Fermer les yeux : la mémoire sur pellicule

« Les miracles au cinéma, c’est fini depuis Dreyer » s’exclame Max, l’un des personnages du film. Pourtant, assis sur notre strapontin, juste avant de découvrir une nouvelle œuvre du réalisateur espagnol, on ne peut s’empêcher de se dire qu’on assiste à un petit miracle. Avec quatre films en 50 ans, Victor Erice n’est pas le réalisateur le plus prolifique qui soit. Et pourtant c’est un nom incontournable de la cinéphilie mondiale, notamment pour son premier film L’esprit de la ruche souvent considéré comme l’un des grands chefs d’œuvre du 7ème art.

C’est donc peu dire que la présentation de son dernier film était attendue ici. Annoncé dans la mystérieuse sélection « Cannes Première » où les films ne sont pas en compétition sans qu’on sache pourquoi, Fermer les yeux est une longue et douce quête menée par un réalisateur, Miguel, qui a perdu son ami, il y a bien longtemps. Celui-ci, acteur qui jouait dans un de ses films, fait justement l’objet d’une émission type « Perdu de vue ». Comme il intervient dans cette émission, Miguel va ressasser la disparition de son ami, et peut-être enfin trouver le fin mot de l’histoire.

C’est dommage la semaine dernière j’aurais eu une super blague sur cette photo, mais cette semaine il fait beau

Bien qu’il s’agisse d’une enquête, le film n’est pas construit autour de rebondissements et de vérités cachées. Tout est au contraire assez limpide dans la trajectoire de ces êtres qui (se) cherchent. Au cœur du récit il y a un autre film. Celui que tournaient les deux amis avant que l’un d’entre eux disparaisse. De ce film jamais fini, seules deux bandes sont restées. L’une d’elles ouvre le film, l’autre sera révélée plus tard. Et ces bandes permettent à Victor Erice de magnifier la force du cinéma. Car si les personnages ferment bien les yeux, c’est pour mieux voir. Les images gravées dans le cerveau, les souvenirs parfois inaccessibles, les détails qui se fixent à travers le temps, les liens entre les êtres qui au contraire meuvent sans cesse, tout cela nourrit le poème que Victor Erice écrit sous nos yeux. Sur le chemin de son histoire, Miguel passe une soirée avec deux amis. Entre deux verres d’alcool, ils chantent ensemble une chanson de Rio Bravo. Ils ne se souviennent pas totalement des paroles et s’appuient l’un sur l’autre pour reconstituer l’air mythique, ce qui rend le chant encore plus beau. Ce moment anodin restera dans la tête du spectateur bien après la fin du film, et c’est justement cette capacité du cinéma à capter la beauté de l’instant qui conduit le geste du film de Victor Erice.

On pourrait éventuellement chipoter sur le rythme du film qui aurait pu être un peu plus condensé dans sa première partie. Mais on n’ose pas réclamer moins de Victor Erice alors qu’on a si peu de films à se mettre sous la dent. On va donc profiter de ce (dernier ?) coup d’éclat du maître espagnol et nous allons continuer à fermer les yeux pour refaire surgir les images qu’il a gravées dans nos mémoires.

Fermer les yeux, un film de Victor Erice avec José Coronado et Manolo Solo.

About The Author

1 thought on “Fermer les yeux : la mémoire sur pellicule

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.