The Batman : Peur sur Gotham

Spoilers à fond les ballons, avancez avec prudence.

Dans une demeure aristocrate aux airs d’église gothique, un enfant en peignoir rouge joue avec son épée à se battre contre des ennemis invisibles, puis contre son père. La scène nous est montrée depuis un perchoir, à travers les yeux et les jumelles d’un inconnu qui dirige donc le regard du spectateur avec autorité. Les quelques secondes qui ouvrent ce nouveau volet des aventures de la chauve-souris la plus connue du monde (même après qu’une d’entre elle soit accusée d’avoir causé la pandémie) résument très simplement toute la démarche des cinéastes qui tentent de s’en emparer au cinéma.

Car si cet enfant riche qui se prend pour Zorro avec son sabre n’est pas Bruce Wayne, mais simplement le fils du maire qui va se faire assassiner par l’énigmatique Riddler dans ce prologue, il n’en est pas moins une itération. A défaut de nous montrer pour la huit centième fois l’assassinat des parents Wayne au cinéma, on les installe donc dans l’imaginaire du spectateur à travers ce nouveau meurtre par le regard comme pour dire : vous en savez assez sur Batman, spectateurs et spectatrices du monde entier, vous savez où on va. Après autant de films et d’incarnations différentes, des serials des années 40 à Adam West, jusqu’à Keaton, Kilmer, Clooney, Bale, Affleck, ou encore Kevin Conroy, oui, on peut définitivement dire qu’on connaît Batman. Matt Reeves, qui réalise ce nouveau volet, profite du fait que nous vivions dans une société (lol) saturée d’images pour faire un film où le récit ne se suffit pas à lui-même, mais où le spectateur arrive avec un bagage évident de connaissances plus ou moins vagues. Orphelin milliardaire, parents assassinés, Alfred… Le terrain est connu.

Et pourtant, la démarche du cinéaste qui va s’emparer du personnage, de sa galerie de méchants que tous les autres super-héros lui jalouse, sa ville-monde, doit aussi être de nous emmener là où on ne s’y attend pas. C’est bien lui qui dirige le regard, derrière les jumelles. Un regard qui se doit aussi, puisque Batman est un des derniers mythes qui nous reste, de mettre sous le feu des projecteurs les peurs, paniques et passions de notre époque contemporaine. Comment s’y prend Matt Reeves, le réalisateur célébré auparavant au sein de la Fox pour son travail sur la saga de La Planète des Singes ?

Le costume de « Battinson », probablement le plus réussi de tous à ce jour.

L’enquête

Tout commence avec cet assassinat. Sur la scène du crime, le commissaire Jim Gordon (Jeffrey Wright, impeccable à son habitude) convoque le Batman (Robert Pattinson, on y reviendra) pour l’aider à résoudre les énigmes laissées par le Riddler… Et aussi parce que ce mystérieux personnage a laissé une lettre adressée au chevalier noir. C’est donc la première fois qu’un film de Batman se centre sur la partie enquêteur du « world’s greatest detective », et dont les aventures ont débuté dans le numéro 27 de Detective Comics par une affaire semblable. A l’époque, Bruce avait été pensé comme un décalque un peu grossier du Superman de la première heure, rapidement enrichi par les idées de Bill Finger. Dans tous les cas, le héros s’est très vite distingué par son aversion pour le crime organisé, et la corruption des élites qui dirigent Gotham. Des thématiques qui ne vieillissent jamais vraiment, mais qui étaient moins explorées qu’ici dans les itérations précédentes du Batman au cinéma. Cette fois, les liens entre la pègre et les belles figures de la ville vont jusqu’à aller égratigner la figure de feu Thomas Wayne, le héros du bon fiston, qui aurait peut-être eu des liens avec l’éternel Carmine Falcone, interprété par le non moins éternel John Turturro dans un rôle sur mesure.

Les trois heures du film sont largement consacrées au jeu de pistes concocté par le méchant tapi dans l’ombre, et aux avancées par tâtonnements du duo Gordon/Batman. C’est ainsi que l’on plonge dans les vies humides et tristes de la sombre Gotham City, comme toujours pourrie jusqu’à la moelle. Difficile de ne pas penser à David Fincher, tant la référence Seven semble partout. Dans l’esthétique urbaine, dans la météo, dans la figure du tueur et dans les indices qu’il laisse sur son chemin… Même dans le duo qui fait écho à Pitt/Freeman.

Le vampire de Gotham

Lorsque Robert Pattinson a été casté dans le rôle, les fans un peu bêtes se sont exprimés avec colère, comme ils l’ont fait pour littéralement tous les acteurs qui ont interprété Batman ces trente dernières années. Beaucoup avaient encore de lui l’image de l’ado éternel qui scintille à la lumière du jour : le fameux Edward Cullen de Twilight. Les fans des frères Safdie et de Cronenberg ont sauté sur l’occasion pour venir défendre le petit Robert, qui depuis était devenu un vrai acteur de cinéma parce qu’il avait joué des rôles avec des grands cinéastes !

C’est peut-être là le coup de maître de Matt Reeves que de prouver à tous ces gens, dans les deux camps, qu’ils avaient tort. Ce n’est pas à cause de Twilight que Pattinson serait nul en Batman, ni grâce à ce qu’il est devenu après : c’est grâce à Twilight. Plus que jamais dans sa filmographie, il revient à la figure du vampire torturé, au teint blafard, aux cheveux longs comme ceux d’un prince fantomatique, qui fuit le soleil et traîne en lui la douleur incommensurable de ce qu’est l’existence nocturne. C’est d’ailleurs une des meilleures idées du film, dans une séquence qui présente la ville de Gotham et le contexte dans lequel nous retrouvons le chevalier noir : cela fait deux ans qu’il porte le masque, et que sa présence inquiète les criminels. Braquer une supérette, c’est fastoche, mais peut-être que le Batman se cache dans l’ombre et s’apprête à nous tomber dessus…

La photographie exploite cette idée à fond, dans le sens où on ne voit quasiment rien à l’image : Gotham est une ville qui a perdu sa lumière. La musique de Giacchino, l’une de ses meilleures compositions à ce jour, incarne totalement ce romantisme de la figure du vampire, alternant entre les sonorités qu’on attend d’un film Batman au 21ème siècle et des partitions plus surprenantes, pleines de mélodies envolées et de thèmes distingués (des choses presque disparues aujourd’hui à Hollywood…). L’arc narratif de Batman doit donc le mener des ténèbres qu’il incarne à ce qui apparaissait comme son pire ennemi : le soleil. Là où naît l’espoir… Là où est censé vivre Bruce Wayne, le grand absent du film.

Le spleen, mais avec style

Mais où est Bruce Wayne ?

L’une des meilleures idées du film repose dans la symétrie qui est pensée entre ce Batman et son ennemi, le Riddler. Tout part d’une question totalement conne qu’adorent dire les gens qui se pensent intelligents sur Internet : « Et si Bruce Wayne utilisait son argent pour améliorer Gotham plutôt que de faire mumuse en costume la nuit ? J’ai pas raison la team sisi, hahaha trop con Batman ». L’absurdité de la question est en grande partie due au fait qu’on tente de calquer une logique réaliste sur un univers qui ne l’est pas (aux dernières nouvelles il n’y avait pas dans nos cités de crocodile humanoïde géant dans les égouts, de tueur métamorphe fait de boue dans nos rues, de clown sociopathe et autres menaces plus ou moins colorées), mais aussi et surtout à une ignorance totale de ce que fait Bruce Wayne dans les comics (et une partie des films). Car oui, le petit milliardaire de Gotham passe son temps à investir dans la ville ; dans les transports, les infrastructures, les orphelinats… Mais cela ne suffit jamais, et c’est donc là que Batman passe à l’action.

Mais ici, Matt Reeves pose le problème autrement : et si Bruce Wayne ne faisait effectivement rien ? Et si les projets que son père avait lancés, espérant sauver la ville de la misère et la criminalité, étaient tous tombés à l’eau ? Pire, si les pires malfrats et ripoux s’en étaient emparés, de la mafia en passant par la police et la mairie, pour s’en servir afin de s’enrichir sur le dos des pauvres habitants de Gotham ? Alors la figure tragique devient plus ample, puisque le crime que Batman voulait combattre naît des erreurs et des oublis de Bruce Wayne, qui fuit ses responsabilités. Le Riddler est un orphelin, comme lui, mais né dans la misère et trahi par les fausses promesses de la famille Wayne quant au fameux « renouvellement » de la ville. D’ailleurs il est assez amusant de voir dans ce projet sali de « renouvellement » une métaphore de ce que la Warner a tenté de faire avec l’univers DC Comics en se plantant totalement dans le sillage des œuvres de Zack Snyder. Quand Snyder a été viré/a quitté Justice League suite au décès de sa fille, Kevin Tsujihara et les autres ont bien profité de la situation pour bazarder la sortie honteuse du film avant la fin de l’année pour toucher leurs bonus et quitter le navire…

La figure de Bruce Wayne est donc sans cesse questionnée par le film. Par Alfred d’abord, qui dans ses très rares scènes déplore la place que Batman prend dans le quotidien du jeune homme. Puis par Catwoman, autre figure emblématique et personnage essentiel du bestiaire de Gotham, interprétée par la géniale Zoé Kravitz (Mad Max Fury Road, High Fidelity, Dope, ou encore… The Lego Batman dans lequel elle doublait Catwoman), qui perd sa coloc/petite amie à cause de la pègre et qui cherche à se venger à tout prix. Selina, de son doux prénom, n’a vraiment rien contre le fait que le Riddler se débarrasse des riches et puissants qui l’ont toujours condamné elle et ses proches à vivre dans la plus grande des misères, et Bruce en fait partie… Mais pas Batman. Qui va aussi être construit en symétrie avec Catwoman. Car eux deux cherchent la vengeance (d’ailleurs tout le monde l’appelle « Vengeance » dans le film puisqu’il s’introduit ainsi, seul le Riddler l’appelle Batman), et doivent apprendre à s’y refuser.

Tout ce qu’on pouvait attendre d’un Batman ?

Hélas non.

Car si sur le papier, tout a de la gueule, dans l’exécution on n’y est pas vraiment. L’écriture est inégale, la dynamique de l’enquête rend le film trop bavard et incapable de décoller dans sa mise en scène en dehors de quelques moments de silence qui donnent à voir un potentiel inouï (les échanges de regards entre Bruce et le fils du maire par exemple, mais aussi et surtout le final dans le Gotham Square Garden). Les énigmes manquent de piment et rendent la trame trop prévisible, donnant raison au Pingouin qui appelle Batman et Gordon « world’s dumbest detectives ». Le besoin d’obtenir un PG-13 pour faire un joli score au box office ne permet pas à Matt Reeves d’invoquer l’esprit poisseux et sombre qu’il désire, au point où certains éléments paraissent totalement ridicules. Par exemple lorsqu’une bombe explose au visage d’Alfred et qu’il se retrouve à l’hôpital avec à peine une cicatrice sur le nez, où lorsque Selina enfonce ses griffes dans la joue de Falcone et que malgré ses hurlements pas la moindre goutte de sang apparaisse à l’image. On repense dans ces moments au premier plan du film, avec cet enfant qui joue avec son épée, et là est tout le paradoxe : si vous voulez faire un Batman pour les grands, il s’agirait de l’assumer pour de vrai.

Mais tout ceci est moins grave que le pire des défauts : un manque d’audace. The Batman est un film lisse, prévisible et attendu. Là où les cinéastes arrivés avant Matt Reeves avait su trahir le personnage et son univers pour s’en emparer pleinement, quitte à déplaire, lui ne parvient qu’à livrer une copie conforme de ce qu’on attend du héros aujourd’hui. Il colorie sans dépasser, là où Nolan y avait injecté du James Bond, Burton du Edgar Poe, et Schumacher du… Schumacher. Ici, on retrouve le personnage que nous autres, lecteurs de comics, connaissons sur le bout des doigts. On reconnaît les influences de Year One sur le personnage de Catwoman, celles de récits de Darwyn Cooke (Ego en tête), mais aussi de Scott Snyder dans les années 2010 jusqu’à celles de Geoff Johns avec Terre-Un. Il n’y a pas de surprise, surtout quand ce sont toujours les mêmes éléments qui sont piochés à droite à gauche dans ces histoires… Et pour une bonne idée volée à la bande dessinée qui ne fait pas déjà-vu au cinéma (la mère de Bruce est née Martha Arkham, liant le personnage de Batman à la folie de tous ses ennemis), on en a quatre cent qui puent le réchauffé. La pire de toute étant : le motherfucking Joker en cameo final, encore et toujours putain. Arrêtez avec ce putain de Joker, par pitié, Matt Reeves, fais un film sur la Cour des Hiboux ou quoi que ce soit qu’on n’a pas déjà vu.

Le résultat final n’est pas désagréable du tout, il est même plaisant, et réussi par endroits. Mais le sentiment majeur à la sortie de la salle est la frustration… En attendant le prochain film, puisqu’on nous sort facile 120 Batman par minute.

The Batman, un film de Matt Reeves. Au cinéma le 02 mars 2022.

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