Une année difficile : Extinction Rois des Cons



Dimanche, 14h. Dans la jolie salle 1 du tout nouveau UGC d’Issy-les-Moulineaux, on attend patiemment la venue de l’équipe du film Une année difficile. Le plus célèbre duo de cinéastes français n’est finalement présent qu’à moitié puisque seul Nakache (ou Toledano, je me souviens plus quel nom ils ont annoncé et je vous jure que de loin ils ont exactement la même pilosité et la même coupe de cheveux) sera là pour présenter le long-métrage, accompagné tout de même d’un Pio Marmaï très drôle, encore en train de redescendre de sa soirée de la veille.

Une année difficile, c’est l’histoire de deux mecs quarantenaires en galère de thune, interdits bancaires et criblés de dettes. Pio Marmaï fait des petits boulots à l’aéroport et il y dort même car ses problèmes d’argent l’empêchent de récupérer un appartement. Jonathan Cohen quant à lui est en pleine procédure judiciaire et va perdre sa maison, lui aussi incapable de gérer son argent et criblé de dettes. Tous les deux vont rejoindre un groupe militant écologique inspiré d’Extinction Rebellion, aux actions symboliques non violentes, à la fois pour la bouffe gratuite, voler un peu d’argent, et peut-être pouvoir pécho Noémie Merlant. Un film qui parle donc d’urgence climatique, de militantisme, d’activisme, mais aussi d’addiction, de surconsommation, et de paupérisation de la société française.

Mais tout ça, on ne le sait pas encore, dans la salle 1 du UGC d’Issy-les-Moulineaux.

Avant même de voir le film, le public est invité à échanger quelques questions avec l’acteur et le réalisateur, ce qui nous permet par exemple d’apprendre que le rôle a été écrit pour Pio Marmaï, puisque Toledano et Nakache ont adoré travailler avec lui sur la série En Thérapie. Et cela nous permet surtout d’avoir un avant-goût plutôt clair de la position du film sur les sujets qu’il traite. Lorsqu’un.e spectateur.ice demande à l’acteur s’il a des anecdotes croustillantes à partager à propos du tournage, Pio Marmaï et le réalisateur se lancent dans une histoire plutôt révélatrice. On apprend donc qu’un jour, Pio Marmaï s’est réveillé avec une lubie et a voulu acheter un drone. Il a donc quitté le tournage pendant la prépa des plans du jour pour se rendre à la Fnac de Châteauroux, et est revenu ensuite sur le plateau avec un drone tout neuf. Puis il l’a mis en marche et instantanément perdu.

L’anecdote est rigolote, mais je ne sais pas si la raconter juste avant de montrer un film qui parle de surconsommation est une excellente idée. Le cinéma ne naît pas du vide, il existe matériellement dans un contexte. Et si à l’intérieur de sa diégèse le montage sert à créer du sens en juxtaposant des images, alors la juxtaposition de cette anecdote suivie du film a suffi à illustrer le problème de la démarche Toledano et Nakache : ils se foutent complètement de leurs sujets. La surconsommation, l’urgence climatique ne sont que des exemples de ce qu’on trouve dans leur boîte à outils dramaturgique et rien de plus.

Une Année difficile : Cohen, Marmaï et Merlant dans la bande-annonce du nouveau Toledano/Nakache | Premiere.fr

Et ils l’avouent eux-mêmes en interview d’ailleurs. Leur cinéma n’est pas militant, leur ambition est de faire rire tout le monde, d’écrire des personnages intéressants pour les acteurs… Et ils le font même très bien. Oui, les deux personnages de Pio Marmaï et Jonathan Cohen sont touchants. Leurs addictions et leur incapacité à les dépasser sont bien écrites. Et ils sont souvent drôles. Si j’étais pas un acteur de pacotille qui ne joue que dans des mini-théâtres des pièces qui intéressent quarante pélos, je suis sûr que j’adorerai jouer un rôle écrit par le duo.

Mais le problème est bien là, en vérité. Comment peut-on faire en 2023 une comédie qui se moque ouvertement du militantisme écolo ? Non pas que cela soit impossible, toute personne connaissant bien les milieux activistes sait qu’il y a beaucoup d’humour à trouver dans un tel cadre (surtout si on s’inspire d’Extinction Rebellion), mais est-ce vraiment la seule et unique chose à montrer ? Dans Une année difficile, le groupe d’activistes écolos n’est absolument jamais pris au sérieux pour ses revendications. Ses actes n’ont aucun impact sur le monde (par respect pour ma santé mentale je ne parlerais pas de la scène finale du film, un aveu d’échec immonde pour un récit qui ne va nulle part), et ses membres sont des caricatures grossières de personnages mal aimables et clichés de scénaristes faussement malins.

Qu’est-ce que le film nous dit du militantisme au final ? Que c’est un moyen individualiste de mieux se sentir dans sa peau quand on est issue d’une famille bourgeoise/aristocrate, ou bien de trouver l’amour, ou une couverture pour effacer ses dettes à la Banque de France. L’action sociale n’est dans le film qu’un prétexte au développement personnel de personnages tristes, et ce pour TOUS les personnages, sans jamais être un but altruiste en soi. Merci pour les travaux, mais non merci. Toledano et Nakache ont passé les six semaines de la rentrée à faire le tour de la France pour présenter Une année difficile dans les cinémas du pays, est-ce qu’ils n’ont pas remarqué que partout où ils allaient tout le monde était en short et en débardeur parce qu’il fait plus de 30 degrés ? Vous pensez vraiment que celles et ceux qui alertent là dessus cherchent foncièrement autre chose qu’éviter qu’on assiste à la fin de notre espèce ?

On pourrait me rétorquer que le film nous permet de voir le monde militant du point de vue de deux opportunistes qui n’en ont rien à foutre de l’environnement, et que c’est pour ça qu’il paraît ridicule. Ce qui pourrait être vrai… Si le film ne décidait pas de se moquer également de ses deux personnages principaux, dont l’addiction à la surconsommation est traitée autant comme une bonne blague que le reste. Une année difficile se permet même d’opposer la droiture morale des militants écolos à la petite filouterie d’un salaud comme Pio Marmaï, qui est obligé d’extorquer de la thune pour rembourser tous les prêts qu’il doit. Tout est source de moquerie et de fun, et ce qui fonctionnerait dans une comédie noire et cynique (les scènes d’Amalric au casino par exemple seraient tout à fait à leur place dans une œuvre plus satirique et mordante) devient source de dégoût dans une comédie qui se veut humaine et sociale comme ici. On pourrait aussi me rétorquer que le cinéma n’a pas toujours à être revendicatif et militant, et je suis aussi d’accord avec cela. Seulement si un film prend pour cadre un environnement aussi politiquement chargé, je préfère quand il en raconte quelque chose plutôt que de s’en servir comme d’un décor de fond du jeu Mortal Kombat : c’est là pour faire joli et puis c’est tout.

Mais bon, au moins Une année difficile a le mérite de respecter les traditions de la comédie française populaire, puisqu’il sait aussi être bien misogyne dans son déroulé. Je passe outre le côté totem fonctionnel de Noémie Merlant, dont le personnage est présenté comme leader du groupe militant parce que les garçons veulent la pécho et donc l’impressionner, et je me concentre rapidement sur un second rôle de femme plus âgée qui veut absolument se taper Jonathan Cohen. On a droit à une scène horriblement gênante où elle lui met la main au cul puis essaie de l’embrasser de force plusieurs fois. À la fin du film JoCo finisse par s’installer chez elle car il est à la rue. La scène sous-entend même que peut-être ils couchent ensemble pour qu’il puisse rester, soit une inversion pas du tout drôle d’une réalité sociale de beaucoup de femmes précaires dans des relations hétérosexuelles.

Heureusement, la salle 1 du UGC était hilare devant ces scènes comme devant le reste ; le cinéma de Toledano et Nakache a encore de beaux jours devant soi en France. Avant que le film commence, le réalisateur nous a demandé de rire, même si on ne trouvait pas ça drôle, parce que rire nous fait du bien en toutes circonstances. Comme je suis sympa, j’ai essayé. J’ai ri, par exemple, à chaque fois qu’on voyait les flics intervenir pour arrêter une action spectaculaire des militants écolos. Quand je vois des flics dans un film dire « attention on va charger hein » et ensuite tenter mollement de dégager les activistes sans matraque, ni LBD ni violence d’une quelconque sorte, ça me fait rire parce que j’aime bien les comédies de science-fiction. Mais je ne sais pas si c’était vraiment le projet.

Une année difficile, un film de Toledano et Nakache, avec Pio « Porthos » Marmaï, Jonathan « frère tout le monde a un Iphone » Cohen, et Noémie Merlant, au cinéma le 18 octobre 2023.

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