Alerte rouge : le panda qui sommeille en nous

Spoiler alert : Je parle beaucoup de l’histoire récente de Disney et Pixar en introduction de cet article, parce que c’est quelque chose d’absolument nécessaire à mon sens. Si vous voulez zapper tout cela et voir directement ce qu’il en est du film, passez après la première image !

On avait eu la chance de découvrir son court métrage Bao en avant-première au Festival d’Annecy, en même temps que Les Indestructibles 2, en juin 2018. Quelques mois plus tard, la réalisatrice Domee Shi remportait l’Oscar du meilleur court métrage d’animation pour l’histoire de cet irrésistible petit baozi qui prenait vie devant nos yeux, chouchouté par une mère poule qui ne voulait pas le voir grandir. Shi s’inspirait de sa propre expérience en tant que femme sino-canadienne et dessinait déjà les prémisses de son premier long métrage, Alerte rouge.

C’est pour elle l’occasion de redresser les torts qu’ont connu Pixar sous l’ère Lasseter, où Brenda Chapman avait dû être remplacée par Mark Andrews à la réalisation de Rebelle, alors même qu’il s’agissait du premier long métrage du studio à avoir une héroïne. En ont suivi les événements post #MeToo (Lasseter accusé de harcèlement sexuel et poussé vers la sortie) qui ont donné lieu à une réorganisation interne chez Walt Disney Animation Studios et Pixar : Jennifer Lee (réalisatrice de La Reine des Neiges) et Pete Docter (réalisateur de Vice-Versa) ont respectivement repris les rênes des studios en tant que Chief Creative Officer.

Ce changement s’est aussi ressenti du côté des projets du studio, qui n’a misé que sur des créations originales après les sorties des Indestructibles 2 et de Toy Story 4, avec En avant, Soul et Luca… qui ont tous trois fait les frais du Covid-19. Si le premier a été coupé en plein vol malgré sa sortie au cinéma, les deux autres ont directement eu droit à une sortie sur Disney+. 2022 devait marquer le grand retour des films Disney Pixar dans les salles obscures, avec Alerte rouge donc, et le film Buzz l’Éclair de Angus MacLane (Le Monde de Dory)… écrit par Pete Docter !

On avait hâte, vraiment. Voir ce beau panda roux tout fluffy sur un grand écran. Damn.

Sauf que non. Malgré la promesse réitérée de la sortie en salles, Disney a changé d’avis en début d’année, par crainte d’une désertion à cause de l’émergence du variant Omicron. Le film sortira sur Disney+ ce vendredi 11 mars. Chez Pixar, c’est évidemment la déception. Et chez nous aussi, on ne vous le cache pas. Surtout quand on a eu l’opportunité de découvrir le film sur grand écran.

Mais bon, peut-on vraiment être surpris de la part d’un studio qui décide malgré tout de ressortir Encanto dans les salles américaines des semaines après sa sortie sur Disney+ parce que, oh merde, en fait ça marche à donf ?

Peut-on vraiment être surpris de la part d’un studio qui en profite pour contraindre l’Academy à virer des catégories de la prochaine cérémonie des Oscars sous la menace d’abandonner sa retransmission ?

Peut-on vraiment être surpris de la part d’un studio qui soutient financièrement des républicains à l’origine du « Don’t Say Gay bill », un amendement de l’état de Floride qui vise à supprimer toute mention explicite de la communauté LGBTQI+ à l’école, mais qui fait des déclarations comme quoi la diversité c’est trop cool et qu’on continuera à la mettre en valeur dans des plans de deux secondes qu’on peut couper dans les pays dans lesquels c’est pas cool ?

On est fatigués, un peu. C’est con parce que Alerte rouge est un super film. Vraiment. Et on est tellement heureux d’enfin voir émerger de nouvelles têtes chez Pixar. Espérons que ça reste ainsi. Allez, on remballe le panda roux et on parle d’Alerte rouge, ça vous dit ?

Alerte rouge, c’est l’histoire de Meilin Lee, une ado de 13 ans sûre d’elle comme jamais… Avec son trio d’amies (Abby, Priya et Miriam), elle franchit pas à pas les étapes de l’adolescence : les premiers crushs réels pour les garçons du coin et fictifs pour le boys band 4*TOWN qu’elles adulent. Et ça tombe bien, le groupe débarque dans quelques semaines dans leur ville, à Toronto, pour un grand concert ! Seul petit souci : la rigidité et l’amour de la mère de Mei, qui fait tout pour qu’elle ne sorte pas « du droit chemin »… et surtout le fait que Mei se transforme en énorme panda roux à la moindre émotion non contrôlée.

Bref, vous l’aurez compris : le sujet d’Alerte rouge est l’adolescence, la puberté, tout ça tout ça. À tel point que sa mère pense, lorsque Mei se transforme en panda pour la première fois, qu’elle est « enfin devenue une femme ». Pixar replonge donc dans ses thèmes de prédilection, qu’on a brassé dans Toy Story, Vice-Versa, tout en parvenant à y insuffler du sang neuf.

C’est un peu tout le leitmotiv du film et à plusieurs niveaux : Alerte rouge propose de mélanger tout ce que l’on connaît déjà de Pixar à une nouvelle identité visuelle. Comment est-ce que ça se traduit à l’écran ? C’est tout simple. On retrouve la maestria du studio, dont on ne finira jamais de vanter les prouesses technologiques de film en film pour creuser le moindre détail, et parfois atteindre un photoréalisme saisissant. On parle des effets de lumière (le soleil couchant, les reflets des éclairages dans les vitres d’une voiture en marche), de détails tout bête comme l’eau qui vibre quand on tape sur un verre, des petites peluches sur un pull… et bien évidemment du pelage du panda roux, fluffy comme jamais (Bowie, le chat star de Twitter, tremble en cet instant).

Et c’est aussi cette manière qu’a Domee Shi de vouloir mêler ce qui fait l’animation occidentale classique, des grands studios, qui ne bouge pas beaucoup depuis un moment, à de nombreux gimmicks de l’animation japonaise. Des expressions ultra-exagérées, des étoiles dans les yeux façon Sailor Moon, des personnages surimprimés sur un fond aux couleurs explosives, des personnages géants… Il n’y a rien de mieux pour correspondre à ce qu’est vraiment l’adolescence, où toutes nos émotions sont décuplées, et à ce que sont Mei et ses amies : un quatuor qui ne s’épuise jamais, qui rit à gorge déployée en se fichant du regard des autres, qui regarde les garçons, et dont l’amitié est sans faille. L’énergie d’Alerte rouge est partout : dans ses personnages, dans son animation, dans son scénario. Car cette énergie, c’est aussi celle du panda roux qu’il faudrait à tout prix cacher, dans l’héritage de la famille de Mei.

On n’entrera pas trop dans les détails pour ne pas vous dévoiler quoi que ce soit, mais la figure du panda roux ne s’arrête pas uniquement à une métaphore de l’adolescence. C’est aussi pour Mei, et celles qui les a précédées, comme le fantôme de la femme qu’elles se sont peut-être refusées d’être, par crainte de ne pas correspondre aux attentes de la société. Et dans le cas de Mei, c’est la crainte de ne pas être parfaite aux yeux de ses parents, d’autant plus auprès de sa mère. Domee Shi s’est inspirée de sa propre vie, mais aussi d’une idée indissociable de la culture chinoise : la pression que les parents font peser sur leurs enfants pour réussir le plus possible. C’est aussi en jouant avec le folklore chinois que Shi donne ses origines à la figure du panda roux.

Mei est, à l’image de sa créatrice, une sino-canadienne constamment bercée entre deux cultures, et Alerte rouge décide de mélanger les deux. Tout se mêle sur le fond comme sur la forme, avec ce mélange de photoréalisme et de kawaii extravagant, mais aussi à travers la diversité qui se traduit un peu partout dans le film. Dans la bande de Mei, aux multiples origines, dans le boys band 4*TOWN aussi, à travers les générations, dans l’espace du film lui-même (la famille de Mei tient un temple dans le quartier chinois de Toronto).

Ce parfait mélange renforce l’universalité d’Alerte rouge, qui se veut donc être bien plus qu’un ersatz de Vice-Versa, comme a pu le suggérer un bon vieux relou lors de la session de questions/réponses avec Domee Shi et sa productrice Lindsay Collins lors de notre projection. Pour ouvrir la session, il a été souligné que c’était la première fois dans l’histoire de Pixar que l’on comptait énormément de femmes à divers postes clés : Domee Shi à la réalisation et au scénario, accompagnée par Julia Cho, Lindsay Collins à la production donc, Rona Liu comme Production Designer, Laura Meyer comme directrice artistique, Lisa Fotheringham comme Production Manager… Et aussi de Billie Eilish (et son frère Finneas O’Connell) pour les chansons des 4*TOWN, qui m’ont personnellement renvoyé à mes années d’amour intense pour les One Direction (et maintenant BTS, que voulez-vous, je suis faible).

En réaction à cette réponse, cet homme s’est risqué à une blague douteuse, comme quoi Pete Docter aurait forcément dû avoir un droit de regard sur le scénario (vu que c’est pareil que Vice-Versa hein, bien sûr) enfin, « si les hommes n’étaient pas interdits autour de la table ». Petit rire gêné (et gênant) de l’intéressé, puis un ange passe. Les deux femmes répondent parfaitement : l’idée était juste d’être entouré de personnes compétentes. Que ce soit des femmes, c’était un plus, surtout pour aborder certains sujets que des hommes auraient peut-être jugé peu importants. On se souvient bien du documentaire Tout peut changer, et de la façon dont Shonda Rhimes s’était fait basher par certains grands noms de la chaîne ABC au moment de leur pitcher Grey’s Anatomy… avant que la série ne devienne leur plus gros succès.

Et quant à Pete Docter ? Évidemment qu’il donne son avis, mais pas en tant que « réalisateur du film auquel ressemble vachement celui de Domee Shi », mais en tant que big boss de Pixar. Parce que c’est son job. Et aussi parce que Docter est celui que Domee Shi considère comme son mentor dans le studio.

Bref, Alerte rouge est bien plus qu’un petit film avec un panda mignon et rigolo. Voilà pourquoi on aurait vraiment aimé le voir sur grand écran.

Alerte rouge, réalisé par Domee Shi, co-écrit par Domee Shi et Julia Cho. Avec les voix originales de Rosalie Chiang, Sandra Oh, Maitreyi Ramakrishnan, Ava Morse, Hyein Park, Orion Lee, Wai Ching Ho, James Hong, Jordan Fisher. Sortie française sur Disney+ (avec notre plus grand regret) le 11 mars 2022.

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