The Sweet East : (Talia) Ryder’s on the storm

Le nom de Sean Price Williams ne vous dit pas forcément grand-chose, mais son travail est déjà bien connu des suiveurs attentifs de la dernière décennie du cinéma indépendant américain. Biberonné par l’un des chefs de file du mouvement mumblecore, Alex Ross Perry (qui l’accompagne sur The Sweet East comme producteur exécutif), dont il fut le chef opérateur sur The Color Wheel, Listen Up Philip, Queen of Earth ou plus récemment Her Smell, il est aussi un compagnon de route régulier des frères Safdie. La photo de Mad Love in New York et Good Time, sélectionné en 2017 en compétition à Cannes, c’est en effet à lui qu’on la doit. Auréolé de ce statut de petite darling de l’indie hardcore, Sean Price Williams se lance cette année dans le grand bain de la réalisation avec The Sweet East

Vendu comme une sorte de relecture d’Alice aux pays des merveilles dans les méandres de l’Amérique trumpiste interlope, The Sweet East est un récit picaresque dans lequel on suit la jeune Lilian (Talia Ryder, découverte notamment dans le très beau Never Rarely Sometimes Always d’Eliza Hittman) qui au gré des mésaventures d’un voyage scolaire dans la capitale américaine, se retrouve embarquée dans un voyage aux confins de la folie à travers le nord-est américain. De la frénésie new-yorkaise aux tréfonds du Vermont, le film se veut une farce nous plongeant dans l’envers du rêve américain, auprès de ses freaks les plus extrêmes, pour mieux ausculter l’âme malade d’un pays rongé par sa propre démesure.

The Sweet East est un film bien de son époque, qui cherche à prendre le pouls d’un pays plus malade et divisé que jamais. Son premier acte, relecture du passage à travers le miroir d’Alice à la sauce complotiste (en témoigne le clin d’œil assumé à la très partagée théorie du complot du Pizzagate, un soi-disant réseau de pédophilie pour l’élite démocrate tenu par un directeur de campagne d’Hillary Clinton en 2016 dans le sous-sol d’une pizzeria de Washington), démarre sur le chapeau de roues. Adolescente lambda traînant son spleen générationnel, Lilian se retrouve embarquée dans une spirale infernale qui la fera côtoyer un néo-nazi en manque d’affection (Simon Rex, qui retrouve les honneurs de Cannes après Red Rocket de Sean Baker), un duo de réalisateurs-producteurs prêts à faire d’elle une star (Ayo Edibiri et Jeremy O. Harris) et même une cellule de terroristes islamistes homosexuels obsédés par la musique dance.

Très chaleureusement reçu entre les murs du Théâtre Croisette qui accueille les films de la Quinzaine des cinéastes, The Sweet East est un premier film avec les qualités et les défauts de ces derniers. La générosité de sa proposition fait mouche sur un peu plus de la moitié du film : la première séquence à Washington est presque un hommage déguisé au cinéma des Safdie, la parenthèse du New Jersey auprès de ce vieux garçon suprémaciste repose sur l’abattage phénoménal de Simon Rex (espérons que le cinéma indépendant américain continue de faire appel à ses services) et son alchimie réelle avec Talia Ryder, et l’acte new-yorkais, presque métafilmique, explose dans un déluge de violence à la fois grotesque et hilarant.

Mais peu à peu, l’exubérance du film s’étiole et ne semble plus reposer que sur le format du film à sketchs avec ce qu’il peut avoir d’inégal, malgré les liens assez ingénieux tissés entre eux (Lillian endosse régulièrement le personnage qu’elle vient d’abandonner dans le sketch précédent dans le suivant). The Sweet East se délite alors progressivement et perd de son charme malpoli et débraillé. D’abord très malpoli voire mal élevé, Sean Price Williams semble un peu rentrer dans le rang à mesure où l’inventivité de son film se tarit, jusqu’à un final expéditif un peu en eau de boudin, vaguement apocalyptique mais qui nous laisse avec une petite sensation d’inachevé. 

The Sweet East se présentait comme un Alice au pays des merveilles où la Chenille fumerait une pipe à crack et le Chapelier fou se draperait dans une literie aux motifs de croix gammés. Pendant plus d’une heure, il parvient à justifier la hype manifeste qui entoure ce projet bien né et déjà destiné à faire le bonheur des circuits de festivals de toute l’Amérique du Nord. Et malgré ses erreurs de jeunesse, il n’en reste pas moins une chouette tentative de retranscrire la folie collective d’un pays sans repères.

The Sweet East de Sean Price Williams avec Talia Ryder, Simon Rex, Ayo Edibiri…, date de sortie française encore inconnue.

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