Flow de Gints Zilbalodis : River flows in you

Le personnage principal est un chat très mignon dont on va suivre les aventures pendant 1h30. Normalement, avec cette première phrase, vous avez déjà envie d’aller voir Flow de Gints Zilbalodis, le cinéaste letton qui avait fait parler les cinéphiles en 2019 avec Ailleurs un long-métrage en 3D réalisé seul. Je pourrais donc m’arrêter là, n’ayant plus à vous convaincre davantage.

Mais cela ne serait pas faire honneur à l’un des plus beaux films d’animation de cette année 2024, qui ne se contente pas d’avoir un chat en protagoniste (cela aurait été suffisant) mais qui déploie une errance mythico-poétique pour les enfants, évidemment, mais surtout pour tout le monde.

Maintenant bien entouré, Gints Zilbalodis a pu revoir à la hausse ses ambitions pour un film à la multitude de personnages (adorables) et décors sublimes. Tout en 3D, l’animation a été modélisée grâce au logiciel Blender, l’outil gratuit qui prend de plus en plus de place dans le milieu. Inspiré par le cinéma en prise de vue réelle, le réalisateur est un grand fan de plan-séquence et caméra embarquée, un genre de mise en scène peu vue dans le cinéma d’animation (faisant néanmoins penser au jeu vidéo) qui donne immédiatement une certaine dimension d’urgence au film. Toujours à hauteur d’animaux, on est accolé à leur mouvements, escalades, plongeons et courses pour des séquences facilement palpitantes. Il est difficile de ne pas penser au style d’Alfonso Cuarón et à sa caméra flottante rarement interrompue par le montage, qui unit entre eux les personnages. Lorsque dans Flow se côtoient animaux volant, nageant, grands et petits, cette mise en scène créant du lien devient la solution idéale pour tous les inclure dans le même mouvement.

En plus de cette caméra virtuelle hyperactive s’ajoute le flux perpétuel de l’eau. Flow, comme son nom l’indique, se déroule durant une grande inondation. Les animaux et surtout notre chat noir favori, sont avant tout piégés et emportés par un courant inquiétant ; et ils deviennent dépendants du mouvement aléatoire de n’importe quel objet pouvant accueillir des hôtes. La prise de vue si légère s’accorde donc bien à cette sensation de fluidité incontrôlable. Le Flow ici n’est pas celui des personnages résolument muets mais traduit plutôt la danse de l’eau au premier abord dangereuse puis calme et belle.

© Flow 2024 UFO distribution

Le récit quant à lui adopte rapidement une dimension mythologique. Non doués de la parole et assez archétypaux par leur nature-même, les animaux personnages représentent des concepts simples : la peur de l’autre pour le chat, la soumission pour le chien, la possession pour le lémurien, etc. La grande vague qui englobe tout sans explication fait presque penser à une punition divine dans un monde qui semble avoir déjà été réprimandé. Il y a quelque chose de l’arche de Noé dans ce film mais sans les humains, car, finalement, cela ne valait pas vraiment la peine de les embarquer la première fois. Sans penser que cela est vraiment une volonté du réalisateur, le film prend une dimension antispéciste où les animaux tout aussi vifs et caractériels que les humains sont des protagonistes à part entière et cela sans anthropomorphisme. Le réalisateur parle pourtant de figures évoquant des vices connus mais je préfère considérer qu’il a tort sur son propre film (parce que c’est moi la critique ici). Loin de faire des portraits paraboliques et classiques de péchés contemporains, le film réussit plutôt selon moi à retranscrire la vie et l’obsession d’autres espèces qui sont juste elles-mêmes. La crainte et le comportement solitaire du chat ne m’apparaissent pas comme des tares : c’est juste un chat normal.

En retirant l’Homme de l’équation du récit, Flow devient un terrain fertile pour l’imagination. On ne sait pas qui a fait les statuts félines géantes, on ne sait quelle est la ville presque antique qu’ils traversent, on ne connaît même pas tous les animaux… Les époques et paysages se mélangent pour offrir un film empruntant intelligemment aux codes de la dystopie mais peut-être même aussi à ceux de l’uchronie. Car ce n’est pas le monde tel qu’on le connaît qui est ici submergé, s’en est un autre. Ces petits mystères rendent le film plus passionnant et font de lui un espace d’histoires parallèles où on se prend à imaginer un avant à défaut de pouvoir envisager un après. Flow est en conséquence très mélancolique. S’il y a évidemment des arcs pour les personnages et des changements, il est aussi construit en forme de boucle, un peu à la manière de notre Histoire faite des mêmes schéma idéologiques détruisant tout à petit feu. Flow donne presque à voir ce qui arriverait si nos comportements immondes terminaient de détruire notre environnement pour ne laisser aux bêtes que les catastrophes d’un climat et d’une Terre déréglés pour toujours. Si nous partions vers de nouvelles planètes, ce serait sans les bêtes, les laissant encore et toujours payer pour nos exactions.

Néanmoins, c’est aussi le seul monde dans lequel on peut les imaginer vivre, loin de la main meurtrière humaine. Sans en dire plus (mais arrêtez de lire la critique ici si vous ne voulez rien rien rien savoir),

 

un animal dans le film a le droit à un au-delà magnifique, une envolée lyrique qui symbolise tant la mort que la liberté. C’est beau de voir des animaux partir naturellement et surtout, dignement.

Le monde sans avenir qu’il dépeint n’est pas bien différent du nôtre aujourd’hui, heureusement, sans les Hommes, il parait quand même déjà plus beau.

Flow de Gints Zilbalodis, en salles le 30 octobre 2024.

© Flow 2024 UFO distribution

 

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