Le premier Toy Story avait accompagné notre adolescence. On sortait de l’enfance et l’on découvrait tout émerveillé la naissance d’un studio et de ses talents. L’idée originale s’est petit à petit transformée en franchise et a suivi notre propre évolution. Et tout comme nous, elle est devenue plus soucieuse, préoccupée par le temps qui passe. Cette angoisse atteindra son apogée lors d’un troisième volet plongeant ses personnages dans un véritable cauchemar, et dans lequel certaines séquences évoquent les pires atrocités de l’Histoire. On s’étonnait presque qu’un tel film puisse être destiné aux enfants.
En parallèle, c’est Pixar qui s’est développé. La modeste société mise de côté par ses investisseurs a offert à quelques geeks une entière liberté d’expérimenter dans l’image de synthèse, donnant à des objets comme cette lampe, qui lui sert depuis de logo, l’illusion des émotions. Progressivement après le succès de Toy Story, la petite bête a mangé la grosse, chacun voyant dans la fusion un certain avantage. Alors que Disney avait perdu de sa superbe, son empire revient au-devant de la scène de la création. Si Pixar laisse la souris avoir le dessus, à la manière de Ratatouille, c’est aussi dans son intérêt conduisant John Lasseter à la tête du département animation du studio hollywoodien. Simple artiste, Lasseter se retrouve parmi les plus importants dirigeants de la multinationale. Si c’est un incontestable succès personnel, l’évolution de la marque à la loupiote et Disney ne va pas forcement avantager l’image de la première. Alors que la reprise en main chez Disney va permettre le développement de films qui seront salués par le public et la critique, les choses se gâtent franchement pour Pixar. Toy Story avait lancé Pixar sur la scène internationale, le troisième volet va signer la fin de l’âge d’or. Si elle est toujours capable de proposer des petites pépites comme Inside Out, l’entreprise va céder à la facilité des suites, très sympathiques certes, mais sans surprise.
On peut soupçonner John Lasseter d’avoir compris qu’il fallait un nouvel essor créatif au studio. L’annonce d’un quatrième opus au titre phare de Pixar, réalisé par le boss, avait l’air d’être un signe que le temps était à la remise en question. L’égo de John Lasseter et le sentiment d’impunité que lui a sans doute donné l’ivresse de la puissance va amener Toy Story 4 et son initiateur vers une direction brutalement inattendus. Le projet, au départ, avait de quoi exciter l’intérêt, surtout après le choix de prendre le script de Rashida Jones. L’actrice connue pour son rôle d’Ann Perkins dans la drolatique et politique série Parks & Recreation a depuis signé avec Mike Schur, créateur du même show, le scénario de Nosedive. L’épisode de la très culte Black Miror est aujourd’hui l’un des derniers grands moments de cette anthologie et salué comme tel par la critique. Excellant dans l’humour, autant que dans la création d’univers ludiques et angoissants, elle était un très bon choix pour conduire Pixar et la franchise Toy Story vers des pistes narratives passionnantes.
Mais, après les révélations sur les agissements criminels d’Harvey Weinstein, le cinéma étasunien va être bouleversé par le mouvement #MeToo et Hollywood va une nouvelle fois affronter sa part des ténèbres. Nombre de réalisateurs et d’acteurs vont être accusés, ou poursuivis par la justice, pour des violences, avant tout, faites aux femmes. L’un de ces hommes n’est nulle autre que John Lasseter, mis en cause dans son entreprise d’avoir eu des comportements inappropriés, ou bien d’avoir harcelé voire agressé sexuellement des employées. C’est dans cette ambiance que l’on apprendra le départ de Rashida Jones du projet de TS4. Elle dira du studio qu’il n’est pas un lieu où les femmes et les personnes de couleur peuvent être en sécurité. Elle sait de quoi elle parle, elle fut l’une des victimes de John Lasseter. Une nouvelle fois, Pixar se retrouve au cœur d’une polémique rappelant le sexisme de la boîte. À croire que l’épisode navrant de Rebelle n’a pas été l’occasion pour l’entreprise de se remettre en question. Déjà à l’époque le studio avait montré son caractère misogyne en retirant le long métrage des bras de sa réalisatrice ce qui avait provoqué quelques remous. Est-il dès lors étonnant, dans ce milieu toxique, que les films qui en sont les produits se révèlent si décevants ?
Le dernier opus de Toy Story n’échappe malheureusement pas, évidemment, à ce constat. Après le départ de la scénariste et le limogeage de son cinéaste, la boite décide de reprendre la main. On ne saura jamais à quoi aurait pu ressembler le long métrage avec le duo Jones/Lasseter. On peut l’imaginer comme on rêve de Croisades et du Jesus de Verhoeven, tout comme ces longs métrages fantômes, ce Toy Story 4 n’est plus qu’un fantasme. À la place, Pixar va demander à ce que le scénario soit intégralement réécrit avec comme principal changement de mettre en avant les rôles féminins et celui de la bergère en particulier. Cette dernière, très inspirée par la charismatique Furyosa de l’ultime Mad Max, va s’imposer face aux deux nigauds que sont Buzz et Woody bien plus en retrait que sur les précédents films. La trouble Gaby Gaby, se démarque également et ne se limite pas à une simple réplique de l’ours rose Lotso du troisième opus. Gaby, à la tête d’une sorte de syndicat du crime des jouets, va se révéler touchante dans sa quête de l’amour d’une enfant. Ces ajouts plus ou moins forcés ne sont en rien une force pour ce film, on pourrait même y voir un certain cynisme assez déplaisant.
Toy Story 4 s’en sort grâce à son casting vocal. Tom Hanks et Tim Allen font le service minimum. Christina Hendricks réussit à alterner se mélange de douceur et d’autorité qui détermine Gaby Gaby. Des petites apparitions sonores sauvent d’autres personnages comme Ducky & Bunny qui doivent beaucoup au duo comique Key & Peele, et on a également plaisir à retrouver Keanu Reeves dans la peau d’un cascadeur échouant à vaincre son angoisse de l’échec. Mais celui qui peut être vu comme la véritable béquille du film, celui qui donne une porte de sortie à Toy Story 4, lui permettant d’échapper au naufrage, c’est Tom Hale. Acteur rarement mis en avant, il est aujourd’hui connu avant tout pour sa prestation dans la série Veep, offrant la réplique à Julia Louis-Dreyfus dans un rôle de communicant peureux, lâche et éperdument amoureux de la vice-présidente. S’il ne peut pas jouer de son corps, sa voix seule rend son personnage dans TS4 important. Il sait comme nulle autre faire passer le malaise par son travail vocal. Il fallait un tel acteur pour interpréter finalement le pivot du film : Forky.
Cette petite fourchette mal fichue, l’air de rien, est au cœur du projet du réalisateur. Josh Cooley qui signe ici son premier long métrage pour l’entreprise porte un intérêt certain à ce « déchet » ce détritus comme il se désigne lui même. Tout dans le comportement de Forky nous rappelle le mal-être qui a dû envahir Pixar lorsque les agissements de Lasseter ont été révélés. Tout nous pousse à voir Forky comme la projection du cinéaste dans le film. Si Forky est un jouet fait maison, Cooley est un enfant Pixar qui après avoir été petite main sur différents projets s’est mis à faire ses propres courts-métrages. L’un comme l’autre se retrouvent dans une aventure sans avoir bien été préparé, et les deux semblent souffrir d’un monde trop grand pour eux et dont ils ne maîtrisent pas forcément tous les enjeux. Surtout, le réalisateur par l’intermédiaire de Forky s’excuse d’être là et comme son personnage tente de rester dans l’ombre, là où il est né. Mais d’une certaine manière, Josh Cooley veut croire que l’esprit d’équipe de Pixar peut être assez puissant pour sortir de ce cauchemar. Cooley avec le destin de Forky rappelle à Pixar que ce qui faisait l’âme de l’entreprise c’était l’expérimentation, le côté artisanal qui a aujourd’hui totalement disparu. Et c’est là qu’en tant que spectateur on doit évidemment apporter notre soutien. Si les intentions de Cooley sont aussi louables, il serait dommage que le film ne soit pas un succès, malgré ses faiblesses.
Toy Story 4 de Josh Cooley. Avec Tom Hanks, Tim Allen, Annie Potts, Keanu Reeves, Tom Hale, Joan Cusack, Jordan Peele, Keegan-Michael Key