Les coups de cœur de la rédac : Septembre 2024

Nouvelle rubrique à Cinématraque en cette belle (non) et réjouissante (non plus) rentrée 2024 !

Tous les mois, on vous propose les coups de cœur de notre rédaction. En lien avec le cinéma quand même parce que c’est un peu le principe du site.

Alors qu’est-ce qui nous a plu en septembre 2024 ? Voici la réponse :

Captain Jim : la séance de Bloodsport au Grand Rex

J’ai fait la terrible erreur de naître trop tard pour grandir avec les films de Jean-Claude Van Damme… Ou du moins avec ceux qui sortaient encore au cinéma dans les années 1990, et qui étaient – pour être poli – moins pire que ceux d’après. Je ne pouvais donc par rater l’occasion d’une projection de son premier succès, Bloodsport, sur l’immense écran Le Grand Large du cinéma populaire parisien.

Avec mon camarade Fabien, qui cache derrière ses passions kaiju une admiration que je partage pour la filmographie du plus célèbre belge du septième art, nous avons pris plaisir à redécouvrir chaque grand moment des combats d’arts martiaux du film, mettant à l’honneur énormément de cultures différentes, tout en riant bien à tous les passages affreusement ridicules. Sur grand écran, les quelques scènes du jeune Forest Whitaker sont hilarantes tant quelqu’un de son standing n’est pas à sa place dans une production pareille. Surtout, c’est en voyant le visage juvénile de JCVD sur un si bel écran qu’on réalise instantanément pourquoi il est devenu une star en 1988 : c’est comme si l’expression crever l’écran avait été inventée pour lui.

Avant la séance Mohammed Qissi, le camarade de Van Damme de l’époque, a pris la parole pendant une bonne heure pour raconter des anecdotes connues des fans sur leurs débuts à Hollywood, en les décorant comme à son habitude d’exagérations de plus en plus invraisemblables… Mais ça fait partie du spectacle. On a aussi eu le plaisir de voir des spectateurs totalement éméchés se foutre sur la tronche au début de la projection, histoire de faire de Bloodsport une séance en 4DX : tous les coups sont effectivement permis. Et puis c’est quand même plus marrant que d’aller au Grand Rex pour voir Jordan Belfort… #lecinemaestmort

Mehdi : La Cérémonie

Claude Chabrol fait partie des noms incontournables du cinéma français et je n’avais pourtant vu aucun de ses films. J’ai donc profité de la présence en cette rentrée de cinq films du réalisateur sur la plateforme de FranceTV pour me rattraper. Plus précisément, les cinq films sur la plateforme célèbrent le lien entre Chabrol et Isabelle Huppert. Et c’est celui pour lequel Huppert a réçu le César de la meilleure actrice que j’ai chosi : La Cérémonie, adaptation d’un roman de Ruth Rendell.

Si le rôle d’Isabelle Huppert est particulièrement marquant, c’est bien Sandrine Bonnaire qui incarne, à merveille elle aussi, Sophie, le personnage principal de ce film qui confronte ces deux femmes à l’indécence arrogante de la bourgeoisie. Sophie est recrutée comme domestique dans une famille bien sous tous rapports. Mais progressivement, le rapport de domination qu’exerce cette famille va devenir insoutenable pour Sophie.

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Le film décortique froidement et brillamment ce rapport si étrange et si symbolique entre le bourgeois et sa servante. Là où l’écriture est particulièrement maligne, c’est que la famille n’a pas d’autre défaut que sa banale suffisance. Le couple de parents n’est pas monstrueux, et leur fille essaye même de se montrer sympathique avec Sophie. Mais c’est justement dans cette fausse connivence maternaliste que se cristallise le plus cruellement l’abime qui sépare ces individus et la perversité du rapport de domination. On retrouvera quelques années plus tard, un constat similaire dans Parasite de Bong Joon-ho qui, comme Chabrol utilise l’espace géographique de la maison pour symboliser la fracture sociale au sein de la demeure. La Cérémonie reste cependant beaucoup plus sobre et direct que son cousin coréen. Et cette sobriété rend la trajectoire des personnages d’autant plus limpide : tout le monde joue sa partition dans cette version domestique de la lutte des classes. En grande cérémonie.

JB : Quitter la nuit

Errer sur la plateforme VOD de la médiathèque de ma ville, c’est l’assurance de croiser des films dont on n’a jamais entendu parler, et de parfois s’aventurer à cliquer, sur la simple foi d’une affiche pas mal pixelisée. Sur celle de Quitter la nuit, on devine une mention « prix du public », dans quelque festival ; perso j’ai souvent trouvé que le public avait bon goût, ceci expliquant probablement le fait que je ne sois jamais invité au Masque et la Plume.
Une femme avec un casque sur la tête, une atmosphère très sombre, ça fleure le thriller, et le rapport titre image laisse à penser que ça ne va pas être trop cheap ou trop débilos. Allez, on tente.

La première scène est une grande réussite, un sommet de suspense. Dans une voiture, un homme agité au volant, une femme apeurée à ses côtés. Elle dit appeler sa sœur pour prendre des nouvelles. On l’entend échanger, la voix tremblante, mais dans une discussion a priori banale. À l’autre bout du fil, découvre-t-on finalement, c’est la police, et une interlocutrice qui tente habilement de comprendre la teneur du danger vécu par la protagoniste et de lui porter secours sans que le conducteur ne se doute de quoi que ce soit.

Le film suivra ensuite ces héroïnes et le bourreau, façon puzzle, dans l’avant et l’après. Habilement, sans tambour ni trompette, subtilement, avec une belle confiance en le spectateur et (donc) le cinéma. À l’instar du très réussi aussi Borderline vu quelques jours plus tôt sur la même plateforme, c’est là un superbe tout petit film qui s’assume, montrant qu’on n’a pas forcément besoin d’en faire des caisses et de bomber le torse pour dire plein de choses intéressantes – ici, le chemin de croix que c’est que d’être reconnue victime.

Juliette « Antigone » : Cinema Fouad

« Qu’est-ce que tu penses qu’ils passent au cinéma Fouad aujourd’hui ? » C’est peut-être la plus belle question que pose le réalisateur Mohamed Soueid à Oscar Al-Halabiye dont il réalise le portrait documentaire. Le Cinema Fouad, c’est le lieu dans lequel cette femme syrienne a regardé des films toute son enfance et a découvert ses modèles féminins dans des actrices danseuses du ventre. Partie au Liban car en danger à Alep à cause de sa famille n’acceptant pas sa transidentité, cette femme évoque avec rire et émotion ses souvenirs. C’est en hommage à Lady Oscar que son amant palestinien l’appelait ainsi alors qu’ils partaient à deux dans des missions suicides pour le Hezbollah.

Plus que jamais d’actualité, ce court portrait de 40 minutes permet de découvrir une très grande femme, lui donne la parole et se soucie de ses ressentis. Mohamed Soueid la filme le plus simplement possible et lui pose des questions étonnantes qui mènent à découvrir une personne complexe. La relation entre les deux est très particulière et c’est assez fascinant de la voir ne pas aimer répondre spécifiquement mais partir sur d’autres sujets. Pourtant les étranges demandes du réalisateur, liées aux souvenirs et à l’art permettent de donner encore du relief à cette femme aussi lumineuse que parfois visiblement brisée.

C’est un film plus qu’important à voir aujourd’hui encore et c’est disponible sur Youtube : https://www.youtube.com/watch?v=RDtRCpWxB1Q

Gabin : Aller au ciné au Canada et crever devant The Substance 

Aller au cinéma au Canada, outre devoir payer sa place 10 à 15 dollars sans pouvoir sortir sa carte UGC Illimité, c’est parfois l’occasion de découvrir des films vachement en avance. Avec notre cinématraquos québecoise Pauline, on a l’habitude de tomber sur des bousins.

Il y a deux ans, c’était Men d’Alex Garland. Cette fois-ci, c’était Strange Darling, une relecture du mythe de la « final girl » plébiscitée notamment par Mike Flanagan. Un truc qui se veut super intelligent car décomposé en chapitres montés dans le désordre (olala vous ne devinerez jamais ce qui se passe !) et tourné en pellicule (fait tellement extraordinaire qu’il mérite un carton introductif). Le résultat est un truc assez immonde, au mieux maladroit, au pire franchement vulgaire dans son propos (not all men, c’est quand même aussi un peu de la faute des femmes, tout ça). On a eu plus de chance en allant au Cinéma Public devant la version restaurée de Déménagement de Shinji Sōmai.

Mais mon vrai coup de cœur, ça a été ma séance de The Substance de Coralie Fargeat lors d’une avant-première bondée au Cinéma du Parc (l’accès se fait dans un petit centre commercial un peu glauque en sous-sol, et pourtant c’est là qu’on a plein de films cools). Une grosse avant-première, vu que la sortie française ne se fera que début novembre. Ça part d’un constat très simple : l’industrie du cinéma et du divertissement ne veut plus d’une femme passé l’âge de 50 ans au prétexte qu’elle n’est plus désirable. Le culte de l’image et de la jeunesse sont donc au cœur de The Substance, qui profite de cette critique pour devenir un mélange brillant entre Blanche-Neige et La Belle au bois dormant sous acides, où les personnages de Demi Moore et Margaret Qualley se mangent l’une l’autre pour obtenir une place sur le devant de la scène. Coralie Fargeat va complètement à fond dans son délire et toujours plus loin pour que la laideur de l’industrie devienne plus grande encore que celle d’un corps considéré comme « monstrueux ». Accrochez vos ceintures : les trente dernières minutes sont un roller-coaster full body horror et hémoglobine.

Julien : Riverboom, l’anti-Civil War

J’étais fort marri au moment de ce tout premier exercice d’introspection mensuel de par la particularité de ce mois de septembre en salles. En effet, cette rentrée 2024 fut à mes yeux dominé par trois films disparates mais remarquables en tous points, qui se tailleront sans doute une part de choix dans mon top de fin d’année : A son image de Thierry de Peretti, Dahomey de Mati Diop et Les Graines du Figuier sauvage de Mohamad Rasoulof. Le problème, c’est que je n’ai vu aucun de ces trois films dans le courant du mois de septembre mais bien en amont : le premier et le troisième au dernier festival de Cannes et le deuxième dans une séance privée dans le courant de l’été pour le compte d’une association cinéphile avec laquelle je collabore.

Donc au moment de dégager un instant cinéphile de ce mois de septembre, difficile de se faire une place au milieu de ces trois coups de cœur. Privilège de la procrastination, ce lundi 30 septembre, dernier jour du mois, j’ai donné sa chance au chouette bouche-à-oreilles entourant Riverboom, documentaire du photojournaliste suisse Claude Baechtold, revenant sur son périple en 2002 sur les routes d’Afghanistan au côté de ses collègues et amis Serge Michel et Paolo Woods. Un séjour dans lequel Baechtold, embarqué par son comparse Serge Michel, alors grand reporter au Figaro et future grande plume du Monde, allait ausculter les promesses (auxquelles personne de sensé n’a jamais vraiment cru) de la Pax Americana promise par l’Amérique de Bush suite à l’invasion de l’Afghanistan après les attentats du 11 Septembre. Mais ça vous le savez déjà sans doute car vous avez lu le très bon article de Renaud dessus.

Pourquoi attendre 22 ans pour sortir ce documentaire riche en archives personnelles me direz-vous? La raison est à l’image du film : parce que la personne à qui Baechtold avait précieusement confié les cassettes DV les a paumées quelques jours plus tard, ne les retrouvant qu’en 2022. Car Riverboom est, derrière son portrait d’un Afghanistan dévoré par des puissances ne lui promettant que du mal (les héritiers du bloc soviétique ayant envahi le pays en 1979, les Talibans venus du Pakistan voisins, et l’impérialisme américain qui a pourtant tout fait en son temps pour installer les Talibans dans le pays), une aventure humaine et une quête personnelle, autant qu’un portrait en creux de ce noble et formidable métier qu’est le photojournalisme. Difficile d’évoquer le photojournalisme en 2024 sans évoquer le Civil War d’Alex Garland, qui est en tous points l’opposé de ce Riverboom : un film de fiction certes, mais aussi un film d’une crétinerie sans nom face à la méconnaissance sans nom de Garland envers son sujet.

Riverboom est heureusement un portrait autrement plus noble de ce métier de cinglés, opposant l’amateur d’alors Baechtold aux plus chevronnés Michel et Woods. Trois caractères hyper différents mais complémentaires qui dressent un tableau assez exhaustif de ce qui fait la grandeur de la figure du reporter de guerre : un métier de Pieds Nickelés autant que de têtes brûlées, oscillant sans cesse entre l’insouciance et l’inconscience, entre le courage et la témérité, à la fois si près et si loin de la mort qu’ils viennent chroniquer. C’est drôle, vivant, extrêmement précis et didactique, parfois un peu excessif dans la forme gonzo mais peu importe. En ressortant de Riverboom, j’ai pensé à cet autre film sur un autre temps et une autre guerre (celle des Balkans en l’occurrence), le très beau et méconnu Sympathie pour le diable de Guillaume de Fontenay, autre magnifique portrait d’un reporter de guerre. Un film de fiction celui-là d’ailleurs, preuve que le succès de ce genre de ce portrait ne tient pas forcément dans le choix du documentaire. Deux films qui avec le recul me rendent encore plus furieux d’avoir dû repenser à Civil War.

Pauline : Revenge, les bons pères de famille

Avant The Substance et l’acide (voir aussi la section de Gabin plus haut), il y avait Revenge et le peyotl (cette référence sera comprise en voyant le film.) Le premier long-métrage de Coralie Fargeat traînait dans ma watchlist depuis sa sortie, mais l’imminence de ma séance de son second opus m’a finalement poussée à le (me) lancer. Gros coup de cœur malgré le sujet sordide (le « Revenge » du titre vient du genre filmique « rape and revenge », soit viol et vengeance en français), la réalisatrice nous en met plein la vue avec ses couleurs saturées (le ciel est bleu, le désert est ocre, la pomme croquée annonciatrice de l’enfer qui arrive est verte, les tenues du personnage féminin sont fluos, etc) et dézingue hommes et culture du viol d’une pierre deux coups (de chevrotine).

Une jeune femme, vue à travers une baie vitrée de couleur rose, regarde deux hommes, de dos, habillés en tenue de chasse. Elle porte un crop top rose et une culotte rouge.

Des hommes « biens sous tous rapports » qui se révèlent prêts aux extrémités les plus violentes pour protéger leur confort et/ou celui de leurs potes, ça vous rappelle quelque chose ? Nous aussi. Jouant habilement avec les clichés traditionnels du male gaze, Coralie Fargeat est également à l’aise avec les codes des films de genre (certains plans font penser aux vieux Mad Max), prouvant une nouvelle fois que ces derniers ne sont jamais aussi bons que lorsqu’ils en profitent pour nous balancer en plein visage les dégueulasseries de notre société. Vengeance fictive mais catharsis réelle, la biche au tatouage réalisé à la canette de bière revient d’entre les mortes pour défoncer les chasseurs, et on en redemande.

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