Cette année, le Festival d’Annecy n’a pas le temps : il commence un jour plus tôt (un dimanche) et directement avec la projection du premier film de sa compétition officielle : Sirocco et le Royaume des courants d’air, du réalisateur français Benoît Chieux.
Après Tante Hilda !, qu’il avait co-réalisé avec son collaborateur de longue date Jacques-Rémy Girerd, il s’est attelé pendant une dizaine d’années à son premier long métrage « en solo » (appellation difficile tant on sait que le cinéma est un travail d’équipe, encore plus dans l’animation et dans un tel festival où l’on tient toujours à le souligner dans les présentations). Pitché au MIFA (le marché du film d’Annecy) en 2019, le film débarque dans sa version finale dans la Grande Salle de Bonlieu quatre ans plus tard. Et ça, mes cocos, c’était du film d’ouverture (quand t’as vécu Playmobil le film et Les Minions 2, le traumatisme est encore là).
Dans Sirocco et le Royaume des courants d’air, Carmen et Juliette, deux sœurs qui aiment un peu se chamailler, sont gardées par Agnès, une amie de leur mère autrice. Elle a passé la nuit à écrire le nouveau tome de sa saga, « Le royaume des courants d’air ». Alors qu’Agnès s’absente le temps d’une sieste, les deux petites filles se retrouvent propulsées dans cet univers de papier… transformées en chats (oui). Elles devront traverser et dompter le monde de Sirocco pour retrouver le chemin vers leur propre monde.
Et si l’univers de fiction que vous avez créé continuait à vivre en dehors de vos propres histoires ? Dans le Royaume des courants d’air, la vie bat son plein en dépit des tempêtes qui menacent. L’ombre de Sirocco, le maître du vent, plane sur l’ensemble des habitants et leur territoire. Benoît Chieux propose un bestiaire un peu chelou, d’un peuple de grenouilles plus ou moins gracieuses à une femme-oiseau chanteuse d’opéra, en passant par une tempête qui prend la forme d’un ballon monstrueux. Une proposition aussi variée que les décors, que ce soit sur terre comme dans les airs. Des cactus gigantesques, des champignons qui flottent dans les airs, un ciel nocturne où des méduses remplacent les étoiles et se font relais de tous les murmures…
Et qu’il fait plaisir de continuer à voir des productions en animation 2D nous transporter à ce point : la seule frustration que l’on peut avoir en regardant Sirocco, c’est d’avoir seulement l’impression d’effleurer ce monde et tous ses possibles. Le dessin est parfois rudimentaire, mais toujours très élégant. Comme Carmen et Juliette, on est soufflés, propulsés dans les airs par le deltaplane rouge de Selma, emmenés d’un bout à l’autre du royaume dans ses épais nuages colorés. Sirocco et le royaume des courants d’air est une incroyable proposition sensorielle, à laquelle se mêle la somptueuse musique de Pablo Pico (également compositeur de la musique de L’Extraordinaire Voyage de Marona d’Anca Damian).
D’abord surprises par l’inconnu, les deux sœurs finissent bien vite par conquérir le Royaume des courants d’air. Car ce monde, elles le connaissent : c’est celui d’une autrice à succès, mais aussi celui de l’amie de leur mère. Quand Sirocco, ce dieu des vents massif au visage dissimulé, tient à rester seul, la petite Juliette termine les répliques de son personnage préféré… Et lui en bouche un coin. Tout dans ce monde fait sens, même ce qui semble être pourtant le plus absurde. Plein d’humour, le film de Benoît Chieux saura séduire le jeune public. Mais il montre surtout à quel point l’animation, mais aussi la littérature jeune public, peut aussi traiter des sujets sensibles comme le deuil et, d’une certaine façon, le consentement (surtout face à un crapaud dégueu qui sera loin de devenir prince charmant). Dans l’animation française, cela faisait un moment que l’on n’avait pas vu une proposition aussi envoutante… alors bon vent à Sirocco, et rendez-vous en décembre dans les salles.
Sirocco et le Royaume des courants d’air, un film de Benoît Chieux. En salles le 13 décembre 2023. Présenté en Compétition officielle au Festival international du film d’animation d’Annecy 2023.
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