En guise de préambule, je m’adresse d’abord à toi, cher/chère lecteur.trice. Peut-être que la forme de cet article te perturbera quelque peu. Il sera question ici du nouveau film des studios Pixar : En avant. À l’image de son réalisateur, Dan Scanlon, son film résonne particulièrement en moi. Cet article est davantage une manière de m’adresser directement au bonhomme qu’une critique. Ne m’en tiens pas rigueur. Chocobises et tendresse.
Cher Dan,
Je te le concède : au départ, je n’étais pas particulièrement emballé par En avant. Au vu des premières images, je ne savais pas trop quoi en penser. Deux ados qui se lancent dans une quête à travers un monde magique, comme ça, sans plus de précision, c’était peut-être un peu quelconque. Déjà vu. L’univers avait l’air sympathique (les licornes fouilleuses de poubelles !), mais serait-il suffisamment exploité ou juste une toile de fond ? Mais surtout : pour moi, ça ressemblait plus à un DreamWorks qu’un Pixar. Pour la première fois devant les images d’un film du studio, je me disais : « ah, ça n’a pas l’air extraordinaire ».
En même temps… C’est pas simple de passer après Les Indestructibles 2 et Toy Story 4. Quand bien même toi et ta productrice Kori Rae nous assuraient du contraire en conférence de presse en nous disant que tout le monde se nourrit l’un l’autre chez Pixar, de façon à ce que le passé ne soit jamais un poids.
Pour les spectateurs, c’est à double tranchant : bercés par la nostalgie et le plaisir de retrouver des personnages emblématiques du studio (un sentiment conforté chez Disney avec la sortie de La Reine des Neiges 2 et des remakes de ses grands classiques en live-action), passer à une histoire, des personnages et un univers complètement inédits, là, maintenant, c’est chaud patate. D’autant plus quand on sait qu’un autre Pixar nous attend quelques mois plus tard : le Soul de Pete Docter, aka monsieur Vice-Versa, Là-haut et Monstres & cie, aka bis le père de nos plus grandes larmes devant des Pixar.
J’allais voir En avant à reculons (en moonwalk, donc). J’avais peur. Je partais déjà avec l’idée en tête que je n’allais pas aimer.
Et… Je me suis complètement planté. Tout au long du film, j’entendais une petite voix qui me disait « bah alors, ducon, pourquoi t’as pas voulu penser que Pixar était toujours l’un des meilleurs studios d’animation ? » (parce que oui, je n’ai pas été plus emballé que ça, voire même, j’étais déçu par Les indestructibles 2 et Toy Story 4).
Tu m’as cueilli dès les premières minutes, parce que nous avons toi et moi un point commun. L’histoire d’En avant, c’est la notre. Le jour de ses seize ans, ton jeune héros Ian Lightfoot et son grand frère Barley découvrent un sortilège capable de ramener leur père disparu à la vie, l’espace de vingt-quatre heures. Cette histoire, c’est la tienne, puisque tu as perdu ton père à un an. Et la mienne, qui ai perdu mon père il y a un an et demi. Malgré ses atours de monde fantastique, l’histoire de ton film est bel et bien universelle et traduit un sentiment que l’on ressent tous au fur et à mesure de son existence : la volonté de retrouver un proche disparu.
Et pourquoi ai-je été ému dès le départ ? Car ces retrouvailles ne sont que de courte durée. Ou du moins, pas celles espérées : du père, il ne se matérialisera que les pieds et les jambes. Il est dès lors impossible pour Ian et Barley de communiquer avec leur père et il leur faudra traverser bon nombre d’aventures pour espérer faire apparaître le reste du corps de papa. Ce demi-papa, qui ne voit pas ses enfants, et inversement, c’est exactement tout ce que j’ai pu ressentir dans ma relation avec mon père : être avec lui sans vraiment l’être. Voir que son souvenir s’amenuise depuis sa perte, alors que j’aimerais tout faire pour garder en moi des images mouvantes, sa voix. Ian et Barley tentent malgré tout de lui communiquer des émotions, des sensations, tel qu’ils le peuvent.
Et là aussi, ton film, Dan, est plein de tendresse et de sincérité. Malgré les péripéties, tu laisses le temps à tes héros de respirer. Tu leur laisses le temps de se livrer l’un à l’autre. Tu brises la figure de l’homme héroïque, viril, au profit de deux adolescents encore en pleine constitution de leur identité. Tu laisses entrevoir leurs fêlures, leurs doutes.
Bien plus qu’une quête du type héroïc fantasy, qui nous donne l’impression qu’Ian et Barley font une quête de The Witcher mais pour de vrai (troquant la jument Ablette pour un van balbutiant et affublé de licornes), cette épopée est aussi un voyage intime à travers une vie perdue. Tu questionnes le rôle de la figure paternelle, le père de substitution qu’a été Barley pour Ian. On croit à l’alchimie entre Ian et Barley très vite. Je ne sais pas ce que cela donne en version originale (ndlr, c’est de la bombe), mais sois rassuré : Thomas Solivérès et Pio Marmaï s’en sortent à merveille, alors même qu’il s’agit pour eux de leur toute première expérience de doublage. Tu mets aussi leur mère au centre de l’intrigue, là-aussi pour la sortir des stéréotypes. Tu montres aussi que la famille ne se limite pas à un seul modèle (ça, c’est un peu plus timide mais je suis sûr qu’un jour on arrivera à faire mieux).
Il y a certes quelques petites imperfections, quelques problèmes de rythme, une animation pas toujours époustouflante (et c’est assez surprenant pour un Pixar) mais qu’importe. En avant m’a terrassé alors que je ne m’attendais pas du tout à ça. Tout comme je ne m’attendais pas à ce que le film traite aussi ouvertement et explicitement du deuil.
Preuve en est, une fois encore, que le film d’animation ne se destine pas qu’aux enfants, et que les parents sont invités à partager pleinement cette expérience avec eux (contrairement à la mère que j’ai vue pianoter sur WhatsApp tout le long de Ducobu 3 avec ses trois enfants infects, dont elle n’avait que faire. Bon, en même temps, c’était Ducobu. C’était un vrai cauchemar. On aurait juste envie de fuir à sa place. Ok. Je compatis.).
Bref, pour tout ça Dan, j’ai tout simplement envie de te dire : merci. Et j’espère que l’on te verra à la barre d’autres projets chez Pixar très bientôt.
En avant, un film de Dan Scanlon. Avec les voix de Chris Pratt et Tom Holland en VO, Pio Marmaï et Thomas Solivérès en VF. Sortie française le 4 mars 2020.