Ce film a été élu « Film de Septembre 2024 » par la rédaction Cinématraque.
Une voix déformée d’outre-tombe s’adresse à nous. Elle semble porter en elle des décennies de souffrance et d’histoire. Elle parle en fon ancien, la langue ancestrale du Bénin. Mais c’est bien au monde d’aujourd’hui qu’elle s’adresse, retranscrite par les sous-titres en écriture inclusive, et tournée vers son pays qu’elle va retrouver après des années d’exil.
L’orateur ou l’oratrice est l’une des statues dont Mati Diop retrace le rapatriement dans Dahomey film documentaire ou plutôt film témoignage sur un moment historique pour le Bénin. En 2021, la France dans sa grande bonté, après plusieurs refus, accepte finalement de rendre une partie des biens culturels pillés au 19ème siècle. 26 œuvres plus précisément.
Dahomey accompagne ce transfert. La première partie entrecoupe le monologue de la statue avec des scènes restituant le rituel du transfert d’œuvres que l’on imagine particulièrement fragiles. Rien n’est expliqué car Mati Diop ne cherche pas à nous enseigner les techniques de conservation du patrimoine mais de nous faire ressentir le poids symbolique, historique et politique de ces statues. Les plans en apparence anecdotiques de l’empaquetage ou de la traversée de la Méditerranée, prennent grâce au dispositif de Dahomey une profondeur métaphysique qui immerge le spectateur dans ce voyage hors-normes.
Ne vous inquiétez pas, c’est Bénin
La deuxième partie est encore plus puissante. La voix des statues laisse place aux voix d’étudiants et étudiantes béninois·e·s. Réunie dans un amphithéâtre par Mati Diop elle-même, la jeunesse débat de que signifie pour eux cette restitution. Les questions sont nombreuses et passionnantes. Faut-il célébrer la restitution ou pleurer tout ce qui reste à récupérer ? Que faut-il faire de ces œuvres et comment véritablement els restituer au peuple béninois ? L’Afrique peut-elle réinventer la pensée muséale à travers ces œuvres qui n’ont connu pendant plus d’un siècle qu’un regard occidental ? Toutes ces questions ne trouvent évidemment pas de réponse dans Dahomey mais Mati Diop, sans didactisme, réussit à retranscrire le bouillonnement intellectuel qui accompagne cette révolution seulement amorcée. Le spectateur n’est pas interrogé directement, on lui permet d’entrapercevoir ce qui va traverser les réflexions de ces jeunes peuples avides de recréer ce lien avec leur patrimoine volé.
Après Atlantique, Mati Diop n’a pas quitté la fiction avec Dahomey. Elle a plutôt fait un pas de côté et nous livre une œuvre puissante à l’audace impressionnante. Ancré dans un passé ancestral et tourné vers un futur inconnu, Dahomey tire sa force de ceux qui font l’histoire du Bénin, en façonnant des statues ou en se battant pour qu’elles trouvent leur véritable place.
Dahomey, un film de Mati Diop, en salles depuis le 11 septembre 2024