Il y a quasiment un an, le 31 juillet 2023, le cinéma français pleurait Sophie Fillières, emportée par une longue maladie à l’âge de seulement 58 ans. Cette maladie, elle la découvre après l’écriture et au début du tournage de ce qui restera son dernier long-métrage, Ma vie ma gueule, présenté en ouverture de la sélection de la Quinzaine des cinéastes de ce Cannes 2024. Décédée peu de temps après la fin du tournage, elle chargea son monteur François Quiqueré mais surtout ses enfants Agathe et Adam Bonitzer (nés de son union avec Pascal Bonitzer) de terminer ce film aux accents déjà très autobiographiques. Un film pour lequel elle confie le premier rôle/alter ego à Agnès Jaoui.
La vie et la gueule en question, ce sont celles de Barberie Bichette, écrivaine et poétesse dans la cinquantaine, reconvertie dans la publicité et qui déteste qu’on l’appelle Barbie. Mais s’il y a une chose que Barberie déteste ou craint plus encore, c’est sa mort. Barberie sent que sa vie lui échappe, y compris ses deux enfants Rose (Angelina Woreth, remarquée notamment dans Les Rascals) et Junior (Edouard Sulpice, découvert entre autres dans A l’abordage de Guillaume Brac). Barberie va alors perdre pied avec la réalité avec que des souvenirs de son enfance vont revenir dans sa vie.
Quoi ma vie, qu’est-ce qu’elle a ma vie?
Écrit avant la découverte de sa propre maladie, le scénario de Ma vie ma gueule ne cesse évidemment de dresser des parallèles entre son autrice et son personnage, qui donnent au film une puissance testamentaire passant notamment par l’immersion d’Agnès Jaoui dans la peau de Sophie Fillières. Sur le plateau, l’actrice endosse les vêtements, la gestuelle et même les bijoux que lui prête la réalisatrice. Impossible dès lors de ne pas voir dans ce témoignage plus qu’un simple hommage, mais aussi une réflexion à vive voix de Sophie Fillières face à la perspective inéluctable de son propre décès, ce qui contribue à faire de Ma vie ma gueule un film émouvant par la crudité de ses sentiments.
Ma vie ma gueule est un film sur ce qui nous échappe alors que la mort approche. C’est un film sur une femme qui perd prise sur son corps, sur sa mémoire, sur sa santé mentale, et sur le cheminement qu’elle doit entreprendre pour reprendre le dessus. On retrouve beaucoup de l’humour pince-sans-rire et sophistiqué de Sophie Fillières dans ce récit picaresque qui refuse le naturalisme blafard sans éluder la douleur qui traverse son héroïne. L’ensemble est parfois inégal, répétitif, mais toujours sincère, tant on semble se battre avec Barberie dans sa quête de paix intérieure. Une quête vers un peu de sérénité, une lichette de terre perdue au fin fond de l’Ecosse, un pas grand chose qui a pourtant l’air d’une conquête titanesque.
La démarche singulière de Ma vie ma gueule l’est tout autant que l’effort collectif qui a servi à mener le film à son terme. Elle navigue en oblique comme les caractères italiques de la police d’écriture sur laquelle Barberie s’arrache les cheveux pour le titre de son prochain livre (Sophie Fillières elle-même disait qu’elle n’entamait jamais l’écriture de ses films sans en avoir d’abord trouvé le titre). Plus lumineux que mortifère, cet ultime long-métrage offre un bel au revoir à une cinéaste qui a su tracer une route singulière dans le cinéma français, laissant derrière elle un ultime arc-en-ciel (littéralement) en guise du générique de fin, quelque part au milieu d’une verte prairie.
Ma vie ma gueule de Sophie Fillières, avec Agnès Jaoui, Philippe Katerine, Angelina Woreth, Edouard Sulpice…, sortie en salles prévue le 18 septembre