Black Flies : Les clochards terrestres

Sean Penn est de retour à Cannes, et forcément cette nouvelle n’est pas forcément la plus à même de rasséréner les festivaliers au courant des dernières turpitudes cinématographiques de l’acteur réalisateur. Ses deux dernières expériences sur la Croisette se sont en effet soldées sur des échecs cuisants. En 2016, il se plantait dans les grandes largeurs avec le funestement célèbre The Last Face, indigne mélo sur fond d’humanitaire tellement abject qu’il détient encore aujourd’hui la pire note jamais donnée en compétition en près de quatre décennies par le tableau critique de Screen International et qu’il a conduit à une révolution du calendrier des projections de par la bronca monumentale que le film s’était pris en salles lors de sa projection de gala. Il y a deux ans, Sean Penn tentait de faire amende honorable en revenant en compétition avec Flag Day, mélo familial cette fois-ci sous fond d’americana et de relation père-fille éprouvée par les années de crime du paternel, en mettant en scène sa propre fille Dylan. Résultat guère plus convaincant : s’il évitait au moins l’abîme des comparaisons morales les plus affreuses, Flag Day était un nouvel aveu d’échec artistique, largement étrillé par la critique.

Il y a là une tentation face à laquelle le critique se doit de résister : celle de faire de Sean Penn un dindon de la farce cannoise, présent uniquement de par son amitié de longue date avec Thierry Frémaux, ou par l’existence de dossiers secrets sur le patron du festival. L’acteur fut en son temps une sommité hollywoodienne doublé d’un réalisateur inspiré notamment dans les années 90. Alors chiche, comptons démentir l’adage “Jamais deux sans trois”. 

Black Flies n’est d’ailleurs pas un film de Sean Penn mais de Jean-Stéphane Sauvaire, cinéaste français spécialisé dans les fictions viriles et violentes, remarqué en 2008 avec Johnny Mad Dog, récompensé à Un Certain Regard à Cannes. Son nouveau film est l’adaptation d’un roman de Shannon Burke, spécialiste du roman noir, mais aussi co-scénariste de Syriana avec George Clooney et auteur de la série pour ados Outer Banks pour Netflix. Ambulancier dans ses jeunes années à New York, Burke a écrit plusieurs romans dans cet univers, dont Black Flies, publié en France sous le titre 911 en 2008. Sean Penn y incarne Gene Rutkovsky, un bourlingueur bourru des paramedics, qui accueille sous son aile le jeune Ollie Cross, qui prépare l’école de médecine.

Brooklyn Nine-One-One

C’est sur cette mince trame de buddy movie que se construit Black Flies, qui se veut une chronique du quotidien difficile des ambulanciers de nuit, confrontés à la violence endémique de la Big Apple et ses cas les plus désespérés. Jeune blanc bec plongé dans la réalité crue d’un travail qu’il ne connaît qu’à travers ses livres de cours, Ollie va se retrouver happé, comme le spectateur, dans la spirale d’un quotidien de plus en plus ingérable. Avec comme horizon, l’envie de s’imposer comme l’A tombeau ouvert du XXIe siècle.

Autant le dire tout de suite, le compte n’y est pas du tout. Derrière ses intentions de réalisme “coup de poing”, le film n’est en réalité qu’une sorte de prétexte pour justifier l’enchaînement de séquences les plus criardes et violentes les unes que les autres. Pour les relier, Jean-Stéphane Sauvaire ne semble trouver rien de mieux qu’empiler les mêmes effets de montage, usant et abusant des effets de flares et autres lumières de gyrophare un peu d’un autre âge. Il en résulte un film incapable de trouver son propre rythme, comme trop pressé pour installer sa propre caractérisation, les scènes de vie étant parfois réduites à la portion la plus congrue (quel intérêt de caster Mike Tyson en chef de service pour lui donner aussi peu à jouer?). Les personnages, loin de trouver corps, ne deviennent que fonctions, des tropes un peu éculés, du vieux loup de mer bougon option cure dent mâchouillé sans cesse au jeunot désabusé en passant par le lone wolf incontrôlable (Michael Pitt, physique tout cabossé, presque méconnaissable, ne fait que cabotiner).

Se voulant polar vintage, Black Flies se montre très vite démodé, de ce genre de films qui consacre plus de budget à soigner ses effusions de sang que les garde-robes de ses rares personnages secondaires féminin (le love interest d’Ollie est presque nue dans chacune de ses scènes, sans qu’on sache trop pourquoi). Et surtout, derrière Black Flies, se cache une petite chanson un peu douteuse. Parce que les ambulanciers de nuit du NYPD, ils ne tombent toujours que sur des minorités : des noirs qui se fusillent entre eux souvent pour des histoires de dope, des latinos sur-tatoués et leurs gros clébards, un mec d’Europe de l’Est qui bat sa femme… Et puis en plus, ces minorités, elles sont pas très gentilles ni très reconnaissantes, alors pourquoi se battre pour essayer de les sauver? Black Flies se prend un peu les pieds dans le message qu’il essaie de faire passer, avec l’impression très gênante de voir ressurgir une fiction des années Reagan.

Tout n’est pas à jeter dans le film, notamment la prestation assez convaincante de Tye Sheridan qui fait de son mieux pour tenir son rôle et le film avec lui. Très dur visuellement (il culmine dans une scène d’accouchement assez cradingue qui n’est pas faite pour toutes les âmes), Black Flies trouve par moments quelques respirations bienvenues, comme cette SDF gouailleuse recueillie dans un Lavomatic en engueulant le patron qui veut la chasser. C’est trop peu malheureusement pour sauver ce film un peu obsolète, qui aurait pu limite faire illusion lors d’une Séance de minuit, mais qui échoue bien trop régulièrement à justifier du bien-fondé de sa sélection en compétition. Et Sean Penn, cette fois-ci, n’en est pas le seul responsable.

Black Flies de Jean-Stéphane Sauvaire (Compétition officielle) avec Sean Penn, Tye Sheridan, Michael Pitt…, date de sortie en salles encore inconnue

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