Claude Baechtold n’a rien à voir avec le cinéma documentaire, le journalisme, ni la géopolitique au moment où débute son histoire qu’il raconte dans Riverboom. Le suisse faisait de la mise en page de livres féministes et sortait d’études de graphisme lorsque son ami Serge Michel vint le chercher pour l’embarquer avec lui jusqu’en Aghanistan. Nous sommes en 2002, les deux comparses débarquent dans un pays fraîchement envahi par les forces américaines et de l’OTAN, en réaction aux attentats d’Al Quaeda du 11 septembre 2001.
Rapidement rejoint par un jeune photographe de guerre italien nommé Paolo Woods, ils parcourent le pays de fond en comble malgré le danger, filmés par une caméra numérique bas de gamme achetée par Claude dans un bazar, qu’il utilise avec une fausse carte de presse pour avoir l’air sérieux.
22 ans après le tournage, et surtout 2 ans après que les cassettes vidéos de ces deux mois en Afghanistan soient retrouvées (le type qui devait les numériser les a égarées pendant DEUX décennies !), Claude Baechtold propose un documentaire utilisant les images de ce journal de bord ainsi que des archives de son enfance (et de celles de ses deux amis également), pour nous offrir un voyage bouleversant de naïveté.
C’est à la fois la force et la faiblesse de Riverboom : Claude Baechtold n’est pas au moment où il filme un cinéaste, et apprend à utiliser sa caméra au fur et à mesure du périple. Il donne à voir l’Afghanistan à un moment charnière de son histoire, avec l’œil de quelqu’un qui n’y connaît absolument rien et qui est, à raison, TERRORISÉ par les risques que prennent ses camarades aventuriers. Ce qui permet d’avoir quelque chose de très pédagogue, sans être non plus trop schématique. La présence de Paolo Woods et de ses photos de reporter de guerre dans la diégèse permet d’offrir un contrepoint fascinant aux images très aléatoires et anarchiques de Claude Baechtold.
Dans les photos du professionnel, on ressent la volonté de dépeindre un pays avec un angle bien particulier, pour les journaux occidentaux (le Figaro en l’occurrence, car ses clichés accompagnent les articles de Serge Michel tous les jeudis). Cet angle a tendance à cristalliser les lieux, essentialiser les personnes. Ce que fait Claude Baechtold est à l’opposé de cela, puisqu’il ne recherche jamais ou presque l’image choc, et se concentre sur des banalités qui, de manière quasiment accidentelle, révèle le pays dans ce qu’il a de réellement vivant, complexe, pluriel.
Le résultat final est le savant mélange de l’expertise de l’homme devenu documentariste, réalisateur et journaliste à posteriori, qui a su trouver dans ses vidéos très rustres une histoire à raconter : la sienne. Ce qui par moments manque de profondeur certes ou de tact, surtout dans l’utilisation quelque peu forcée des gags et de la voix off par forcément très habile, mais qui donne aussi à voir des purs moments de cinéma.
J’en veux pour preuve une séquence absolument folle et clé du film où le cinéaste utilise le point d’orgue de leur voyage et une nuit cauchemardesque au bord de la rivière Riverboom pour raconter un cauchemar qu’il a fait. Dans ce mauvais rêve, il est visité par ses parents qui sont tragiquement décédés dans un accident de voiture quelques années avant le voyage. Ce que fait alors Claude Baechtold est une magnifique idée de cinéma : il utilise des images d’archive de son enfance pour créer un dialogue avec ses parents, mettre en scène son rêve pour le spectateur et ainsi transformer de vieilles vidéos en une révélation nécessaire pour son passage à la vie d’adulte. En quelques minutes à peine, on comprend que l’homme est devenu cinéaste.
Riverboom, un film de Claude Baechtold, au cinéma le 25 septembre 2024.
2 thoughts on “Riverboom : Lausanne Kaboul”