Il exise un endroit secret au festival d’Annecy. Hors des murs de Bonlieu, en suivant quelques timides panneaux indicatifs, on arrive à une petite porte dérobée et à un escalier étroit… Au bout de cet escalier se trouve la salle du futur. C’est ici qu’il y a maintenant cinq ans, j’ai découvert les plaisirs de la réalité virtuelle grâce à la sélection spéciale du festival.
Ce petit paradis m’a marqué comme peu de choses l’ont faite, puisque suite à cette rencontre magique avec les possibilités visuelles, narratives et interactives qu’offre le nouveau medium, j’ai enchaîné les festival liés à cela et rédigé de nombreux papiers sur Cinématraque pour en comprendre les spécificités.
Et puis, lorsque la technologie est arrivée à un point suffisamment appréciable, j’ai acheté un casque. Un Oculus Quest, désormais upgradé avec le Quest 2, qui est entièrement portable et possède un système qui repère nos déplacements dans l’espace sans même avoir besoin d’un appareil externe. Récemment la machine s’est même mise à reconnaître nos mains ! Bref, je suis devenu totalement accro. Au point où, cette année, ne pouvant pas faire Annecy sur place à mon plus grand désespoir, je me suis quand même débrouillé pour avoir accès à certaines des œuvres en compétition dans l’édition 2021. En voici deux dont je vais vous parler.
The Hangman at Home, de Michelle et Uri Kranot
Cette oeuvre a été pensée pour les casques modernes comme le Quest, en ce qu’elle prend en compte les déplacements du spectateur (donc actif) dans l’espace narratif, mais aussi ses gestes. Comme on aurait besoin de tourner la page d’une bande-dessinée pour faire avancer l’histoire, on demande ici au spectateur dès le début de s’emparer d’une boîte d’allumettes, l’ouvrir et en craquer une. L’inconvénient sur la durée est que les actes à réaliser, sans information donnée, ne semble pas toujours assez intuitifs, mais avec de la pratique on s’en sort rapidement.
The Hangman at Home s’inspire librement d’un poème assez connu de 1922 de Carl Sandburg, qui réfléchit la vie intime d’un bourreau. De ce point de départ, le film interactif nous invite à explorer l’intimité de plusieurs individus sous différentes formes : par exemple un homme qui essaie de voler la bague en or de sa mère défunte, qui se résigne lorsqu’il se se sent finalement observé. Si la mécanique n’est pas toujours ultra efficace, la réflexion sur nos secrets se double d’une intelligente approche sur le regard du spectateur. En effet le voyeurisme qui fait part intégrante du cinéma se voit décuplé lorsque nous avons la possibilité de nous déplacer au sein du récit, de chercher nous-même la meilleure position pour tout voir, tout observer. Et surtout l’animation, sorte de peinture à la main animée ensuite dans le cadre VR sur plusieurs plans plats (à la Bambi), est de toute beauté.
Recoding Entropia, de François Vautier
Ce film en animation 3D surprenant est le troisième volet d’une série anthologique signée par un homme qui est depuis très longtemps obsédé par les effets visuels, l’informatique et la réalité virtuelle. C’est une œuvre qui peut paraître abstraite au premier abord, parce qu’il n’y a pas de personnages reconnaissables immédiatement : tout commence avec un tétraèdre dans le néant qui se transforme pour donner vie à… La vie. Tout simplement. Pourtant derrière la nature expérimentale du projet, on trouve un propos relativement universel et tout sauf obtus : celui de la création de la vie.
La narration est donc portée par deux choses principales : D’une part, l’évolution des formes dans l’espace, qui en s’animant et en se métamorphosant nous donne à la fois pleine conscience de ce que l’on peut imaginer comme la naissance d’un monde à vitesse supersonique (je veux juste dire que ça va super vite, il n’y a pas de sens scientifique au mot que j’emploi j’ai fait un bac L). D’autre part, c’est le montage qui vient rajouter un vertige déroutant à cette expérience. Il n’y a pas d’interactivité ici, juste une immersion sans cesse interrompu par des coupes et des changements de plan – et d’échelle – au sein de la narration, ce qui est particulièrement rare dans les créations en réalité virtuelle.
Ces deux éléments ensemble permettent de rendre l’expérience particulièrement grisante, ne serait-ce qu’en termes de sensation (et ce malgré une musique sans doute un peu trop appuyée), mais aussi en terme de réflexion. La seconde découle de la première : c’est les crépitements que l’on ressent dans l’estomac face à ces formes grises changeantes qui s’affairent autour de nous qui nous font comprendre que l’on assiste à la création d’un monde. Nous ne sommes pas si loin de la ville des machines, à la fin de Matrix Revolutions. Et si je ne suis pas très friand des oeuvres trop expérimentales de manière générale, celle-ci fonctionne très bien sur moi.