Peu d’observateurs, pour ne pas dire quasiment personne n’avait tablé sur le nom d’Agathe Riedinger dans les pronostics des cannois avant l’annonce de la sélection il y a de cela un mois. Hormis quelques courts-métrages remarqués, la réalisatrice n’avait encore jamais fait le saut vers le long avant ce Diamant brut, à qui incombe la lourde tâche d’ouvrir les festivités de la compétition cannoise. Le sujet de son film ne lui est cependant pas inconnu : le personnage de Liane est déjà au centre de son premier court en 2017, J’attends Jupiter.
Liane, c’est une jeune femme de 19 ans, qui vit dans les alentours de Fréjus élevée par une mère célibataire qui plus jeune l’avait abandonné dans un foyer. Petite sensation des réseaux sociaux sur lesquels elle met en scène son corps déjà retouché par la chirurgie esthétique, la post-adolescente rêve de la gloire médiatique et des fortunes de la vie d’influenceuse. Un jour, elle se fait remarquer par l’équipe de casting de Miracle Island, un téléréalité pas des plus distinguées à la sauce des Marseillais… et consorts, qui peut lui ouvrir les portes de la notoriété. Liane y voit alors une revanche sur la vie et la perspective d’une vie de richesse, mais aussi d’indépendance.
La téléréalité comme miroir aux alouettes pour des quidams en quête de leur quart d’heure de célébrité, c’est loin d’être un sujet nouveau pour le cinéma, avec le risque de tomber dans la redite moralisatrice. Agathe Riedinger ne tombe heureusement pas dans le piège et choisit la voie de l’empathie en essayant de comprendre les motivations de Liane, pour laquelle Tiktok, la téléréalité et les implants mammaires sont autant d’armes d’affirmation pour se libérer des influences qui l’ont cadenassé pendant des années. L’influence d’une mère pourtant absente, volage et qui ne fait pas grand chose de ses journées, incarnée par une Andréa Bescond méconnaissable. L’influence des conseillers sociaux qui veulent l’enfermer dans une existence vouée à l’échec. Mais aussi l’influence des hommes : vierge et croyante, Liane veut autant fuir le regard lubrique de certains que la monotonie de la vie de couple où elle ne se sent que le subalterne de l’autre.
Récit d’émancipation dans tous les sens du terme, Diamant brut repose en grande partie sur l’énergie et le charisme de son interprète, la comédienne non-professionnelle Malou Khebizi, tornade d’énergie qui s’impose naturellement comme une première prétendante crédible au prix d’interprétation féminine. Si Diamant brut tient dans l’ensemble son programme jusqu’au bout, c’est aussi par le regard que la cinéaste pose sur un personnage qui synthétise à lui seul tant de sujets de mépris potentiel. Ce qui l’intéresse, c’est de la voir maintenir son désir de succès chevillé au corps sans que rien, ou quasi rien, ne la fasse dévier de sa trajectoire. Une obstination justement récompensée, là où tant d’autres cinéastes auraient fait l’erreur de punir celle qu’ils ne verraient que comme une écervelée médiocre, par un très joli plan final, lumineux et souriant.
Pour autant, Diamant brut reste un premier film, et cela se voit bien vite. Agathe Riedinger n’évite pas les scories inhérentes à ces premiers longs souvent très appliqués, un peu archétypaux dans leur narration (hormis sa résolution finale, le film épouse la trajectoire appliquée du rise and fall conventionnel) et parfois empesés par des gimmicks esthétiques étirés à l’excès (inserts de commentaires de réseaux sociaux, séquences de suspension en semi-ralenti sous fond de violon énervé). Diamant brut est un chouette film, porté par un chouette personnage, mais n’est rarement véritablement plus que ça. Le déterminisme social à l’œuvre est parfois mal dégrossi et n’atteint pas la finesse d’observation de certains modèles cités çà et là à propos du film (notamment Sean Baker ou Andrea Arnold, deux concurrents à la Palme d’or).
Ce syndrome du premier film ne se fait pas forcément autant sentir pour ce Diamant brut que sur un film comme Banel et Adama l’an dernier, qui avait assez vite disparu des conversations cannoises après sa présentation. Le costume de film en compétition était-il trop grand? Pas forcément. Mais on aurait aimé que le film se départisse de certains tropes attendus pour explorer d’autres thématiques plus contemporaines (par exemple l’aversion d’une jeunesse ultra-sexualisée pour la sexualité elle-même, évoquée trop brièvement), ce qui lui aurait donné une impression de film moins bon élève, mais plus mémorable. Sans doute loin d’être assez pour empocher le pactole, mais déjà bien assez pour éviter les épreuves éliminatoires.
Diamant brut d’Agathe Riedinger, avec Malou Khebizi, Ashley Romano, Andréa Bescond, sortie en salles prévue le 9 octobre