[Annecy 2023] Journal de Bord Day 3 : les retours triomphants du roi Denis Do et de la reine Naoko Yamada

Quoi ? C’est pas un film d’animation la photo de cet article ? Et bah non. C’est Pigris. Parce qu’il mérite, il m’accompagne quand je rédige les derniers textes à minuit dans le noir, regardez comme il est beau. Aimez-le.

La semaine continue au festival d’Annecy et les premiers orages sont venus faire coucou. Dès 9 heures du matin, les festivaliers ont sorti leurs parapluies pour faire la queue et espérer découvrir les premières images d’un long métrage d’animation Warner ancré dans l’univers de Tolkien (sur les Rohirrim, précisement), ou la première du film japonais La Concierge du Magasin.

Mais comme chez Cinématraque on est plus original que les autres (on n’a pas réussi à avoir de places pour les séances mentionnées ci-dessous), on s’est plutôt dirigé vers la compétiton Contrechamp. Avec un parapluie.

Long métrage en compétition – Contrechamp 3 : Heavies tendres

On commence à voir se dessiner une certaine tendance dans les sélections, et notamment Contrechamp : une envie de regarder en arrière. Sans nécessairement de nostalgie, car le passé n’est pas vraiment idéalisé. Au contraire il est regardé avec un certain recul, à la fois tendre et critique, et il trahit sans doute une peur de regarder vers le présent et l’avenir, où on aura du mal à trouver grand chos de réjouissant.

Le film Heavies Tendres de Carlos Perez-Reche et Joan Francesc Tomas Monfort, adapté d’une bande dessinée et d’une série animée, s’inscrit dans cette tendance. Il raconte l’amitié improbable entre deux lycéens : Juanjo, un redoublant asthmatique, et Miquel, dont le père est en taule et la mère alcoolique. Ils se retrouvent autour d’une passion pour le métal…

Voilà un exemple parfait de long-métrage qui n’a pas de budget pour faire des folies, et qui utilise les limites qu’on lui impose pour développer un langage qui lui est propre. Formellement, Heavies Tendres joue donc la carte du minimalisme à l’extrême. Des silhouettes, des traits non finis, des zones sans couleurs, peu de mouvement… Les personnages sont définis par leurs silhouettes et leurs cheveux mais n’ont pas de visage dessiné. Sauf dans certaines séquences, où la simple apparition d’yeux curieux, ou d’un grand sourire, magnifient la recherche d’une émotion sincère. Heavies Tendres est drôle, dur, surprenant, inventif, et surtout beau. Le Barcelone que connaissent les deux ados n’a rien d’idéal et pourtant on a envie d’y être avec eux.

La Forêt de Mademoiselle Tang : Denis Do de retour à Annecy

La dernière fois qu’on avait vu Denis Do à Annecy, il avait frappé fort avec Funan, un récit puissant quoique un peu didactique qui lui avait valu le cristal. Cinq années plus tard le revoilà avec un court-métrage de quarante minutes, qui selon le producteur aurait dû en faire quinze au départ… Mais Denis Do a réussi à lui faire comprendre qu’il fallait prendre son temps pour réellement exister. Et il avait raison, parce que La Forêt de Mademoiselle Tang aurait même mérité de devenir un long-métrage.

Denis Do continue de parler de ses origines et imagine une sorte de vie parallèle à ses ancêtres, s’ils n’avaient pas quitté leur province chinoise pour le Cambodge, et le Cambodge pour la France. Sur ses quarante minutes, il raconte environ 150 ans d’histoire et six générations de la famille Tang à travers plusieurs moments marquants (les conflits avec l’Occident en 1886, le typhon ravageur de 1922, l’occupation japonaise de 1940…), et en dialecte teochew, en usage dans la province chinoise du Guandong. Un dialecte qui est déjà quasiment disparu, et dont l’utilisation dans le film témoigne de la démarche artistique du cinéaste : du cinéma patrimoine.

L’objectif de Denis Do est de mettre l’animation au service d’une histoire invisible, comme une manière d’inventer des images d’archives. Pour cela, l’historique de cette famille Tang est inscrit dans des éléments à la fois naturel et fabriqué par l’humain. Un banc qui traverse le temps notamment, et surtout des bonsaï qui viennent représenter les ancêtres après leur décès. Voilà qui illustre parfaitement la démarche d’un cinéaste qui invente l’Histoire par la fiction : comme ses héros, il fabrique la nature. L’un des plus beaux films de cette édition 2023 sans aucun doute (et il est sur Arte !).

Garden of Remembrance : le retour de la reine Naoko Yamada

Enfin.

Des années après le choc A Silent Voice, puis la révélation Liz et l’oiseau bleu au festival, revoilà Naoko Yamada avec un nouveau film. De 18 minutes… Bon, on prend ce qu’on peut avoir.

Après un riche début de carrière chez Kyoto Animation, la réalisatrice a changé de studio et s’est installé chez Science SARU avec la super productrice Eunyoung Choi pour créer un long-métrage et ce court expérimental, qui concentre tout ce qu’on savait déjà d’une des artistes les plus intéressantes de sa génération. Dans un petit appartement japonais, on suit une jeune fille dans sa routine matinale ad vitam aeternam, du réveil au brossage de dents jusqu’au petit déjeuner… Une sorte de Jour sans fin bizarroïde et muet, qui s’appuie sur du J-Rock aux guitares électriques à la saturation très claire, une musique cinglante et entraînante que la camarade Océane a tout de suite rapproché au style de Mitski, et comme c’est une comparaison pertinente je la lui vole. La musique est composée par Avex

Le cinéma de Naoko Yamada a toujours été une affaire de sensations. A travers des gros plans, du son, un décadrage qui attire l’oeil sur des détails, c’est un art qui pousse à la fois à réfléchir à l’image et à se laisser bercer. Toutes ses obsessions sont là : la guitare mélancolique et pop de K-On, l’étrange énergie saphique de Liz et l’oiseau bleu, la peinture (avant de se mettre au cinéma elle a étudié la peinture à l’université)… Une affaire de symbole, comme ces fleurs roses et bleues qui envahissent le cadre durant les 18 minutes du court-métrage. Et grâce à l’approche totalement différente de Science SARU pour les techniques d’animation, on déouvre le style de la réalisatrice sous un autre jour, avec un traît beaucoup plus électrique, moins figé. Toujours plus loin dans le mouvement.

Bien sûr, Naoko Yamada oblige, le projet ne peut s’empêcher de diffuser une certaine tristesse malgré la musique entraînante. L’idée d’une disparition non prévue, et d’une routine comme désaccordée se met en place au fur et à mesure du récit visuel. Même sur un si court moment, Naoko Yamada prend plaisir à nous faire souffrir, et cette fois même sans qu’on comprenne totalement pourquoi on est triste au visionnage. Une véritable sorcière…

Long métrage en compétition – L’officielle 5 : La Sirène

Ce film est réalisé par Sedipeh Farsi. Le long-métrage commence avec une scène remarquable. Le protagoniste joue au foot. Soudain il aperçoit des bombes au loin. Elles tombent sur l’usine derrière le terrain. Un moment de cinéma saisissant. Malheureusement le reste ne l’est pas.

Vous voyez comment ces phrases très courtes sont chiantes ? Le film a le même problème. Si son sujet, fort et percutant, est évidemment très bon (l’invasion d’une ville d’Iran par l’Iraq en 1980), le film est desservi par une absence totale de rythme de séquence en séquence. Comme les phrases du paragraphe précédent, le montage du film est terriblement monotone et ne laisse jamais rien s’installé. Les plans les plus longs durent 8 secondes, et la majorité dure exactement quatre secondes. On a parfois quelques plans encore plus rapide qui durent à peine une seconde, mais jamais de rupture rythmique, jamais rien pour installer une situation, des personnages, une atmosphère. Et oui c’est parce que le film était chiant que je me suis mis à analyser tout ça. Vraiment dommage, parce que le projet était ambitieux, et le tout début du film était vraiment très prometteur.

Les aventures au MIFA

Je ne le cache pas vraiment mais comme critique pour Cinématraque n’est pas mon seul travail, il m’arrive lors du festival de m’aventurer loin de l’autre côté du grand et beau lac d’Annecy pour visiter le marché du film, rencontrer des camarades scénaristes, me présenter à des directeurs d’écriture, me faire prendre pour un recruteur par erreur et décevoir des étudiants…

Ce soir au MIFA avait lieu la grande soirée d’ouverture du marché, avec open bar et groupe de mariachi en folie. L’occasion de croiser Isabelle Vanini, qui participe la sélection des longs-métrages avec Marcel Jean mais qui a refusé de me dire son palmarès personnel… Ce qu’on comprend mais ça valait le coup d’essayer !

Un peu plus loin, je me fais arrêter par un type avec une très belle chemise, qui me complimente sur ma salopette (je portais effectivement une salopette, cet homme avait l’oeil). On commence à discuter et j’apprends que Mario Santillana, car c’est son nom, et producteur au sein du studio STARTOONS, est venu avec son réalisateur pour pitcher un projet de long-métrage en cours de financement. Le film s’appelle Chaskis : les messagers du soleil (il n’a pas encore de titre français mais je m’en charge à leur place, c’est cadeau) et s’inspire des mythologies incas et péruviennes pour raconter une histoire d’aventure de supers messagers qui vivent des supers missions. C’est une autre facette du festival, que je connais aussi puisque j’ai moi-même des projets en quête d’investisseurs au marché, celle qui nécessite de savoir se vendre pour réaliser un rêve. Car qu’est-ce qu’un film si ce n’est la matérialisation d’un songe ?

En parlant de rêve, à un moment de la soirée MIFA on a cru voir le chanteur des Black Eyed Peas à côté de nous, alors on s’est dit qu’il était peut-être temps d’aller se pieuter. Bon il s’avère que c’était effectivement lui, mais quand même. A demain pour d’autres péripéties rocambolesques !

About The Author

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.