« Un film pas si festif pour ouvrir ce festival, » c’est par ces mots que le réalisateur québécois Pascal Plante est venu présenter son dernier film, Les Chambres Rouges, et par la même occasion inaugurer la 27ème édition du festival montréalais Fantasia, une véritable institution qui célèbre les films de genre en Amérique du Nord.
Pascal Plante est à ce stade une valeur confirmée du cinéma québécois, après deux long-métrages remarqués: Les Faux Tatouages et Nadia Butterfly, en sélection officielle au tristement historique Festival de Cannes 2020. Pour ce troisième film, il a choisi un sujet on ne peut plus différent des deux premiers (le premier était sur une romance adolescente et le deuxième sur une athlète olympique de natation synchronisée). Il s’agit d’une exploration des bas-fonds de l’humanité, bien pires que les caves de Tobey Maguire dans Babylon, un lieu de damnation où la torture et le meurtre de jeunes filles se monnayent en direct, j’ai nommé Internet.
Les chambres rouges, ou « red rooms » en anglais, ce sont en effet des plateformes de streaming illégales du dark web où les pires vices se déroulent en direct pour le « plaisir » de certains sociopathes, contre de l’argent (pensez bitcoin plutôt que mallette de cash.) Le film prend pour point de départ un procès (fictif, dieu merci) hautement médiatisé, à la hauteur de l’atrocité des crimes commis : trois très jeunes filles ont été retrouvées horriblement mutilées, et les vidéos de la torture et des meurtres de deux d’entre elles ont été saisies par le FBI puis transmises à la justice québécoise. Le suspect, un homme blanc entre deux âges, a plaidé non-coupable. Va alors être infligée aux familles endeuillées et à nous public une reconstitution des faits pour le moins éprouvante.
The dark web never looked so good
Mais le film n’est néanmoins pas un film de procès : son héroïne est une jeune femme qui hante la cour de justice dans l’espoir d’attirer l’attention du tueur présumé. Kelly-Anne dort dehors du lundi au vendredi, non loin du Palais de justice afin d’être dans les premières de la file d’attente et ainsi être sûre d’avoir un siège dans la toute petite salle d’audience. D’elle, on ne saura pas grand-chose. Elle gagne (bien) sa vie en étant mannequin et en jouant au poker en ligne, et les recoins d’Internet ne semblent pas avoir beaucoup de secrets pour elle, qu’il s’agisse de spéculation boursière, de hacker des mots de passe… ou de trouver les fameuses vidéos interdites de diffusion au public en raison des horreurs innommables qui y sont filmées.
Pourquoi est-elle obsédée par ces crimes, pourquoi veut-elle absolument rentrer dans le champ de vision du suspect, on ne le saura pas, et il n’y aurait peut-être pas d’explication satisfaisante de toute façon, du moins pas une qu’on aurait envie d’entendre sur un personnage féminin écrit par un homme (#notallmaledirectors, mais dans le doute hein.) Un certain mystère donc, et une grande solitude se dégagent du personnage, qui semble être particulièrement inspiré par l’imagerie médiévale de la femme : son assistante virtuelle s’appelle Guenièvre, son fond d’écran et son pseudonyme sur les forums font référence à la Dame de Shallot, dont la légende disait qu’elle ne devait regarder la réalité du monde extérieur qu’à travers un miroir, du haut de sa tour, sous peine de déclencher une malédiction. (Des années de psychothérapie tout ça, je vous le dis.)
Pascal Plante nous propose ici une véritable descente aux enfers, alternant entre plan-séquences, dont il est un fan assumé, et caméra à l’épaule, offrant le même contraste que le mutisme de la groupie et du meurtrier présumé – incroyable performance entièrement silencieuse de Maxwell McCabe-Lokos, « parce que c’est le seul Anglophone de l’équipe » plaisantait le réalisateur – face à cette avidité voyeuriste et cette avalanche de détails sordides.
Quand il n’y a plus de sirop d’érable pour le brunch
Il semble important de se questionner sur la pertinence de la mise en avant d’un sujet si sombre, à l’heure où nous sommes assommé.e.s de podcasts « true crime » (relatant ou reprenant des enquêtes sur de véritables meurtres) et de séries Netflix sur des tueurs en série (à l’exception notable de Mindhunter qui est un chef-d’œuvre, donne la troisième saison David) qui ne font finalement que renforcer une fascination morbide d’une part, et contribuer à la déshumanisation des victimes d’autre part. Victimes qui, rappelons-le, sont dans l’immense majorité des femmes et/ou des personnes faisant partie de minorités, comme la communauté homosexuelle pour Jeffrey Dahmer pour ne citer qu’un récent exemple.
La fin du film vient cependant répondre un peu à cette interrogation, et soulager de manière très relative l’extrême inconfort des 2 heures qui viennent de s’écouler. Sans trop spoiler, disons qu’en choisissant finalement de « faire le bien », Kelly-Anne nous offre une bouffée d’air dans toute cette noirceur, à défaut de nous rassurer sur son état mental. En outre, les derniers mots prononcés avant que les lumières se rallument sont des mots de réconfort pour les victimes, une volonté claire et énoncée par Pascal Plante de remettre les points sur les i, avant de laisser partir la foule hypnotisée et disons-le, également traumatisée.
Les chambres rouges de Pascal Plante, sortie québécoise 11 août 2023, sortie française le 17 janvier 2024, 1h58. Avec Juliette Gariepy, Laurie Fortin-Babin, Maxwell McCabe-Lokos…