Oh quelle journée, quelle belle journée que celle des retrouvailles de George Miller avec la saga à laquelle son nom restera à jamais associé qu’est celle de Mad Max. En 2015, dans une sorte de relative méfiance face à un énième sequel tardif (une mode déjà bien implantée à Hollywood à l’époque), Mad Max Fury Road avait déboulé pied au plancher, petit miracle d’action movie épique et grandiose, obsédant et halluciné, meilleur film d’action américain des années 2010 et un des meilleurs films de la décennie tout court. Au milieu du déluge spectaculaire du film, son cœur émotionnel battait à travers le personnage de Furiosa, le véritable personnage principal du film, héroïne badass et complexe campée par Charlize Theron. Très rapidement, les premiers désirs de fans, puis les premières rumeurs de l’industrie, ont fait germer l’idée d’une suite à Fury Road centré sur Furiosa.
Il aura fallu près d’une décennie pour que cette suite voie le jour, ou plutôt ce prequel. Furiosa : A Mad Max Saga se penche en effet sur l’enfance puis l’adolescence de la guerrière, mais aussi sur plusieurs éléments de l’histoire et du lore introduit dans Fury Road, notamment sa relation particulière avec le despote tyrannique du Wasteland Immortan Joe (Lachy Hulme reprenant ici le flambeau de Hugh Keays-Bearne, décédé en 2020). Pour incarner celle qui n’est pas encore Imperator, Charlize Theron laisse ici sa place à Anya Taylor-Joy, elle-même suppléée par la jeune Alyla Browne pour incarner la Furiosa enfant. Un temps envisagé pour être tourné dans la foulée de Fury Road, ce Furiosa aura donc patienté plusieurs années, le temps pour Miller de tourner un autre projet passion, Trois mille ans à t’attendre, qui se solda par un flop assez mémorable en salles.
Furiosa dans son ensemble adopte une structure plus conventionnelle que celle de Fury Road, qui portait à son apogée l’épure narrative en ne se construisant quasiment que comme une course-poursuite continue aller-retour. S’il s’agit toujours de tracer en ligne droite au beau milieu du néant, l’action de Furiosa nous transporte aux quatre coins du Wasteland et de ses lieux les plus importants, tout en introduisant une guerre de clans opposant Immortan Joe et ses War Boys à un nouveau venu, Dementus, chef exubérant d’un clan de bikers conduisant une réplique de char romain tractée par trois bécanes. Pour l’incarner, George Miller ramène dans sa besace un autre Australien célèbre, Chris Hemsworth, troquant ici son Mjöllnir pour une prothèse nasale du plus bel effet.
Dementus symbolise l’énergie assez différente qui émane de Furiosa, beaucoup plus bavarde (on sent presque en creux dans sa structure chapitrée l’influence de Trois mille ans…) que son prédécesseur. Aussi sadique que bouffon, Dementus s’impose comme un nouveau bad guy assez inspiré, pour lequel un Hemsworth en roue libre s’en donne à coeur joie, appuyant chaque syllabe d’un accent australien gommé depuis des années. Il s’inscrit parfaitement dans l’un des plaisirs des Mad Max contemporains, qui derrière le respect du genre ne s’interdisent jamais les embardées dans le loufoque, voire le cartoon assumé. Furiosa, elle, continue de grandir en tant que personnage non pas comme victime expiatoire de figures paternelles de substitution toxiques, mais comme figure de résilience et combattante ultime, capable de soumettre et subvertir l’ordre par sa simple capacité d’action. Anya Taylor-Joy lui apporte son regard perçant aussi dur que malicieux, parachevant le portrait d’une des plus grandes héroïnes que le cinéma d’action ait jamais célébré.
Au-delà de Furiosa elle-même, la star du film de George Miller, tout comme c’était le cas dans Fury Road, c’est le cinéma d’action lui-même. A 79 ans, le vénérable cinéaste (et sa monteuse/épouse Margaret Sixel, indissociable de son travail) en a encore plus que largement assez sous la pédale. Sa maîtrise du dynamisme, du cadre, du rythme, de la colorimétrie font encore de Furiosa un prodige technique époustouflant, face auquel toutes les usines à blockbusters génériques d’Hollywood devraient pâlir de honte. L’un des sommets d’action du film, une scène d’attaque de convoi d’une durée de presque une demi-heure, montre encore toute la maestria avec laquelle chaque élément de décor, chaque mètre de terrain, chaque figurant est réfléchi et à sa raison d’être propre. Même les effets spéciaux dégoulinants des premiers trailers, qui avaient pu doucher un peu l’enthousiasme initial, ne sautent pas aux yeux ici, même si la patine numérique se fait au final un peu plus sentir.
Certes, Furiosa ne peut plus capitaliser sur l’effet de surprise comme l’avait fait en son temps Fury Road. Il est aussi plus conventionnel, peut-être un peu plus confortable, et au final moins révolutionnaire que son aîné. Mais George Miller a compris qu’un miracle ne peut pas se répéter deux fois de la même manière. Alors il décide de construire le complément idéal à Fury Road, celui qui permettra de le savourer plus encore au prochain visionnage. Et ça déjà c’est en soi un trésor.
Furiosa : A Mad Max Saga de George Miller avec Anya Taylor-Joy, Chris Hemsworth, Tom Burke…, sortie en salles prévue le 22 mai