Depuis le merveilleux Carol, la carrière de Todd Haynes semblait chercher sa voie, Dark Waters et Wonderstruck n’ayant pleinement convaincu ni les critiques, ni le public. Son retour à Cannes avec son actrice phare, Julianne Moore était donc particulièrement attendu. Depuis Safe en 1995, l’actrice est profondément liée à l’œuvre du cinéaste américain et la voir associée à Natalie Portman s’annonçait prometteur.
Et en effet, on retrouve le Todd Haynes des années 2000, dans ce film délicieusement ironique. Natalie Portman interprète Elizabeth, une actrice qui s’apprêter à tourner un film tiré d’un fait divers : une femme de 36 ans, Gracie, qui a entamé une relation avec Joe, un collégien, et a fait de la prison pour cela. Bien des années après les faits, elle prend contact avec la principale concernée pour pouvoir mieux cerner la personnalité de celle qu’elle est amenée à interpréter. Celle-ci, jouée par Julianne Moore, est toujours en couple avec celui qui n’est plus un enfant mais un père de famille dans la trentaine.
On peut distinguer deux trajectoires principales dans le film. D’abord celle de Natalie Portman, impressionnante de justesse dans la peau de cette actrice qui parasite progressivement la famille. La relation entre Elizabeth et Gracie est passionnante notamment car Todd Haynes réussit un délicat numéro d’équilibriste entre une certaine retenue dans l’intrigue et des exagérations dans sa mise en scène. A ce titre, la musique est particulièrement remarquable, et même si elle a le malheur d’invoquer le visage de Hondelatte chez les pauvres spectateurs français, elle reprend surtout la mélodie créée par Michel Legrand pour Le Messager de Losey. Todd Haynes s’approche donc du mélo, du film psychologique, du soap-opera sans jamais trancher véritablement, ce qui lui permet de s’amuser avec son propre récit. Les deux actrices s’en donnent à cœur joie dans ces rôles qui leur donnent une liberté de jeu qu’elles exploitent à fond et donnent à penser, l’air de rien, sur le pouvoir de l’acteur sur le réel.
Sûrement l’un des rôles les plus intéressants de Natalie Portman, mais c’est surtout Charles Melton la révélation du film
Derrière cette trame principale se joue cependant quelque chose de plus profond. Car si Joe, l’enfant au cœur du scandale semble être devenu un père modèle, on comprend vite qu’il reste quelque chose d’inachevé dans son destin. La prestation de Charles Melton, révélé dans la série Riverdale, est l’une des plus émouvantes que l’on ait vu pour l’instant dans ce festival. Tout en nuances, il donne à Joe les traits et l’attitude d’un homme-enfant candide qui n’a sûrement jamais vraiment eu l’occasion de choisir la vie qu’il souhaitait mener. C’est la plus belle idée du film de nous montrer les rescapés d’un fait divers longtemps après que les faits se soient écoulés, car ce sont les failles encore présentes dans les bâtiments reconstruits qui donnent au film une sincérité et une profondeur touchantes et l’empêchent de n’être qu’un vain exercice de style.
Drôle, touchant et délicat May December signe donc le retour en force de Todd Haynes et s’inscrit dans les grandes œuvres de cette sélection qui commence vraiment à avoir belle allure.
May December, un film de Todd Haynes avec Natalie Portman, Julianne Moore et Charles Melton