuement écrit à son sujet mais je tiens à le redire encore : chaque film de Chantal Akerman est un coup de cœur pour moi. En fiction comme en documentaire, elle retravaille ses obsessions sur plusieurs angles et points de vue pour toujours nous bousculer et surtout nous faire réfléchir à notre rôle de spectateur·ices de cinéma. En voyant les premiers films du cycle, on voit se déployer ses recherches sur son histoire d’immigrée polonaise, son lien avec sa mère, sa vision du monde, sa peur de la perte d’identité. Le mot féminisme est souvent employé pour qualifier cette réalisatrice dont Jeanne Dielman est le plus le film le plus (re)connu mais son langage visuel et narratif est surtout intersectionnel.
Dans le second cycle je ne peux que recommander Sud, un film documentaire qui évoque un meurtre raciste. La réalisatrice filme la ville et les voix de ses habitants pour parler de deuil et comment les drames fracturent les rues silencieuses. Pour le premier cycle encore en salles, D’Est ou Les Rendez-Vous d’Anna sont immanquables chacun à leur façon. Les deux traitent de l’échec du capitalisme, de l’isolement de chacun face à une suprématie libérale qui n’apporte rien si ce n’est l’impression d’être coincé·e à répéter en boucle les mêmes choses. L’aliénation, c’est peut-être l’un des mots qui pourrait englober une bonne partie de son œuvre : celle des femmes dans le couple hétéro, des travailleur·euses coincé·es, des immigré·es forcé·es à s’effacer. Il y a aussi la radicalisation avec sa peur de l’extrême droite, l’histoire des camps qui plane sur son histoire à elle, Chantal Akerman, et surtout sur celle de sa mère. Et enfin aussi ridicule cela soit-il, il y a l’amour, celui que des femmes trouvent ensemble, celui de la famille, celui de sa ville même lorsqu’elle nous veut du mal.
Le cinéma de Chantal Akerman est intime, politique et radical par sa forme. Difficile de se dire qu’on découvre seulement aujourd’hui la plus grande cinéaste du monde.
Pauline : Le Couvent de la bête sacrée, le diable c’est les hommes
Découvert lors du Festival du Nouveau Cinéma de Montréal même s’il date de 1974, ce film de Norifumi Suzuki fait partie d’un genre qu’on appelle la « nonnesploitation », soit un sous-genre du cinéma d’exploitation avec des nonnes, vous l’aurez compris. Ici, Maya (Yumi Takigawa) rentre au couvent pour découvrir la vérité sur une mort suspecte qui la concerne très directement. Généralement, ces films mettent en évidence la répression sexuelle et les brimades physiques et morales que subissent les religieuses, égratignant au passage l’Église Catholique et ses hypocrisies. Le Couvent de la bête sacrée ne se contente pas d’égratigner: on est plutôt sur un assassinat en règle de l’association fatale « pouvoir du patriarcat x pouvoir de la religion » sur les femmes. Pour un film aussi ouvertement sexuel (pensez film érotique du dimanche soir sur M6) et très « male gaze« , il est intéressant de constater que 100% des personnages masculins (au grand total de trois) sont tous des violeurs, sans exception. Ce qui m’amène également à signaler que le film comporte des scènes violentes et/ou dérangeantes, et est donc pour public averti. Dernier point : le réalisateur ne manque pas de talent, et il y a deux scènes très jolies visuellement, que je désignerai sans spoiler par la scène avec une table en miroir, et la scène des roses. Une pépite.
Captain Jim : Hundreds of Beavers, de Mike Cheslik et Ryland Brickson Cole Tews
Cela faisait des MOIS que la communauté cinéphile entendait parler de ce film. Un petit bouche à oreille qui s’est fait au fil d’une tournée de festivals de 2022 à 2024. Après son passage à Gérardmer puis sa sortie américaine en VOD en avril dernier, certains ont fini par tomber dessus dans les espaces pirates d’Internet et ont étendu ce bouche à oreille jusqu’à la France. C’est alors que durant l’été, on apprend qu’un nouveau distributeur nommé Charybde Distribution s’est décidé à acheter le film et lui offrir quelques séances de cinéma partout dans l’Hexagone avant une sortie SVOD sur Filmo.
J’ai évidemment sauté sur l’occasion et profité d’une des seules séances parisiennes pour voir si Hundreds of Beavers méritait sa hype dans un Majestic Bastille plein à craquer…
Et la réponse est OUI. Un immense oui. Passé deux premières minutes très étranges qui n’augurent rien de bon, le long-métrage du duo Mike Cheslik et Ryland Brickson Cole Tews devient une bizarrerie géniale qui laisse bouche bée. Je pourrais dire que c’est une sorte de Looney Tunes en live action avec des acteurs qui portent des fursuits croisé avec un jeu vidéo, un film de bagarre et un roman de Jack London, mais ça serait malhonnête : le film ne ressemble à rien d’autre que lui-même. Il mélange trop d’influences et surtout a trop d’idées géniales à la minute pour être comparé à quoi que ce soit d’autre. C’était un délire à découvrir avec des potes en salles, en attendant de le revoir à la maison tranquillement dans l’édition Bluray qui est en préparation.
Mehdi : L’exposition/rétrospective Weerasethakul à Pompidou
Akerman, Wiseman, et Weerasethakul, le mois d’octobre a été chargé en alléchantes rétrospectives. C’est de la troisième que je vais vous parler aujourd’hui. Le réalisateur thaïlandais est désormais un nom bien connu du cinéma d’auteur international. Le Centre Pompidou avant sa longue fermeture, a eu la magnifique idée de lui consacrer non seulement une rétrospective mais également la présentation de sa performance en réalité virtuelle (décrite par Captain Jim ici) et une exposition dans l’atelier Brancusi.
Tout cela était formidablement bien. Une plongée totale dans l’univers de l’un des réalisateurs les plus importants de notre époque. Dans cet ensemble cohérent, Weerasethakul travaille notre rapport au monde et nous remet à notre place, insignifiante et essentielle, dans la jungle qui nous entoure. Les cris d’oiseaux, les feuilles de bananiers, la moiteur des peaux, la lumière et son absence, tout nous transporte dans un ailleurs unique. Et au cœur de ce projet : le sommeil comme porte d’entrée vers une réalité plus consciente.
La rétrospective est bientôt finie et la performance VR, victime de son succès n’est plus disponible. Mais l’exposition « Des lumières et des ombres » est ouverte jusqu’au 6 janvier 2025 et constitue une parfaite occasion de découvrir une autre facette du travail de Weerasethakul. En attendant la ressortie de ses films en version restaurée, annoncée lors de sa masterclass.