Rencontre avec Walt Dohrn et Tim Heitz, les réalisateurs des Trolls 3 : Trolls Band Together

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La franchise des Trolls est une des sagas les plus surprenantes du célèbre studio d’animation DreamWorks. Après un premier film en demi-teinte, trop calqué sur l’univers des Schtroumpfs pour vraiment assumer son côté zinzin et hors du commun, le second volet World Tour était une vraie surprise. Une déflagration de couleurs, de formes bizarroïdes et de musiques acidulées sans la moindre concession, un délire arc-en-ciel baroque totalement fou qui faisait preuve d’un vrai amour pour le médium de l’animation et ses possibles.

Le réalisateur du second volet, Walt Dohrn, était au festival d’Annecy en 2019 pour en présenter une version de travail, qui nous avait scotché. Le film a mis longtemps à sortir et s’est retrouvé au coeur d’une controverse terrible du fait du Covid, puisque c’est le premier blockbuster qu’un studio a décidé de sortir en VOD pendant que les salles de cinéma étaient fermées. Pour revenir sur toute cette histoire complexe, vous pouvez lire notre article sur le sujet : Trolls 2 tournée mondiale est le film le plus important de l’histoire du cinéma.

Walt Dohrn est de retour à Annecy en 2023, accompagné de Tim Heitz, récemment promu co-réalisateur sur le film après un parcours d’animateur sur le volet précédent. Leur présentation de ce troisième volet est à l’image de la saga : survoltée, énivrée, excitante. Cette fois, les Trolls laissent de côté la diversité musicale du second volet pour se concentrer sur la glorieuse époque pop des boys band, capitalisant enfin sur la présence de Justin Timberlake dans un des rôles principaux du film. L’introduction du film révèle de ce fait que Branche, son personnage, a grandi au sein d’un groupe de frangins tous membres d’un boys band. Je passe rapidement sur le début du film, mais en gros : Poppy et ses amis vont devoir aider Branche à reformer le groupe.

Le lendemain de leur panel dans la petite salle de Bonlieu, nous sommes allés à la rencontre de Walt Dohrn et Tim Heitz à l’Imperial Hôtel. Malgré l’horaire matinal, l’enthousiasme et l’énergie des deux réalisateurs étaient aussi remarquables que la veille.

Cinématraque : Durant votre panel hier, vous avez beaucoup insisté sur votre amour du médium de l’animation. Quelle a été votre premier amour ?

Walt Dohrn : Ah oui, bonne question. Je pense que je dois remonter jusqu’au Livre de la Jungle. Je pense que j’avais six ou sept ans, j’ai grandi dans une petite ville de Californie nommée Ojai, avec un seul cinéma. Et souvent ils y passaient des vieux films d’animation. C’est là-bas, et déjà à cet âge-là que je me suis dit : c’est ça que j’aime, et que je veux faire. C’est aussi simple que ça. J’ai passé toute mon enfance à apprendre l’animation. Et je n’avais pas d’amis ! (Rires).

Tim Heitz : Pour ma part, j’ai grandi dans les années 80 et 90, donc j’ai surtout été marqué par ce deuxième âge d’or chez Disney. Aladdin, La Belle et la Bête, La Petite Sirène… Je sais que j’ai vu ces chefs d’œuvre à un jeune âge, mais dès l’instant où j’ai appris que c’était des dessins mis bout à bout les uns des autres qui créaient cette magie, je me suis dit : OK, je ne veux m’intéresser à rien d’autre que ça.

Cinématraque : C’est amusant, Le Livre de la Jungle est le premier film que j’ai vu au cinéma lors d’une rediffusion également. La saga Trolls est caractérisée par une énergie démentielle et une générosité dans l’animation sans équivalent dans le cinéma de studio. Je me souviens de la présentation de la version de travail du deuxième volet ici en 2019, quelques personnes commençaient à quitter la salle après la présentation précédente, et ils se sont tous arrêtés nets en voyant les premières images. Qu’est-ce qui vous pousse vers cette énergie chaotique et folle, et comment faites-vous pour repousser les limites de ce qu’un studio comme DreamWorks pourrait accepter d’un film d’animation destiné à un public d’enfants ?

Walt Dohrn : Oh, je pense que nous sommes tous les deux fous. Moi, je suis fou en tout cas c’est sûr. Et pour parler plus sérieusement, j’adore les films totalement psychédéliques qui partent dans tous les sens. On parlait de vieux films d’animation juste avant : quand j’étais plus jeune je regardais le film Yellow Submarine en boucle ! Ou The Wall, le film adapté de l’album des Pink Floyd. J’ai toujours utilisé ses oeuvres comme des inspirations directes. Et quand je fais un film, je me dis toujours qu’il y a toujours un risque que cela soit le dernier. Peut-être que c’est la dernière fois qu’on fait un film, alors je veux y mettre absolument tout ce que je peux. On veut dépasser nos limites, et on a droit à beaucoup d’indépendence chez DreamWorks aujourd’hui, on a gagné leur confiance. J’y travaille depuis plus de vingt ans maintenant, ils savent qu’ils peuvent compter sur nous. Ce qui nous autorise à faire un peu n’importe quoi.

Tim Heitz : J’ajouterai aussi que c’est un moment incroyablement enthousiasmant pour nous tous qui travaillons dans l’animation. Parce que les images générées par ordinateur et la 3D ouvrent les possibles, d’abord, et parce qu’après avoir été mis au placard pendant un moment, la 2D fait son grand retour dans l’animation mainstream ces dernières années. Et les deux sont incroyablement complémentaires : le fait de pouvoir dans notre cas explorer les deux, expérimenter toujours plus, c’est un plaisir incroyable. C’est la spécificité des films Trolls, ils nous permettent de faire un peu tout ce qu’on veut ! De construire un univers qui mélange les possibles.

Walt Dohrn : Et de construire justement un univers qui mélange les possibles. Donc on peut jouer avec de la 2D, on peut imiter de la stop motion à un autre moment… On a même un passage où on utilise des techniques inspirées du théâtre d’ombre. On aime l’animation, donc on se demande sans cesse « qu’est-ce qu’on peut utiliser cette fois » ? C’est ça pour nous, l’art de l’animation. Et en plus de ça toute la nature musicale du projet nous permet aussi de nous libérer de d’autres formes de contraintes, à la fois esthétiques et narratives.

Tim Heitz : Cela nous permet d’aller vers l’abstrait, vers des univers encore plus fantasques et oublier totalement les lois qui régissent notre propre réalité.

Walt Dorhn : Et les spectateurs l’acceptent désormais. On y a été pas à pas sur le premier film, mais les retours enthousiastes nous ont permis d’aller plus loin avec World Tour et maintenant Band Together.

Cinématraque : On va revenir sur l’aspect musical dans un instant, j’y compte bien. Mais pour rester encore un peu sur le sujet de l’animation et de la direction artistique : durant le panel hier vous avez montré beaucoup de concept arts réalisés par un artiste nommé Dave Cooper. Et son travail est… Absolument incroyable. J’ai donc deux questions : où l’avez-vous trouvé ? Et est-ce qu’on peut exposer ses dessins dans un musée s’il vous plait ?

Walt Dorhn : C’est fou, ce qu’il fait pas vrai ? Pour l’instant ses artworks sont exposés dans nos bureaux. Et il y en a sur tous les murs. Dave nous a aussi offert des originaux (il dessine à la main, ndlr). Bref, je le connais depuis le début des années 90 en fait je l’avais rencontré à une convention de comics quand il était dessinateur pour des petites bandes dessinées. C’était aussi mon métier à l’époque, et on est devenus amis. Et quand on a commencé à travailler sur Trolls 3, on s’est rapidement retrouvé à nous inspirer de son travail et on a fini par l’appeler et lui dire, « bon, écoute, on est en train de piller ton travail, est-ce que tu ne voudrais pas venir bosser pour nous ? » Et il a dit oui avec beaucoup d’enthousiasme et ça s’est super bien passé.

Tim Heitz : son travail est à la fois beau, inspirant et il a quelque chose de très adulte et même provocateur. Donc on s’était dit que jouer avec ça pour un film pour enfants comme Les Trolls, ça pourrait être intéressant. Et le mélange s’est fait de manière de très organique, il nous a poussé dans des directions qu’on aurait jamais imaginé sans lui. Les dessins même préliminaires qu’il a pu nous montrer au fur et à mesure de la collaboration étaient déjà tellement détaillés et… Même les brouillons étaient des chefs d’oeuvres en fait.

Walt Dohrn : Evidemment, ça motive nos équipes de travailler à partir d’une telle base, même si le résultat final s’en éloigne, pouvoir s’en inspirer, c’était fou. Et il nous a beaucoup aidé aussi pour la séquence en 2D que vous avez vue hier lors du panel.

Watch: DreamWorks/Universal Release Trailer, Poster for 'Trolls Band  Together' | Animation Magazine

Cinématraque : La première chose que j’ai pensée en voyant les dessins, c’est « on dirait du Jérome Bosch à la sauce cartoon ». Puis j’ai vu qu’il a réalisé une exposition en hommage à Bosch récemment dans un musée.

Walt Dohrn : Mais tu sais qu’il a une exposition prévue à Paris ? Elle ne cesse d’être repoussée, le Covid et tout ça, mais c’est un artiste. Un vrai !

Cinématraque : Toujours pour rester sur cet aspect baroque et déjanté : votre comédienne principale Anna Kendrick arrive parfaitement à correspondre à l’énergie de votre film. Est-ce que vous l’encouragez à parler aussi vite quand elle joue Poppy, ou bien est-ce que c’est devenu naturel pour elle à ce point de la saga ?

Walt Dorhn : Oui, c’est vraiment elle qui amène cette énergie là. Je ne sais pas comment l’expliquer, un surplus de vitamine B12 à Los Angeles. C’est drôle parce que quand on lui fait écouter les prises, et qu’elle s’écoute pour la première fois, elle-même est sidérée. Elle nous dit « mais c’est quoi mon problème en fait ? Pourquoi je fais ça ? ». Mais c’est aussi collaboratif, on se pousse mutuellement à amener cette énergie ; Tim et moi sommes toujours là quand elle enregistre, et plus elle accélère et envoie de l’énergie plus on fait la même chose en face… On s’amuse, en fait. Et elle connaît le personnage si bien, maintenant.

Tim Heitz : Oui, et elle voit bien quand le personnage a besoin d’être plus ancré, plus posé, elle maîtrise ses gammes de Poppy maintenant. Dans une de mes scènes préférées du film, elle imagine sa vie avec une petite soeur et immédiatement elle passe la cinquième. Mais quand Branche lui dit de se calmer, elle reprend avec une profondeur dans son jeu, une richesse… Elle est en pleine maîtrise.

Cinématraque : Anna Kendrick est évidemment liée à l’univers de la comédie musicale, et je sais que c’est une passion que vous et moi avons en commun. Vous avez mentionné le film Cats hier, moi aussi je rêve de voir le « butthole cut » (Google est votre ami, ndlr), d’où vous vient cet amour de la comédie musicale ?

Walt Dohrn : (rires), Cats ! Quel film de folie. Je l’ai vu au cinéma avec mon plus âgé, qui était ado à l’époque, et toute la salle était hilare, quel moment formidable. Il a une énergie de « midnight movie », ces films étranges qu’on ne peut pas vraiment faire volontairement… Ils ont mis tellement d’argent dans ce film, et ont fait des choix artistiques tellement fous que le résultat est fascinant, et hilarant.

(Ici on a une bonne digression d’une minute sur la comédie musicale et une tentative de Walt et Tim de retourner l’interview contre moi, que je passerai sous silence par pudeur et respect du lectorat, mais c’était bien amusant)

Walt Dohrn : Mais pour revenir à la musique, c’est encore plus important pour moi que l’animation. C’est aussi important que la nourriture et l’air que je respire… Je passe mon temps à chanter, que je sois en train de faire la vaisselle ou sous la douche, je chante tout le temps. Et pour revenir donc à la comédie musicale… C’est vraiment l’élément le plus difficile à faire accepter. En tout cas il a fallu se battre plus d’une fois pour pouvoir aller à fond dans cette direction. En plus notre approche est particulière…

Parce que c’est à la fois un musical jukebox (avec des chansons existantes, ndlr) et un musical original (avec des chansons originales, ndlr) ?

Walt Dohrn : Oui, exactement. Même si on retrouve des éléments constitutifs de la comédie musicale dans plein d’oeuvres et dans la culture populaire, cela reste un intérêt de niche… Mais je suis persuadé que c’est une manière formidable de raconter des histoires.

Vous avez parlé hier des fans très actifs de la saga des Trolls, notamment en mentionnant un hashtag qui combine les deux noms des personnages principaux que des artistes utilisent pour partager leurs dessins mignons (ou NSFW, soyez prévenu.e.s). Vous suivez activement ce qui se fait, cette participation créative qui prend place sur Internet ?

Walt Dohrn : Oui ! On adore ça. On en a rencontré beaucoup, et on aime les écouter. Par contre on ne va jamais essayer de gagner leur affection en leur donnant ce qu’ils demandent, on reste intègre.

Tim Heitz : Leur enthousiasme est même nécessaire pour faire un projet comme Les Trolls. On ne pourra pas faire ça sans l’énergie que l’on reçoit d’eux. Je me souviens de ce que c’était d’être à leur place ! J’étais tellement fan des studios Disney quand j’étais petit mais ça me semblait être un autre monde, totalement inatteignable. Maintenant avec les réseaux sociaux et Internet, les barrières entres les artistes et les fans sont plus perméables et j’avoue que c’est quelque chose qui me plaît. Pouvoir me sentir connecté à celles et ceux qui apprécient ce que l’on crée, découvrir les dessins qu’iels font, lire les histoires qu’iels inventent… C’est inspirant.

Walt Dohrn : Et c’est vrai qu’on écoute un peu le bruit ambiant. On sait par exemple que beaucoup de fans veulent d’une romance entre Poppy et Branche, ils veulent les voir s’embrasser. Et on a aussi beauuucoup de fans (les enfants) qui trouvent ça dégoutant et qui ne voudraient surtout pas que ça arrive !

C’est drôle, vous avez rappelé justement hier que le design de leur nez fait que s’embrasser est quasi impossible pour les personnages.

Walt Dohrn : Mais c’est vrai ! Dès le premier film on en avait parlé. Ou alors il faut être vraiment très inventif, acrobatique…

Tim Heitz : Ou bien ils s’écrasent l’un dans l’autre…

C’est votre première collaboration en tant que duo de réalisateurs.

Walt Dohrn : Oui, mais on travaille ensemble depuis le film M. Peabody et Sherman, sur lequel j’étais head of story (chef du département storyboard) et où tu étais dans l’équipe, je crois ?

Tim Heitz : Oui c’est ça.

Comment est-ce que vous fonctionnez à deux aujourd’hui ?

Walt Dohrn : Je crois qu’on a qu’un seul cerveau pour deux maintenant. Mais c’est Tim qui est plus en charge de l’animation ces derniers temps, parce qu’il l’a amené à un plus haut niveau que je n’aurais su le faire seul. Mais sinon, on a toujours fonctionné en duo. A chaque rendez-vous, chaque département technique, on est côte à côte.

Tim Heitz : Et je dois dire que je suis extrêmement reconnaissant envers Walt. C’est ma première fois en tant que réalisateur et j’ai vraiment le sentiment qu’il m’a permis d’être son égal sur le projet. Même si on travaille ensemble depuis des années, pouvoir être avec toi à chaque instant de la création ainsi, ça m’a permis d’apprendre un maximum. Et il faut dire aussi qu’on a énormément travaillé en amont sur la partie scénario et storyboard avec les équipes, afin que tout soit le plus cadré et sûr dès le départ. Ce qui nous permet ensuite de nous diviser le travail sans danger, parce qu’on sait qu’on va dans la même direction. Et puis je pense aussi que ce qui a bien fonctionné sur Les Trolls 3, c’est qu’on a le même sens de l’humour, les mêmes sensibilités.

Walt Dohrn : Et sur des projets d’une telle envergure, on se doit d’être exemplaire envers l’autre pour donner l’exemple. Diriger les équipes en encourageant la collaboration, l’ouverture d’esprit, la gentillesse aussi.

Cinématraque : Merci beaucoup pour votre temps et votre énergie, c’était un plaisir !

Les Trolls 3, un film de Walt Dohrn et Tim Heitz. Au cinéma le 18 octobre 2023

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1 thought on “Rencontre avec Walt Dohrn et Tim Heitz, les réalisateurs des Trolls 3 : Trolls Band Together

  1. Interview très intéressante ! Impatient de voir ce troisième volet, mes enfants et moi avons adoré les deux premiers films. Les Trolls sont toujours une source de bonne humeur à la maison.

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