Perfect Days de Wim Wenders : And I’m feeling good

2023 fut une magnifique année sur le sujet de la vieillesse. Fermer les yeux de Victor Erice nous a offert le plus beau récit sur la mémoire, De humani corporis fabrica s’est longuement attardé dans des couloirs de gériatrie ; Un prince, immense œuvre trop peu vue, a effectué le plus beau geste, celui de redonner au corps vieilli une sexualité. Perfect Days de Wim Wenders, sur ce grand sujet, vient doucement s’imposer en cette fin d’année, nous permettant d’accompagner Hirayama, un agent d’entretien des toilettes publiques de Tokyo dans sa routine. Si à environ 50 ans, Hirayama n’est pas ce qu’on appellerait exactement un vieillard, ses cheveux poivres et sel, ses rides ou sa paire de lunettes quand il lit le rapprochent de ces personnages si forts de l’année, précédemment cités. Le film a par ailleurs été réalisé par un très grand vieux monsieur, Wim Wenders, qui était présent lors de mon visionnage du film pour l’ouverture du Festival du cinéma japonais contemporain Kinotayo. Du haut de ses 78 ans, parlant anglais, allemand, et parfaitement français, Wim Wenders est ce qu’on peut appeler un grand cinéaste (et je ne dis pas ça parce qu’il faisait 2 têtes de plus que tout le monde), avec sa palme d’or parfaite Paris, Texas ou avec son film chef d’œuvre Les ailes du désir mais surtout par sa simplicité, sa gentillesse et sa manière si belle de parler de son art. Comment ne pas être submergé·e d’émotion quand le créateur d’un si beau film s’avère être lui-même si doucement imposant ?

©2023 MASTER MIND Ltd

Perfect Days a déjà reçu beaucoup d’éloges pour sa superbe manière de magnifier le quotidien, d’en faire même un « rituel » pour reprendre les mots de Wenders. Bouclé en seulement 16 jours, le film est venu presque à l’improviste : Wim Wenders avait été appelé par la ville de Tokyo pour réaliser plusieurs documentaires sur les nouvelles toilettes publiques implantées dans le décor, pensées par de très grands architectes japonais. En travaillant sur ce projet, le réalisateur s’est rendu compte que derrière ces petits documentaires institutionnels il y avait tout un film qui pouvait naître et voici comment Perfect Days est apparu. La simplicité du long métrage, son aspect si naturel, viennent sûrement de sa création presque impulsive. Wim Wenders et son co-scénariste Takuma Takasaki ont d’abord passé du temps à élaborer la routine pointilleuse et répétitive du personnage, pour penser ensuite aux petits grains à insérer dans la machine et la détraquer un peu. Il n’est donc pas étonnant que tout cet aspect du quotidien soit particulièrement réussi : c’est le squelette du film. Difficile de ne pas penser au chef d’œuvre Paterson dans cette démarche de répétition d’une même journée, d’un homme qui fait un métier au mieux ignoré au pire méprisé mais qui est aussi un très grand artiste. Perfect Days arrive pourtant à s’en démarquer car Hirayama serait plutôt une version plus âgée du personnage joué par Adam Driver, le même mais plus solitaire, marqué par un vécu plus ou moins évident.

©2023 MASTER MIND Ltd

La chanson « Feeling Good » de Nina Simone, selon le récit de Wim Wenders, a guidé l’écriture du scénario et elle représente avec une certaine justesse le film : beau, lumineux, et en même temps légèrement teinté d’une certaine mélancolie. Oui, le film de Wim Wenders ressemble souvent à un cocon mais c’est aussi un film tout abîmé par la vie. On y pleure, on y rit et on pose un regard assez singulier sur la précarité : celle qui touche les corps et esprits déjà fragilisés par l’âge, dans un pays où une population vieillie semble parfois un peu trop en décalage. Le film est peut-être le plus sublime quand il réduit cet écart, car en parlant du présent, il parle aussi de ces générations qui cohabitent et ne vivent pas en parallèle contrairement à ce qu’on pourrait ou voudrait penser. C’est ainsi que le film n’est jamais vieux con, quand bien même son protagoniste écoute des cassettes et n’a pas un écran chez lui, car il veut montrer que c’est par d’autres choses que les gens sont liés, malgré les différences d’âge et de mode de vie : par la voix magnifique de Patti Smith par exemple, ou par l’envie de prendre en photo les feuilles des arbres que ce soit à l’argentique ou à l’iPhone.

©2023 MASTER MIND Ltd

Dans ce film, Wim Wenders semble aussi poursuivre un thème déjà prégnant dans ces œuvres précédentes : le regret. La peur des regrets anime les figures plus jeunes qui l’entourent, qui sont affolées à l’idée de ne pas pouvoir tout faire tout de suite maintenant. Hirayama, lui, n’a pas peur de repousser au lendemain ou de faire les choix sages, armé de cette absurde réplique (en substance) : « maintenant c’est maintenant et plus tard c’est plus tard ». Les personnages plus âgés sont eux obligés de vivre avec les choix qu’ils ont faits et en subir les différents coûts. Alors qu’un personnage comme celui de Hirayama aurait pu faire l’objet d’un portrait amer et plein de remords, il est au contraire un éloge de son choix, un éloge de comment vivre au présent. Il y a quelque chose sur l’immédiateté dans ce film, sur la beauté du moment qu’importe de quoi il est fait, sur le refus d’appartenir à un passé (mais aussi à un futur) pour admirer ce qui nous entoure dans l’instant. C’est dans cette optique que Wim Wenders fait d’un brossage de dents, du reflet de la rue dans le plafond argenté de toilettes publics ou d’une vieille femme qui balaie les feuilles mortes à l’aube, des moments uniques et poétique. Le dernier plan du film que nous ne dévoilerons pas, reflète une question selon les mots de Wim Wenders : notre protagoniste a-t-il fait les bons choix ? On ne sait jamais si on les a fait, mais c’est la possibilité d’en faire d’autres qui nous permet de nous lever chaque matin et d’essayer de rendre chaque journée parfaite.

Perfect Days de Wim Wenders, distribué par Haut et Court, en salles depuis le 29 novembre 2023. Prix d’interprétation masculine pour Kōji Yakusho au festival de Cannes 2023.

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2 thoughts on “Perfect Days de Wim Wenders : And I’m feeling good

  1. Et surtout que…

    Et surtout que Demain n’apprenne pas où je suis —
    Les bois, les bois sont pleins de baies noires —
    Ta voix est comme un son de lune dans le vieux puits
    Où l’écho, l’écho de juin vient boire.

    Et que nul ne prononce mon nom là-bas, en rêve,
    Les temps, les temps sont bien accomplis —
    Comme un tout petit arbre souffrant de prime sève
    Est ta blancheur en robe sans pli.

    Et que les ronces se referment derrière nous,
    Car j’ai peur, car j’ai peur du retour.
    Les grandes fleurs blanches caressent tes doux genoux
    Et l’ombre, et l’ombre est pâle d’amour.

    Et ne dis pas à l’eau de la forêt qui je suis ;
    Mon nom, mon nom est tellement mort.
    Tes yeux ont la couleur des jeunes pluies,
    Des jeunes pluies sur l’étang qui dort.

    Et ne raconte rien au vent du vieux cimetière.
    Il pourrait m’ordonner de le suivre.
    Ta chevelure sent l’été, la lune et la terre.
    Il faut vivre, vivre, rien que vivre…

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