Le Consentement : La Caverne de l’Ogre

le consentement, crédits Moana Films, Windy Production

Voilà une œuvre difficile à appréhender comme un pur objet de cinéma, tout comme l’était déjà le roman éponyme de Vanessa Springora dont elle est l’adaptation. Comment parler et mettre en images un sujet si âpre et dur qu’il est réel : l’emprise exercée par Garbiel Matzneff, artiste quinquagénaire, sur Vanessa Springora, alors âgée de quatorze ans alors ? Vanessa Filho, réalisatrice à qui l’on doit Gueule d’Ange, s’attelle brillamment à ce travail de transmission de flambeau : mettre la lumière sur de nouvelles pièces sombres, derrière cette grande et lourde porte qu’a ouvert MeToo.

Le crime ne prend pas place dans une grotte exiguë, terreuse, plongée dans l’obscurité et effrayante. L’ogre sévit sous le bel éclat du jour, réfléchi par les dorures aux plafonds qui ornent les appartements parisiens de l’intelligentsia des années soixante-dix et quatre-vingt ; bête d’auteur, monstre littéraire, très largement maîtrisé par l’interprétation de Jean-Paul Rouve. Ce dont rend bien compte Vanessa Filho ici, en transposant le texte de Vanessa Springora, c’est en effet de cette expérience adolescente comme d’un livre à écrire, une succession de feuilles blanches sur lesquelles on hésite trop souvent d’accoler l’empreinte d’une plume. Le monde de sa frêle protagoniste est celui des grands auteurs de la littérature classique, Dostoïevski, Dumas, Tolstoï, un univers d’adultes, encore métaphorique, comme pour entamer la longue mue de l’enfance qui se perd lentement. Là où Vanessa devrait pouvoir se cacher, avec sa timidité merveilleusement portée à l’écran par Kim Higelin, elle est déjà convoitée par un prédateur féroce. La gueule de l’animal est faite de crocs acerbes et d’une efficacité radicale : les mots, les gestes, l’aura, plantés tour à tour dans la peau de sa proie. Jean-Paul Rouve, à sa moindre présence, envahi le champ, initie les mouvements, recouvre les silences de sa voix, face à une Kim Higelin menue et taiseuse.

L’histoire qui s’inscrit sur le parchemin vierge de la jeunesse de l’héroïne, imprègne indélébilement le papier, pour y écrire de la main d’un autre et aux dépends des plus vulnérables, son récit à sens unique, qui achève la réalité d’un coup d’estoc. Elle se raconte dans les grands salons littéraires, sur les plateaux de télévision, elle est relayée dans les journaux, avec la complaisance des uns comme des autres : journalistes, artistes, éditeurs, hommes d’état – notamment du Président Mitterrand, dont Matzneff garde toujours sur lui la lettre de louanges que ce dernier lui a écrite. Plus que jamais, les mots de Tarana Burke, créatrice de l’hashtag MeToo, résonnent « Les violences sexistes et sexuelles ne sont pas une question de sexe, mais de pouvoir et de privilèges« .

Le Consentement : bande-annonce du film de Vanessa Filho - Vidéo Dailymotion

Ce pouvoir, il ne cesse d’écraser Vanessa, la cloisonnant même dans les plus luxueux hôtels et plus grands boulevards à sa solitude et son emprise, avec une caméra qui se resserre sur elle parfois comme pour la remettre sous sa coupe étouffante. Les images sont fortes et pointent les deux extrêmes qui composent sa réalité ; les salles de classe et la cours de récréation du collège, où l’on s’échange des mots griffonnés en cours, sur une feuille arrachée, pliée et passée de mains en mains tout en chantonnant encore quelques comptines, et les intérieurs clos, réservés à des jeux libertins d’adultes. Cet écart sait être rendu plus vrai que nature, par une mise en scène bouleversante, via notamment une séquence magistralement crue. La caméra embrasse le regard de l’héroïne, qui observe à travers les rideaux d’une chambre d’hôtel ses camarades de classe sortir de l’école avant d’être ramenée à sa triste réalité par la voix portante de Rouve, qui lui annonce que désormais, il pourra la retrouver directement après les cours, pour tourner enfin sa tête et découvrir un Matzneff assis sur le lit, le sexe nu, attendant qu’on lui fasse une fellation. Denise Bombardier sera l’une des seules à radicalement dire non à l’entreprise matzneffienne, dans une séquence d’archive intelligemment réutilisée par le métrage naturaliste, en prophétesse de la fin de son règne à venir.

Le Consentement est une œuvre qui se doit d’être vue, d’être lue, non comme un divertissement pour frémir, mais comme le revers de la médaille : quelle place pour l’emprise dans notre conception des violences sexistes et sexuelles ? Au prix de quoi, et aux dépends de qui, un artiste peut-il créer ? Sur quels fondements se base notre culture, avec un grand « c » ? Pas simplement un film, Le Consentement est un témoignage qui éclaire la voie autant qu’il « se lève et se casse », comme le disait Virginie Despentes en soutien à Adèle Haenel suite aux Césars 2020. surtout, il redistribue les cartes pour que nous puissions mieux comprendre le monde dans lequel nous vivons, mieux penser, mieux panser, réparer, et tout reconstruire. Un objet audiovisuel nécessaire donc.

Le Consentement, un film de Vanessa Filho, sortie au cinéma le 11 octobre 2023

About The Author

1 thought on “Le Consentement : La Caverne de l’Ogre

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.