La première séance de la sélection Cannes Première de 2022 (sélection officielle mais hors compétition à la ligne éditoriale toujours assez énigmatique) fait honneur à Marco Bellocchio qui vient présenter son dernier film. Enfin non pardon, dernière série, puisque Esterno Notte (rien à voir avec Gérard Lanvin) est un projet prévu pour la télévision, découpé en six actes. Le visionnage en format film de plus de 5 heures n’est cependant absolument pas dérangeant tant la série est une œuvre cohérente dans son rythme et sa narration.
Bellocchio nous plonge dans l’Itale de la fin des années 70 et nous fait revivre l’un des événements politiques les plus saillants de cette période agitée : l’enlèvement et l’assassinat d’une figure de la politique italienne, Aldo Moro, par les brigades rouges. Pour nous immerger dans ce récit, Bellocchio a fait le choix de s’intéresser aux différents protagonistes de l’histoire en consacrant chaque épisode à l’un d’eux. On suit donc Aldo Moro, sa femme, les brigades rouges mais aussi le ministre de l’Intérieur de l’époque et le Pape. Tout au long de la série, tous se débattent avec cette situation qui devient rapidement inextricable. Les brigades rouges ne savent pas quoi faire de leur otage, les politiques italiens refusent de négocier quitte à condamner leur ancien ami, la famille d’Aldo se débat contre ceux qu’elle pensait être ses alliés et tente de négocier avec l’ennemi et le Pape prie. Tous sont paralysés par cet enlèvement qui s’éternise.
Servillo, impeccable dans le rôle du pape Paul VI
La caméra de Bellocchio restitue parfaitement les visages angoissés, désespérés, furieux, ou honteux de ces personnages. Les bassesses de la politique italienne entre larmes de crocodile et coups de couteau dans le dos sont soulignées avec justesse par le regard féroce du réalisateur. Évidemment, aucun manichéisme dans cette œuvre complexe qui dépeint les doutes et hésitations de tous les camps; car tous semblent essayer de faire au mieux avec ce qu’ils ont. L’un des plus beaux dialogues voit ainsi un couple de terroristes des brigades rouges se rendre compte qu’ils ne sont pas du tout habités par les mêmes objectifs. La question des idéaux est évidemment au cœur de ce que questionne Esterno Notte. Le parti démocrate chrétien, habitué des compromis, se retrouve presque de manière paradoxale à adopter une position de fermeté totale alors que le Pape pousse pour les négociations. Mais plus que d’idéaux, il s’agit de postures. Et derrière le drame se cache un théâtre de marionnettes dont aucune ne semble avoir totalement prise sur ce qu’il se passe.
Malheureusement à trop vouloir mettre en avant les doutes intimes de ses personnages, Bellocchio perd ce qui aurait pu faire la force de son œuvre. On est très loin de la fresque politique à laquelle on aurait pu s’attendre et on se prend à la regretter au fil des épisodes. Le contexte de la politique italienne (l’amorce d’une alliance entre les communistes et les démocrates chrétiens) semble en effet passionnant et le film passe volontairement à côté. Le fait divers prend le pas sur le bouillonnement des organisations sociales et le récit se concentre quasi uniquement sur les individus et non sur les forces qui les traversent. Ce parti pris sur six épisodes fait que le rythme s’essouffle à de nombreuses reprises et peine à relancer notre attention, une fois les enjeux bien posés. L’apathie des personnages finit par nous contaminer et nous entraîne dans un léger marasme, heureusement sauvé par une fin audacieuse qui réinterroge la position du réalisateur face au récit historique.
On ressort un peu déçu d’Esterno Notte dont on attendait beaucoup. L’œuvre reste une vision intéressante d’un moment important de l’histoire italienne mais s’enferme trop dans l’intériorité de la psychologie des personnages alors que le titre promettait un peu d’extérieur. Est-ce le format sériel qui force à trop coller à la peau des personnages par peur de perdre les spectateurs dans un récit trop abstrait ? C’est la question qu’on se pose à l’issue de la projection.
Esterno Notte, série en 6 épisodes de Marco Bellocchio avec Fabrizio Gifuni, Margherita Buy, Toni Servillo