[Annecy 2023] Journal de Bord Day 4 : Du Interstellar japanisant à l’événement Mars Express de la semaine, direction les étoiles au festival d’animation

Le soleil revient sur les rues de la vieille Annecy, pour le plus grand plaisir des festivaliers et des touristes américains qui trouvent que ça ressemble trop aux décors de la Belle et la Bête (pas vraiment, mais on apprécie l’enthousiasme). Du côté de Cinématraque, on se remet difficilement de la courte nuit, mais après un thé et deux biscottes on se lance pour une nouvelle journée pleine de rebondissements. Boing.

Long métrage en compétition – L’officielle : The Tunnel to Summer, the Exit of Goodbyes

Les festivaliers dans les starting blocks dans la file sans réservations du film Mars Express ce soir

Et voilà encore un film qui parle de regarder en arrière. Décidément on a mis le doigt sur quelque chose… The Tunnel of Summer, the Exit of Goodbyes de Tomohisa Taguchi est adapté d’un light novel japonais de Mei Hachimoku et raconte l’histoire de deux ados qui découvrent un tunnel magique sous une montagne.

Le tunnel semble capable de ramener des choses (je reste vague volontairement, parce que les possibles sont nombreux) qu’on a perdu dans le passé : des dessins, une chaussure, un perroquet… Pour Kaoru Touno, c’est l’occasion de retrouver sa soeur, dont le décès l’a traumatisé. Pour Anzu Hanashiro, c’est une quête plus mystérieuse liée à ses envies de devenir mangaka.

Seulement voilà, tout n’est pas simple au pays des tunnels magiques : le temps s’écoule différemment à l’intérieur du tunnel, et plus ce que l’on veut récupérer est lointain, plus il faut s’absenter. Pensez à la scène d’Interstellar sur la planète d’eau et vous aurez compris le concept : si on passe dix secondes dans le tunnel, sept heures s’écoulent à l’extérieur.

The Tunnel of Summer, the Exit of Goodbyes est monstrueusement cliché. Du concept magique à l’histoire d’amour qui se dessine entre les deux héros, on baigne dans le kitsch et le déjà vu.

Oui. MAIS.

MAIS.

Putain, c’est trop bien mdr.

Kaoru et Anzu sont bien écrits, la réalisation de Tomohisa Taguchi (qui est aussi derrière la nouvelle série Bleach qui fait parler d’elle) est maline et élégante, le récit assume à 10 000% son énergie adolescente, bref c’est : mignon. A noter aussi que c’est un des rares film à high concept à vraiment explorer les règles de son principe de manière active. Tout le premier tiers du film après la découverte du tunnel est consacré à des expérimentations des deux héros qui vont apprendre à se connaître et à s’aimer en même temps qu’ils analysent le fonctionnement du lieu magique. Avec des chronomètres et des SMS, Taguchi touche au sublime, et ça si c’est pas de l’art franchement.

Enfin, The Tunnel of Summer, the Exit of Goodbyes propose aussi une réflexion magnifique sur la création artistique et met en garde contre le perfectionnisme comme un mécanisme d’auto-défense. Se dire que son travail n’est jamais assez bon pour plaire, réécrire sans cesse sans oser transmettre, rêver d’avoir un talent de génie… Tout ça c’est de la merde nous dit le film. Et il a raison. Réussir à écrire un manga, c’est déjà une réussite. Donner envie à quelqu’un de lire, c’en est une aussi. Est-ce que ça veut dire qu’on va réussir à être publié ? Non. Mais cela voudra déjà dire qu’on a accompli l’impossible : créer une œuvre artistique. Il n’y a pas de petites victoires. Et j’écris ces mots autant pour quiconque qui lit ça et qui manque de confiance en soi, que pour moi-même.

Annecy Classics : L’Histoire du soldat

Âgé aujourd’hui de 92 ans, l’animateur R.O Blechman a un peu touché à tout tant qu’il s’agit de dessin. En 1984 il se met en tête de réaliser un long-métrage adapté du mimodrame (un mélo en musique, en gros) d’Igor Stravinsky et d’inspiration faustienne.

C’est l’histoire d’un jeune soldat qui revient de la guerre, heureux de retrouver la femme qu’il doit épouser. Mais en chemin, il rencontre le diable qui lui propose d’échanger son violon contre un livre permettant de connaître l’avenir. Le pauvre soldat se laisse séduire et accepte, et finit par se retrouver trois longues années au service du diable en enfer pour lui apprendre le violon. Lorsqu’il rentre enfin chez lui, tout le monde le prend pour un fantôme, et la femme qui l’attendait s’est mariée avec un autre.

Présenté en 1985 à Annecy, où il reçut le Grand Prix (cristal de l’époque), L’Histoire du Soldat est tout bonnement remarquable. Comme une sorte de contrepoint des films contemporains qui regardent vers l’arrière, celui-ci est tourné vers l’avenir et tout ce qu’il a de terrifiant. L’animation, avec le trait hésitant si caractéristique de Blechman, passe de mouvements et représentations traditionnelles à de l’art contemporain en un rien de temps, lorgnant même dans son final glaçant vers le cinéma expérimental d’Abel Gance. Immense film que nous avons eu la chance de découvrir en compagnie d’un vieux monsieur qui s’est discrètement signalé au sein du public : un ancien étudiant puis collaborateur de Blechman venu exprès pour voir le film sur grand écran. Je vous avais dit que c’est magique, ce festival.

Long métrage en compétition – L’officielle : Mars Express

Après un énième détour côté MIFA pour quelques rendez-vous mondains, je retourne à Bonlieu pour le plus gros événement francophone de la semaine : la présentation du long-métrage Mars Express de Jérémie Perrin. Ancien de la série Lastman, dont il s’est éloigné il y a quelques temps (et de ses anciens camarades de jeu comme Bastien Vivès), adulé du public français adulte pour son Truckers Delight et Crisis Jung, autant dire que son passage au long-métrage était attendu.

C’est donc après une présentation à Cannes que toute l’équipe de Mars Express débarque à Bonlieu. Jérémie Perrin se permet de faire remarquer qu’au Titi Frémeaux festival, l’animation subit quand même un certain mépris de classe, et que s’il fallait montrer le film quelque part c’était bien « à la maison » comme l’a dit Marcel Jean durant la présentation. A Annecy, où la salle entière va applaudir à se faire mal aux mains un chef animation ou une storyboardeuse. Je sais qu’on dirait un discours propagandiste, mais je vous assure que non : le festival d’Annecy a ses défauts et ils sont nombreux, mais pour ce qui est de l’amour de l’art, du respect du travail de ses pairs, c’est un lieu sans pareil.

Mars Express est une sorte de polar SF à la Blade Runner ou à la Ghost in the Shell, dans lequel deux coéquipiers parcourent la colonie terrienne sur Mars à la recherche d’une jeune fille en danger, qui en sait trop pour son bien. On est dans des codes classiques du film policier bien noir, avec des flingues, des passés sombres et des conspirations. L’héroïne s’appelle Aline Ruby et lutte contre ses démons (la tentation de l’alcool) autant que pour sauver la jeune Jun Chow. Son partenaire Carlos Rivera est une version sauvegardée de son coéquipier décédé, un robot avec une tête hologrammique qui flotte au dessus de son tronc en métal.

On voit déjà qu’on a affaire à de la vraie putain de SF solide avec ce concept de sauvegardé. Le reste pioche dans les règles de la robotique d’Isaac Asimov (le scénario tourne largement autour de la possibilité de pirater les robots pour leur permettre d’agir contre les humains), et dans tout un tas d’autres univers qui en font les 90 minutes les plus dense de ce festival. Jérémie Perrin et son co-scénariste ont eu l’intelligence de nous plonger dans cet univers in medias res, sans aucune béquille. Résultat on se prend la richesse du tout en plein dans la face.

Il faudrait développer dans un article plus complet, mais voir ce film comme ça en France, c’est un vrai rush d’adrénaline. Ce sont des petites idées qui font le génie du truc, comme par exemple le fait que Carlos se mette « hors ligne » après avoir attrapé un suspect en fuite ; son statut de robot sauvegarde d’un ancien humain ne lui permet pas de retenir un humain par la force, mais s’il peut exploiter un bug… Il le fera.

Je reproche tout de même au film une certaine rigidité dans sa mise en scène, un manque de folie et de poésie dans le tout, mais c’est une question de goût personnel. J’aurais aimé qu’on soit un peu plus proche de Satoshi Kon et de Cowboy Bebop que de Denis Villeneuve, pour faire des comparaisons abusives. Mais impossible de bouder son plaisir face à une telle proposition de SF énervée, politique, avec un vrai propos très actuel sous l’enrobage : notre propre obsolescence programmée. On va dormir angoissée ce soir…

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