Bird : La reine animale

On avait quitté Andrea Arnold à Cannes sur une note mitigée laissée par son Cow, documentaire animalier dans lequel la cinéaste britannique suivait la vie d’une vache enfermée dans un enclos d’élevage, de sa naissance à sa mort. Un documentaire plein de bonnes intentions mais victime justement de ces dernières, essayant de calquer sur son sujet une forme d’humanisation forcée qui ne marchait pas totalement. Cette année, la réalisatrice est l’un des noms majeurs de cette édition puisqu’au-delà de son retour en compétition, Andrea Arnold était également célébrée par le Carrosse d’or, distinction honorifique remise au début de la Quinzaine des cinéastes par la Société des réalisatrices et réalisateurs de films.

Bird était à coup sûr l’un des films les plus attendus de cette cuvée 2024, déjà parce qu’il était l’un des premiers noms à être apparus dans les rumeurs cannoises au cours des dernières semaines. Par ailleurs, il offrait la promesse de voir réunis à l’écran deux des acteurs les plus tendance du Film Twitter mondial : Barry Keoghan, le nouveau golden boy incontournable venu d’Irlande (Les Banshees d’Inisherin, Saltburn), et Franz Rogowski, le plus célèbre zézaiement du cinéma d’auteur (Ondine, Great Freedom, Passages…). Les deux acteurs laissent cependant le spotlight, comme toujours chez Andrea Arnold, à une héroïne, en l’occurrence ici la toute jeune Nykiya Adams.

Celle-ci incarne Bailey, une jeune adolescente androgyne de 12 ans, qui vit seule avec son père Hunter (Keoghan) et son demi-frère Bug (Jason Buda). Alors que son père va se remarier et que sa mère se retrouve victime d’un nouveau conjoint abusif, Bailey va faire la connaissance de Bird (Rogowski), un jeune homme venu de nulle part, parti sur les traces de ses parents. Sauf que Bird n’est pas un jeune homme comme les autres : par son caractère lunaire et sa gestuelle particulière, il semble comme dans son monde, étranger au monde extérieur en tout cas. Bailey va se lier d’amitié avec lui et l’aider dans sa quête d’identité.

Birds flying high, you know how I feel…

Au premier abord, Bird semble renouer avec la fibre du cinéma social présente particulièrement dans les premiers longs-métrages d’Andrea Arnold, Red Road et Fish Tank. Son héroïne ado frondeuse nous ramène aussi en terrain connu, se posant comme un nouvel avatar du personnage “arnoldien” après la Mia de Fish Tank (Katie Jarvis) et la Star d’American Honey (Sasha Lane). Sauf que très vite, la cinéaste va bien plus épouser se laisser tenter par les chemins de traverse de la fantaisie, comme autant d’envolées et de respirations esthétiques.

Andrea Arnold l’a fait comprendre depuis longtemps, le réalisme social ne condamne pas à la seule approche naturaliste. A ce titre, Bird est un film d’une générosité d’idées permanente, lorgnant même davantage vers le réalisme magique, qui ne s’interdit rien même si ça dépasse du cadre. Sa générosité transparaît jusque dans sa bande-son, qui enchaîne classique sur classique (un film qui s’ouvre sur du Fontaines D.C. et permet d’entendre Barry Keoghan chanter du Coldplay et danser sur Cotton-Eyed Joe ne PEUT pas être un mauvais film) sans se soucier de ce qui serait le choix du meilleur goût ou non. L’audace permanente de Bird s’incarne dans le personnage de Bailey, une jeune fille déjà presque adulte dans ses responsabilités qui découvre ce qu’est réellement le passage à l’âge adulte, notamment face au grand enfant qu’est resté son ami Bird.

Le film est par ailleurs un nouveau témoignage de la puissance physique du jeu de Franz Rogowski, acteur caméléon jamais dans la “performance performative”, toujours capable d’insuffler la bonne émotion sur le bon geste, le bon regard (celui, déchirant, presque celui d’un animal de compagnie, qu’il lance à Bailey, quand il conclut enfin son périple identitaire). Peut-être est-ce d’ailleurs par sa capacité à gérer la subtilité de chaque geste que le dénouement du film est peut-être son point faible. Empoignant complètement son refus du naturaliste, Bird devient une véritable fable au risque d’en perdre en complexité, multipliant les métaphores animalières et surexplicatives pas toujours essentielles.

Bird est malgré tout un retour à la fiction très accompli de la part d’Andrea Arnold, et probablement la proposition la plus aboutie offerte par la compétition officielle sur ce début de festival. Creusant un peu plus le sillon intimiste de la réalisatrice, il ouvre aussi des perspectives nouvelles pour une artiste toujours plus sûre de son art et des possibilités que celui-ci lui ouvre. Petit à petit, l’oiseau sort de son nid.

Bird d’Andrea Arnold avec Nykiya Adams, Barry Keoghan, Franz Rogowski…, date de sortie en salles encore inconnue

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