Depuis sa première présentation au Cinéma de la Plage du dernier Festival de Cannes puis au dernier Festival d’Annecy, la rumeur bruissait d’échos plus que flatteurs à propos de Mars Express, premier long-métrage de Jérémie Périn, bien connu des fans de la série animée Lastman, dont il a réalisé l’intégralité des épisodes de l’unique saison en 2016. S’annonçant comme un néo-noir SF à la française, Mars Express réussit en effet son pari d’offrir un univers visuel d’une richesse et d’une sobriété épatante, assimilant avec succès ses nombreuses et prestigieuses références. A quelques jours de son arrivée dans les salles obscures, Jérémie Périn a évoqué avec nous à l’occasion de l’Arras Film Festival les coulisses de fabrication d’un des événements du cinéma français en cette fin d’année.
Vous vous êtes révélé par l’adaptation de la bande-dessinée Lastman, et Mars Express est votre premier long-métrage, pour lequel vous continuez à collaborer avec la majeure partie de l’équipe de Lastman. Comment s’est passée la transition du petit au grand écran?
La saison 1 de Lastman a été un succès, ce qui a permis de nous ouvrir beaucoup de portes chez les producteurs. Evidemment les premières propositions qu’on a reçues, c’est de faire une saison 2 de Lastman, ce à quoi tout le monde était opposé. On m’a alors proposé de réaliser un long-métrage sur Lastman, et j’ai encore refusé. J’ai dit non car je voulais changer d’histoires à raconter et de genres à explorer, cette fois-ci sur grand écran. Ce n’était pas simplement une question de changer de format, mon idée était de partir sur de la pure science-fiction avec mon co-scénariste Laurent Sarfati. Et mon producteur de l’époque Didier Creste nous a tout de suite suivi.
Ce changement de format était ambitieux, d’autant plus que vous n’aviez pas cette fois-ci l’appui commercial d’une licence déjà identifiée comme Lastman. Porter un projet comme celui-là dans le cinéma français n’a pas dû être une partie de plaisir…
Les difficultés que l’on a rencontré sont probablement les mêmes que rencontre l’animation française en général quand il s’agit de réunir un budget suffisamment conséquent et cohérent pour produire quelque chose qui tient la route visuellement. On était en tout environ une centaine de personnes impliquées sur le projet.
Comment on contourne ce problème dans ce cas-là?
On a choisi de faire appel en tout à cinq studios d’animation répartis un peu partout sur le territoire français. Pour les décors par exemple, on a fait appel au studio Tchack, qui est basé à Lille. Les studios Borderline, qui a pris en charge la moitié de l’animation 2D du film, étaient à Angoulême quant à eux. Les personnages 3D pour leur part ont été modélisés et animés à la Réunion, chez Gao Shan. AmoPix s’occupait à Strasbourg du compositing (l’association des différentes sources visuelles au sein d’un même plan, utilisé par exemple pour associer à l’écran des images 2D et 3D, NDR). Et le tout était chapeauté de Paris, par un studio qui s’appelle Je suis bien content. Faire appel à des studios dans cinq régions différentes, c’est très utile pour obtenir des subventions régionales, même si cela peut compliquer derrière l’organisation.
La plus grande qualité de Mars Express, c’est sa richesse référentielle et la facilité avec laquelle l’univers du film assimile des influences aussi diverses. On navigue quand même entre les lois sur la robotique d’Asimov et le cyberpunk, l’influence très présente de Moebius ou encore de Ghost in the Shell…
Il ne faut pas trop se poser de questions sur ce sujet, il faut avant tout se faire confiance avec les équipes de dessinateurs et dessinatrices. Il y a évidemment parfois des réflexes référentiels qui nous poussent à trop refaire une scène qui avait été déjà vue auparavant. Mais tant que cette énergie est mise au service des personnages, de leur développement ainsi que de celui de l’intrigue, on ne s’en souciait pas trop. D’ailleurs c’est la même chose en ce qui concerne le film noir et le polar hardboiled (un sous-genre du roman policier précurseur du roman noir, centré sur des détectives durs à cuire et solitaires dont Philip Marlowe est l’incarnation la plus célèbre, ndr). En somme, cela fonctionne presque comme du retro-engineering narratif car même si Mars Express est un film de SF, sa structure reste fondamentalement inspirée des romans de détectives.
L’une des singularités de Mars Express par rapport à cet héritage cela dit, c’est que le détective en question est cette fois-ci une détective, Aline Ruby. C’était un souhait de départ, de centrer l’intrigue autour d’un personnage féminin?
Pas tout à fait, on avait une première version du scénario dans laquelle le héros est un homme solitaire, sans partenaire androïde à ses côtés. Mais l’histoire dans l’ensemble a beaucoup évolué depuis. On a vite pris conscience que notre film allait accorder une place importante à l’intelligence artificielle et à la robotique, et qu’il fallait donc intégrer un personnage de robot qu’on pourrait suivre jusqu’à la fin du film. Rester uniquement du côté humain n’aurait pas pu apporter l’empathie nécessaire au récit. C’est alors qu’on s’est interrogé sur les codes du film noir, où les détectives étaient exclusivement joués par des hommes, d’Humphrey Bogart à Jack Nicholson. C’est alors qu’on s’est dit que le meilleur moyen d’expérimenter le genre était non seulement d’intégrer le détective dans un tandem, mais aussi d’en faire un personnage féminin.
Un personnage féminin ici doublé par Léa Drucker, au sein d’un casting vocal hétéroclite comme rarement, où l’on peut croiser Mathieu Amalric, Marthe Keller, Sébastien Chassagne ou encore le vidéaste Usul. Comment fait-on pour convaincre certains de ces noms de sortir de leur zone de confort?
Léa avait une toute petite expérience dans l’animation en ayant joué dans un épisode de 50 nuances de Grecs pour Arte, et elle avait l’envie de se tester dans un genre qu’elle avait envie de connaître davantage. Pour des acteurs de leur trempe, Mars Express est un projet nouveau et étrange car ils ont l’habitude pour ainsi dire d’avoir leur corps avec eux. Là tout doit passer par la voix, c’est un autre exercice, mais que ce soit pour elle ou Mathieu Amalric, je sais que c’est un défi qui les a beaucoup amusés.
Comme tout bon film de science-fiction, Mars Express est un commentaire évident de notre monde contemporain, bien qu’il se déroule deux siècles dans le futur. Chris Roy Jacker, doublé par Mathieu Amalric, est un descendant assez naturel des Jeff Bezos et Elon Musk aujourd’hui.
Il nous apparaissait évident qu’à partir du moment où Mars allait être colonisée, la planète serait modelée de sorte à devenir un paradis des GAFAM. D’ailleurs l’écriture du scénario a commencé exactement à l’époque des prémisses des annonces d’Elon Musk et Jeff Bezos autour de la construction de vastes stations spatiales et de colonisation de Mars. Et d’ailleurs à l’époque, on voyait des dessins, des bouts de plans de leurs futures machines sortir. Même s’ils ne nous ont pas directement inspiré, on a vite compris que leur univers se dirigeait vers des architectures très cliniques, qui servent à cacher des discours et des structures politiques désastreux. On voulait créer une anti-utopie dans laquelle les citoyens de Mars ne se rendaient pas compte qu’ils vivaient dans une dystopie, ce qui n’est pas si loin de la société que veulent bâtir Musk et Bezos.
Mars Express de Jérémie Périn, avec les voix de Léa Drucker, Daniel Njo Lobé, Mathieu Amalric…, en salles le 22 novembre.
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