A Conversation With The Sun VR : récit d’une aventure comme si vous étiez

Cinématraque compte en ses rangs de nombreux aficionados du cinéma d’Apichatpong Weerasethakul. Le centre Georges Pompidou a récemment consacré un événement à ce cinéaste unique en son genre, qui a réussi à construire une œuvre tentaculaire et onirique, à la fois universelle et très spécifiquement thaïlandaise, à la fois très terre à terre et profondément métaphysique. Additionnez ces deux informations et vous obtenez une évidence totale : nous sommes plusieurs à nous être déplacés en plein cœur de Paris (où nous vivons, en sales bobos que nous sommes) pour venir à la rencontre de son cinéma.

Un événement en particulier nous a semblé immanquable : une installation artistique intitulée A Conversation With The Sun VR qui utilise le cinéma et la réalité virtuelle pour augmenter une œuvre d’art contemporain déjà présentée en 2022.

Plus exclusif, tu meurs : 15 personnes par heure seulement, dans un lieu unique à Paname… Déjà que certains se plaignent (et même au sein de la rédaction) de la distribution de certains films en dehors de Paris, alors là on est sur un cas d’exception.

Heureusement, on peut au moins profiter de notre média ultra populaire (vous saviez que Cinématraque était plus lu que le site du Figaro ? Probablement pas, puisque c’est un mensonge) pour vous raconter dans ses moindres détails l’expérience. Vous habitez loin et n’avez pas pu vivre ce moment artistique hors normes ? Fermez les yeux et lisez ce texte, ce sera tout comme.

Enfin non, attendez. Rouvrez les yeux, je suis bête. Mince ils ne me lisent plus. Comment je fais ?

Bref. Lisez, et tentez d’imaginer à quoi cela ressemble. Vous pourrez ensuite faire semblant de n’avoir jamais lu cet article mais dire que vous avez participé à l’expérience pour briller dans vos soirées mondaines. Au cas où on ne vous prenait pas déjà pour le cinéfou du bus dans vos cercles….

Oeuvre: Weerasethakul: Cemetery of Splendor - Spectrum Culture
Il existe des photos de l’expérience sur Google mais légalement on ne peut pas les utiliser, on utilisera donc ici des images de ses films de cinéma

Récit d’une conversation avec le soleil

Nous sommes d’abord accueillis dans le hall inférieur de la Grande Salle de projection du centre Pompidou, au premier sous-sol. On dépose ses affaires dans un vestiaire puis on nous remet une série d’instructions à suivre durant toute l’expérience : on apprend alors qu’elle se déroule en trois temps, que nous sommes encouragés à nous déplacer dans l’espace consacré à l’installation, et que des employés risquent de nous toucher l’épaule pendant que nous avons le casque sur la tête pour nous prévenir de si on risque de foncer dans quelqu’un.

Une série d’instructions est spécifiquement consacrée à la manipulation des casques et leurs fonctionnalités, ce qui me permet ici de passer à la première personne pour faire un aparté : j’ai moi-même consacré plusieurs articles à la VR sur Cinématraque. Pour les sélections en animation à Annecy par exemple, mais aussi pour le festival Newimages qui a lieu tous les ans au Forum des images. Je me suis pris de fascination pour ce nouveau mode d’expression audiovisuel au point de passer le cap en 2020 et d’acheter un Oculus Quest. Pendant le confinement, j’ai expérimenté des choses très nouvelles, et je suis également beaucoup allé au cinéma. Dans une application nommée Big Screen, des utilisateurs diffusent des films de leur collection personnelle dans des salles virtuelles… On s’y croirait presque. Je me souviens avoir revu Volte Face de John Woo en intégralité comme ça, et découvert des obscurs films d’horreur moisis des années 90.

Tout ça pour dire : je connais les possibles de la réalité virtuelle, et je suis particulièrement exigeant vis à vis de cette technologie et c’est précisément ce qui m’a donné envie de découvrir ce qu’en ferait un artiste accompli comme Apichatpong Weerasethakul.

La première partie de l’installation se déroule ainsi : nous pénétrons dans une immense salle dans laquelle on ne trouve qu’un écran en son centre. Sur tous les murs, des enceintes diffusent des sons plus ou moins expérimentaux ou mélodiques, qui participent à faire du lieu un endroit à part, déconnecté de tout. Sur l’écran, une femme dort. C’en est presque évident, on est là dans le domaine de prédilection d’Apichatpong Weerasethakul. Le sommeil amène le surnaturel, les rêves sont la porte vers l’imaginaire.

L'ACID - Tropical Malady

L’écran situé au milieu de la pièce cache en vérité un second écran qui diffuse des images aussi, dans son dos : un homme qui dort. Là est la première particularité de l’installation puisqu’il est impossible de voir les deux écrans en même temps. Le spectateur a donc le choix de se consacrer uniquement à l’un des deux en sachant qu’il va rater toute une partie du récit et du propos, ou bien d’alterner entre les deux… Et également rater des passages. Car aux personnages qui dorment se succèdent d’autres images, notamment le soleil qui donne son nom à l’installation. Les visuels qui suivent sont amenés par différentes transitions plus ou moins surprenantes (un balayage très lent de haut en bas notamment revient souvent, comme une immense et lente vague venant déferler sur nous), et même quelques phrases prononcées par les personnages. On y parle de villes, de rêves, de poésie. Peu de surprises, on est très proche de l’esprit de Cemetery of Splendor et de Memoria, dans l’image et le son.

Durant cette phase, nous ne portons pas de casque mais d’autres spectateurs le font, ce qui nous rend évidemment curieux car on réalise très vite qu’ils vivent une expérience très différente de la nôtre. A les voir déambuler, on s’efforce de les esquiver en espérant ne pas déranger, ou briser leur immersion.

anna sanders films - Tropical Malady

Ready Sleeper One

Au bout d’une vingtaine de minutes, ils retirent tous leurs casques ; on comprend que notre tour arrive. Une fois l’appareil monté sur nos têtes, on réalise alors que ce que l’on voit dans l’espace de réalité virtuelle n’est qu’une copie numérique de la salle où nous sommes. On y retrouve la délimitation des murs et du plafond, ainsi que le double écran au centre sur lesquels on voit à nouveau les personnages dormir.

Dès lors s’installe une fausse familiarité que le cinéaste va s’évertuer à décomposer petit à petit, d’abord en en réduisant notre champ de vision à la manière du générique des cartoons de la Warner : dans une sorte de tunnel, de vignettage progressif qui va jusqu’à dérober notre vue. On retrouve ensuite la salle à l’identique, à un détail près. Tout le long des murs de cet espace virtuel, des nouveaux écrans sont apparus montrant d’autres personnages endormis.

Et puis le soleil arrive. Immense, brillant. On peut même aller à l’intérieur puisque nous sommes capables de nous déplacer. En essayant bien sûr de ne pas percuter les autres spectateurs, que l’on voit durant toute cette phase de réalité virtuelle sous la forme de petites lucioles qui se déplacent autour de nous. C’est d’ailleurs l’une des plus belles idées de toute l’œuvre, cette cohabitation avec les autres âmes errantes en ce lieu qui n’existent que par une minuscule lueur qui évolue timidement devant nos yeux. Lorsque j’ai participé à l’expérience, il y avait dans mon groupe de 15 personnes une enfant très jeune, qui était la seule luciole que je pouvais reconnaître immédiatement : elle volait presque au ras du sol, bien plus bas que toutes les autres.

Suite à l’arrivée du soleil, le paysage se transforme et devient rocailleux. Il finit par ressembler à l’astéroïde où se cache le Faucon Millenium dans une scène de l’Empire Contre Attaque, pour utiliser une référence qui devrait parler à tout le monde. La suite est plus difficile à expliquer : le soleil se déplace au dessus de l’écran central, qui n’existe désormais que comme un cadre, totalement dépassé par la fiction fantasmagorique qui l’entoure. De l’autre côté, la lumière du soleil nous révèle une immense statue un peu terrifiante (de par sa taille) et un peu marrante (elle a un gros pénis tendu au dessus de nos têtes), puis la fait fondre sous nos yeux.

Uncle Boonmee Who Can Recall His Past Lives

La suite et fin de ces vingt minutes de réalité virtuelle joue encore davantage avec nos repères, puisque l’on décolle du sol et traverse l’astéroïde pour rejoindre le soleil et de nombreuses autres étoiles, parmi lesquelles nous trouvons enfin notre place. Un générique vient alors conclure l’aventure, avec notamment un hommage au regretté Ryuichi Sakamoto, dont la musique expérimentale est partie intégrante de l’installation.

Difficile de ne pas repenser à Cemetery of Splendor à la fin de cette expérience : dans son long-métrage, Apichatpong Weerasethakul ne montre jamais les rêves des soldats endormis, appelés dans un combat céleste et cosmique par les dieux qui nous dépassent. C’est l’une des qualités du film puisqu’en se refusant à représenter cela, en laissant cette fantaisie intégralement hors champ, il encourage aussi le spectateur à en rêver à sa manière. Il ne veut pas trop montrer avec le cinéma, il veut encourager les visions chez le spectateur.

Avec A Conversation With The Sun VR, il semble au contraire poser la réalité virtuelle comme un moyen possible d’explorer ces mondes qu’il ne fait que suggérer avec son cinéma. Heureusement l’aspect vertigineux de la chose et surtout la nature très abstraite du récit animé auquel on participe permettent à cet aperçu à l’intérieur du crâne de l’artiste de ne pas trop non plus en révéler. Même si on rentre dans le rêve pour une fois, ce dernier a tout ce qu’il faut pour nous laisser songeur… (appelez-moi le poète).

Le réveil en douceur

Une troisième salle vient servir de sas de décompression après toutes ces émotions fortes. Dans une salle de cinéma cette fois, on retrouve un écran tout simple qui lui diffuse un montage de personnes et d’animaux qui dorment. Dix minutes d’images qui se répètent à l’infini, comme pour revenir à l’essentiel une dernière fois : l’important, c’est de rêver.

Ainsi s’achève A Conversation With The Sun VR, on espère que votre imagination et notre récit vous permettra de le vivre à votre manière au mieux !

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