Coupez! : Ca va trancher, chérie

Cannes, premier jour. Pour ouvrir les festivités de cette édition 2022, le festival présidé par Thierry Frémaux et Pierre Lescure, en route pour une dernière danse avant de laisser la main à Iris Knobloch au terme d’un processus de nomination pour le moins houleux, a misé sur la comédie de genre en faisant appel à l’un de ses représentants les plus identifiés, Michel Hazanavicius. Il faut dire qu’au-delà de l’engouement de retrouver un festival aux dates habituelles du mois de mai, où le soleil de printemps est un peu plus clément que celui de l’été dernier au cours duquel avait été décalée l’édition 2021, l’ambiance est un peu à la morosité. La fréquentation des cinémas n’arrive toujours pas à se relancer de manière pérenne et tenable, la planète continue de cramer, le fascisme toque à nos portes pendant qu’on discute burkini et écriture inclusive, le COVID ne s’est pas encore totalement éloigné de nos vies contrairement à ce que les salles encore très clairsemées en masques laissent croire…

Bref, c’est la merde, et la cérémonie d’ouverture n’a pas échappé à l’ambiance du moment. Scénographie resserrée, happenings limités, moins de strass… Du discours du président du jury Vincent Lindon à celui d’un autre président, Volodymyr Zelensky, point d’orgue de la soirée en forme d’hommage à Chaplin et d’appel à la mobilisation contre les horreurs perpétrées par le régime poutinien, Cannes s’est rappelé à la puissance du storytelling et du soft power que représente le septième art avant de passer douze jours à faire plus ou moins comme si de rien n’était en se coupant du monde dans les salles obscures. Probablement le fruit de la nouvelle donne apportée par son changement de diffuseur (finies les années coke et bling-bling de Canal+, place à l’ascétique mission de service public sur France Télévisions), la cérémonie d’ouverture sobrement animée par Virginie Efira a semblé chercher parfois son ton avec plus ou moins de bonheur. On applaudit le (double!) hommage à Forest Whitaker, un peu moins le sacrifice du traditionnel montage des films en compétition au profit d’un (un peu trop) long happening de Vincent Delerm reprenant Que je t’aime de Johnny Hallyday au piano-voix, au grand désarroi de tous les accrédités étrangers n’ayant pas le moindre début d’idée de pourquoi c’est drôle de voir Vincent Delerm chanter du Johnny.

S’il y a bien aussi quelqu’un qui semble ces derniers temps chercher son ton et son identité, c’est bien Michel Hazanavicius. Auréolé du triomphe international de The Artist, Hazanavicius ne semble jamais véritablement s’être relevé artistiquement du flop public et critique de The Search, remake des Anges déchus de Zinnemann qui s’annonçait comme son grand œuvre. Depuis il y a eu du bon (Le Redoutable, sa biographie fictive de Godard) et du nettement moins bon (le très oubliable Prince oublié, film pour enfants qui porte bien son nom). Pendant que le cinéaste gravissait les échelons de la reconnaissance institutionnelle, accédant à la tête de la Fémis en 2019, sa filmographie, elle, donnait l’impression de suivre la trajectoire inverse.

Alors quand on a appris que le cinéaste revenait faire l’ouverture de Cannes avec Coupez!, la surprise s’est doublée d’une pointe d’inquiétude. Qu’est-ce qu’Hazanavicius allait bien faire au beau milieu de ce remake français de Ne coupez pas!, comédie de zombies japonaise à micro-budget, petit phénomène du box-office japonais en 2017 et objet d’un petit culte en France depuis sa localisation il y a trois ans. Certes, on comprend vite ce qui peut intéresser le réalisateur de La Classe américaine et The Artist là-dedans : un goût prononcé pour le méta, une réflexion sur la difficulté de la mise en scène et de la magie de l’empirisme cinématographique, ainsi que sur le sens de la citation et de l’auto-citation… Mais la promesse d’un remake quasi semblable à l’original ne semblait pas témoigner d’une folle ambition pour un réalisateur qui n’en a jamais manqué, pour le meilleur comme pour le pire.

Il est donc aussi difficile de résumer Coupez! qu’il est difficile de résumer son modèle sans tomber dans le piège du spoiler. Toujours est-il que dans le cas, un film de série Z de zombies japonais en est le cœur, l’ouverture et l’accomplissement, bien qu’il n’en soit pas le tout. Car dans Coupez! tout comme dans Ne coupez pas!, le plus important est ce qui se joue dans les coulisses du tournage, qui structurent le récit en trois temps, trois actes marqués, chacun éclairant l’autre d’un jour différent. Le film d’Hazanavicius y ajoute même un degré de citation supplémentaire puisque le film de série Z de son Coupez! n’est autre qu’un remake francisé du film original japonais (le réalisateur invite même l’une de ses actrices, Yoshiko Takehara, dans son remake). Résumer l’entreprise narrative de son film est beaucoup trop complexe à faire sur le papier, mais le résultat a l’écran est souvent d’une grande malice, particulièrement pour ceux qui ne savent absolument rien de l’original.

Si Coupez! (initialement intitulé Z comme Z avant que l’actualité du conflit ukrainien et l’appétence des armées de Poutine pour la dernière lettre de l’alphabet ne viennent contraindre la production du film à changer de nom) reprend la structure et l’essentiel des péripéties de son modèle, Hazanavicius insuffle çà et là quelques-unes de ses marottes personnelles. Au-delà de quelques personnages créés de toutes pièces comme le compositeur de la musique du film dans le film, le cinéaste structure le deuxième acte de son film, celui qui dévoile la supercherie, le truc du numéro d’illusionniste, autour de deux piliers : le décalage culturel entre les productions cinématographiques nippones et françaises, ainsi qu’une storyline familiale renforcée autour du réalisateur du film, incarné par Romain Duris, son épouse et actrice principale jouée par Bérénice Béjo, et leur fille aspirante réalisatrice incarnée par Simone Hazanivicius, l’une des deux filles de Michel Hazanavicius et Bérénice Béjo à apparaître dans Coupez! De quoi donner vite le vertige…

Il en ressort de Coupez! quelques chouettes idées. Sa sophistication narrative, jamais lourdingue et pleinement ludique, fait parfaitement mouche et transforme vite le film en farce assez jubilatoire, bien qu’une grande partie du crédit en revienne à l’idée originale de Shinichiro Ueda, réalisateur de Ne coupez pas!. La version française est quant à elle portée par un très solide casting, qui brille surtout chez ses seconds rôles portés par quelques fiers représentants de la crème de la comédie française : Jean-Pascal Zadi (Tout simplement noir), Agnès Hurstel (Jeune et golri) ou encore Sébastien Chassagne (Irresponsable), tous hilarants en techniciens de tournage complètement dépassés par les événements. Et la storyline familiale et humaine du film, débouche sur un final feel good assez touchant, dans la droite continuité de la volonté chez Hazanavicius de proposer du cinéma populaire de grand enfant, à l’image de ses ambitions sur Le Prince oublié.

Il n’en demeure pas moins que Coupez! reste confronté à un problème majeur : sa sophistication narrative fait que le film n’explose réellement qu’en partie dans son second acte, et surtout dans son troisième, où Hazanavicius revient aux grandes heures de ses meilleures œuvres comiques. Pas sûr que le public soit suffisamment magnanime pour pardonner au film son premier acte volontairement brouillon et maladroit, et un deuxième acte plombé par certaines idées comiques nettement moins inspirées par la suite. Les gags parodiques méta de cet acte ne fonctionnent souvent qu’à moitié, et la partie comédie de travail quasiment à la The Office tombe trop souvent à l’eau. Là où il doit servir de rampe au lancement et de premier étage à la fusée, ce deuxième acte maladroit et longuet ne fait que renforcer la confusion ambiante, l’impression que quelque chose s’est perdu à la traduction.

Parce qu’il sait récompenser ceux qui ont eu la force de s’accrocher jusqu’à son terme, Coupez! est un crowd pleaser méta d’une efficacité assez redoutable, et l’exercice comique d’Hazanavicius le plus accompli depuis le second volet d’OSS 117, l’inoubliable Rio ne répond plus. Son témoignage sincère et empathique, observation à la loupe très grossissante des réalités du tournage d’un film et des difficultés à accoucher de celui-ci, est une belle déclaration d’amour au septième art qui en fait un très bon choix de film d’ouverture, à défaut d’une grande œuvre. C’est aussi un exercice de style un peu vain, parfois maladroit, sans doute superflu au vu de ceux qui ont vu et aimé l’original japonais. Où cela nous mène ce petit manège? Nulle part sans doute, mais c’est quand même mieux d’y aller en rigolant fort.

Coupez! de Michel Hazanavicius avec Romain Duris, Bérénice Béjo, Finnegan Oldfield…, en salles depuis le 17 mai

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